Vivre la foi de l’Évangile

Matthieu, 8, 5-10

     « Comme il était entré dans Capharnaüm, un centurion s’approcha de lui en le suppliant : « Seigneur, dit-il, mon enfant gît dans ma maison, atteint de paralysie et souffrant atrocement. »Il lui dit : « Je vais aller le guérir » – « Seigneur, reprit le centurion, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit ; mais dis seulement une parole et mon enfant sera guéri. Car moi, qui ne suis qu’un subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un : Va ! et il va, et à un autre : Viens ! et il vient, et à mon serviteur : Fais ceci ! et il le fait. »

     Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël. »

Commentaire

Plusieurs raisons poussent le Christ à exaucer le centurion romain.

Une des raisons, c’est que cet homme vient le supplier, et intercéder, non pas pour lui-même, mais pour un autre, pour son enfant. L’attitude de cet officier romain, qui intercède pour un autre, fait vraiment penser à celle de la Vierge à Cana : « Ils n’ont plus de vin! » le Christ nous accueille toujours quand on lui présente la détresse de nos frères et sÅ“urs en humanité. Il faut le croire. Notre intercession pour les autres est un acte de foi réel dont l’efficacité est aussi réelle même si on ne la voit pas, même si cette efficacité reste cachée à nos yeux.

Cet homme est aussi un humble et cela compte aux yeux du Christ: « Seigneur, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit ; mais dis seulement une parole et mon enfant sera guéri. » « Il ne se sent pas digne, malgré le poids de son autorité humaine et de sa compétence d’officier, malgré toute l’estime dont on l’entoure à Capharnaüm, malgré toutes les relations qu’il a, lui, l’homme en vue » (Jean Lévêque, ocd), l’homme des premiers rangs.

Cet homme est surtout un homme de foi et le Christ va la reconnaître et s’en émerveiller. Sa foi est une foi paisible, audacieuse. Il croit que la parole du Christ est efficace, que sa parole peut produire ce qu’elle dit, là où elle est prononcée. Pas besoin que le Christ soit en personne près de son enfant et qu’il prononce les mots qui le guériront. Car il pressent, cet homme, il devine, que les choses peuvent obéir à la simple Parole du Christ.

« Dis seulement une parole ».  Une parole suffit puisque c’est Sa Parole, celle du Verbe, parole efficace. Dieu dit et cela est fait. Le centurion croit à la parole de Jésus ; il fait un acte de foi préalable au miracle ; son acte de foi est antérieur à la guérison qu’il sollicite. Il se fie au Christ, sur sa parole. Implicitement, il reconnaît, en Christ, le Verbe, la Parole faite chair, la Parole de Dieu qui produit ce qu’elle dit.

Ceci était déjà la foi de l’Ancien testament. Ainsi, au livre de la Genèse, au chapitre premier qu’il faudrait relire en entier, il est écrit : « Dieu dit : « Que la lumière soit » et la lumière fut », (Gn 1, 3). Ou encore : « Il envoya sa parole, il les guérit, à la fosse il arracha leur vie » (Ps 107, 20) ; ou bien encore : « les étoiles brillent à leur poste, joyeuses, [Dieu] les appelle-t-il, elles répondent : Nous voici ! elles brillent avec joie pour leur Créateur » (Ba 3, 34-35) ; et encore : « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers, par le souffle de sa bouche. Il parla, et ce qu’il dit exista ; il commanda et ce qu’il dit survint. « (Ps 32,9).

Ce qui est nouveau, par contre, c’est que ce pouvoir divin soit reconnu à Jésus même. Le centurion croit en l’action du Christ, il croit au pouvoir de la Bonté du Christ, en sa Bonté source de vie. Cet homme a pressenti quelque chose du secret de Jésus. Avec ses mots à lui, il exprime le mystère de la Parole créatrice et recréatrice. Mais il exprime cela avec ses mots à lui, avec ce qu’il est, un militaire. Il utilise un argument qui fait comprendre cela. En effet, son argument montre que c’est bien sur l’efficacité divine de la parole du Christ qu’il fonde sa confiance. En effet, il dit à Jésus que, si un homme, du fait de quelque autorité, peut donner un ordre verbal dans l’assurance d’être obéi, a fortiori, le Créateur. Ainsi, dit-il au Christ, lui, un centurion, il a un pouvoir qui lui a été donné et qui n’est contesté par personne parce que ce pouvoir vient de plus haut. Dès lors, quand il parle à ses subalternes, ceux-ci obéissent à sa parole, à ses ordres. Voilà pourquoi, il croit, qu’à plus forte raison, Lui, le Christ, peut commander à la maladie, à la souffrance, et même à la mort, car en Lui réside la force de Dieu, vu les œuvres qu’il accomplit et qui sont venues à sa connaissance.

Cette foi audacieuse et profonde, Jésus ne l’a pas trouvée chez les habitués du Temple de Jérusalem, chez ceux qui se réclament du Dieu de la Bible. Il l’a trouvée chez un étranger, chez un homme au cÅ“ur droit qui a su aller jusqu’au bout dans la logique de sa foi au Christ qui commençait à naître en lui : ce qu’il découvrait en Jésus en effet était si beau, si vrai, alors, pourquoi ne pas y croire simplement, pourquoi ne pas croire aux merveilles de Dieu qui s’accomplissaient par le Christ ? Certes, il pensait ne pas y avoir droit, mais il est allé tout de même au devant du Christ avec un cÅ“ur de pauvre.

À chaque eucharistie, avant de communier au Corps et au Sang du Christ, l’Église nous fait redire pour nousmêmes la prière du centurion : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. »

Oui, nous ne sommes pas « dignes » mais la Parole du Christ abolit toute distance. Un mot du Christ, un mot de son Cœur, et la vie de nouveau fait son œuvre en nous, dans les autres, dans l’Église, dans le monde.

Tous les saints ont vécu de cette foi en la Parole de Dieu, en la Parole du Christ, croyant de tout leur cœur en son efficacité. La parole de Dieu est toujours créatrice de vie. Les saints ont été instruits par la Parole de Dieu. L’Esprit Saint les a aussi instruits dans le secret de leur cœur. Et cela s’est manifesté dans le concret de leur existence.

La vie de sainte Jeanne le montre bien. Le bienheureux Gabriel-Maria, son confesseur franciscain, nous dit que « c’était tout son plaisir de prier Dieu et d’avoir toujours Dieu en son cÅ“ur, sur sa langue et dans ses Å“uvres. Elle aimait tant à entendre parler de Notre Seigneur. Son cÅ“ur était entièrement à Dieu et elle prenait plaisir à être avec Lui ou à entendre parler de Lui. » Elle était attentive à la Parole.

L’attention à la Parole de Dieu influence la vie ; elle nous dispose à discerner ce qui plaît à Dieu, dans le concret de l’existence, dans tel événement ; elle peut même éclairer les décisions que nous devons prendre, même celles les plus matérielles. Ainsi Jeanne. Par exemple, on raconte que lorsqu’elle introduisit ses filles dans leur couvent nouvellement construit, elle fit murer une porte et en fit faire une autre près du palais ducal, là où elle habitait, afin d’avoir une entrée dans le couvent plus directe. Décision bien matérielle mais qui ne se fit pas sans réflexion ni prière car, conclut son biographie à propos de ce petit fait, elle était «  dirigée par le Saint Esprit en tout ce qui concernait son ordre ».

Cette attention à l’Esprit Saint, chez Jeanne, a été reconnue par Gabriel-Maria lui-même. Ainsi, concernant son inspiration qu’un jour elle fondera un ordre religieux, il reconnaît que cela lui vient du « béni Saint Esprit ». Jeanne se laissait conduire par l’Esprit de son baptême ; elle était habitée par Dieu, par sa Parole. Et cette Parole informait les moindres détails de sa vie quotidienne.

C’est la Vierge elle-même qui a conduit Jeanne à mettre au cÅ“ur de sa vie la Parole de Dieu afin d’en vivre. C’est encore le père Gabriel-Maria qui nous l’apprend. Il nous dit en effet que la Vierge a enseigné à Jeanne quatre choses : la fréquentation de la Parole de Dieu, la méditation de la Passion du Christ, l’amour de l’eucharistie, et celle de la paix évangélique à susciter autour de soi. Marie a été pour Jeanne une réelle « éducatrice de vie spirituelle », pour reprendre une expression du pape Paul VI dans une de ses exhortations apostoliques : « Modèle de toute l’Église dans l’exercice du culte divin, Marie est encore, de façon évidente, éducatrice de vie spirituelle pour chacun des chrétiens. Bien vite, les fidèles commencèrent par regarder Marie pour faire, comme elle, de leur propre vie, un culte à Dieu, et de leur culte, un engagement de vie. «  (Marialis Cultus, Rome, 1974, n° 21).

« Avoir toujours Dieu en son cÅ“ur » cela signifie qu’on l’écoute, l’écouter pour vivre de Lui, à l’exemple de Marie, qui écoutait le Christ, qui écoutait sa Parole et la mettait en pratique en la donnant aux autres, en les invitant à faire tout ce que le Christ leur dira, comme à Cana : » faites tout ce qu’il vous dira ».   C’est également être à l’écoute de l’Esprit Saint, à l’écoute de son propre cÅ“ur aussi, de ses sentiments et inclinations, afin de chercher en vérité et d’accomplir en tout ce qui plaît à Dieu. C’est bien ce qui nous est demandé dans l’Évangile, et aussi par les fondateurs de l’Annonciade, dans la Règle de vie qu’ils ont laissée à leurs filles où il est dit, au chapitre de la foi,  que « la sÅ“ur qui est de Dieu écoute la Parole de Dieu » – reprenant ainsi ce qu’écrit saint Jean en son évangile : « Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu » (Jn 8, 47), les entend non seulement avec ses oreilles, mais avec tout son être jusqu’à ce que la Parole imprègne réellement ses propres pensées, ses propres paroles et ses propres actions.

Comme l’écrit Benoît XVI : « la foi permet de connaître vraiment  Dieu, et transforme toute la personne. » Mais, « notre connaissance de Dieu dans la foi ne se fait pas sans notre raison. Dieu n’est pas absurde ! Il est mystère, c’est-à-dire surabondance de sens et de vérité, de lumière qui illumine la raison humaine. La foi et la raison ne s’opposent, ni ne se combattent. Elles sont les conditions requises pour comprendre le sens et le message de la Révélation divine », contenue dans les Écritures.

La foi en Dieu, en sa Parole, nous fait véritablement entrer progressivement dans la connaissance de Dieu – objet de notre foi – et cette connaissance transforme la vie ; elle l’ouvre aux vraies valeurs de l’existence humaine.

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