Vitrail, monastère de l'Annonciade, ThiaisLa vertu d’humilité est joyeuse et dynamique, elle donne des ailes ! Pourquoi ? Parce qu’elle se fonde sur la vérité de notre condition humaine, et elle s’en réjouit. Nous sommes créés par Dieu, Il nous aime, Il nous donne tout à profusion : la vie, le mouvement et l’être, comme le dit saint Paul. Nous vivons de sa grâce, nous sommes  en relation   permanente avec Lui.  Nous ne pouvons pas ne pas dépendre de lui, c’est un fait.  L’humilité consent joyeusement à tout recevoir, comme l’enfant reçoit tout de ses parents. L’humilité proclame bien haut qu’elle n’est pas propriétaire des dons et qualités qu’elle peut avoir : elle  accueille, elle remercie, elle  s’émerveille. Elle est libre.

L’humilité, la réapprendre

Reconnaissons-le : l’humilité ne nous est pas naturelle ! Car le péché est entré dans  le monde avec son cortège de misères : ambitions,  rivalités, violences. On veut réussir, être admirés, attirer l’attention. On  soigne son  personnage, on  n’ose pas dévoiler ses faiblesses, ses limites.  Mais cela sonne faux,  on reste  insatisfait. On s’emprisonne en soi-même, alors que la vérité, c’est-à-dire  s’accepter tel que l’on est, rend libre.

Dans l’inconscient collectif, être humble signifie souvent se rabaisser, dire que l’on ne sait pas faire grand-chose. Rien ne plus faux ! Le vrai, c’est plutôt porter sur soi un regard de vérité, réaliste,  comme la Vierge qui se dit la « servante du Seigneur ». Et si la Vierge nous aidait à réapprendre l’humilité ?

Marie très humble

« La Vierge Marie, très humble, comme un arbre chargé de fruits, fut d’autant plus humble qu’elle eut plus de vertu. À son exemple et à sa ressemblance, que les sœurs se considèrent comme des servantes quelconques et les plus petites de toutes, ne jugeant personne et ne critiquant jamais la conduite d’autrui ; car l’un et l’autre jardin, celui de la bonne religieuse comme celui de la mauvaise, seraient incultes si un bon et fervent Jardinier ne les avait cultivés l’un et l’autre. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu de Dieu et de Notre-Dame ? » (Bx Père Gabriel-Maria)

Ce petit texte nous dit deux choses : accepter d’être ce que l’on est, ni plus ni moins ; ce que l’on a ou ce que l’on, c’est un don venant de Dieu. Il s’appuie sur deux passages de l’Écriture : « Ainsi de vous ; lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10). – « Qui donc en effet te distingue? Qu’as-tu que tu n’aies reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu? » (1 Co 4, 7). « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole »  Toute  la vie de Marie est exprimée en ces quelques mots. Elle est au service du Seigneur,  ce qu’Il demande, elle  y consent. Elle sait que tout est don : « le puissant fit pour moi des merveilles. »

Chemin d’humilité

Le célèbre violoniste Arthur Grumiaux écrivait en 1953, à propos de la pianiste Clara Haskil : « J’ai eu la plus grande joie de jouer avec cette artiste magnifique, grande musicienne et… d’une modestie que beaucoup feraient bien d’imiter. » Clara Haskil fait-elle partie des humbles ? Difficile à savoir. Mais ce que l’on sait c’est qu’elle a connu dans sa  vie des situations propres à lui faire toucher du doigt l’humilité, plus exactement, certaines humiliations lui ont fait vivre, peut-être malgré elle, l’humilité, d’où sa modestie, son effacement.  Ainsi, l’humilité, elle l’a vécue en son corps étant handicapée physiquement par une scoliose déformante, elle l’a vécue en son cœur par l’attitude d’un de ses professeurs de conservatoire qui ne l’appréciait pas, elle l’a vécue aussi par sa grande timidité qui lui a fait manquer des rendez-vous qui auraient pu profiter à sa carrière musicale. Ainsi, à Paris, il lui est arrivé de rencontrer Stravinski, Poulenc, Rubinstein, Horowitz, mais sa timidité l’a empêchée de profiter de ces rencontres. Viendra aussi un trac paralysant qui lui fera refuser des concerts sous prétexte que « ça n’ira pas ». Désillusion. Épreuves de santé. Manque de confiance en elle. Si bien que sa carrière de concertiste a piétiné pendant une trentaine d’années. Ce n’est que passée la cinquantaine qu’elle a commencé à être connue sur la scène internationale ; elle est alors devenue  « la grande dame de la musique ». Il  ne lui restait qu’une dizaine d’années à vivre.

L’humble abandon ou la liberté d’être soi

Clara Haskil n’a eu qu’un désir dans sa vie, celui de faire son métier et son métier était de servir les compositeurs. Simple servante, « je suis une quelconque servante », dans la conscience du don reçu, « que puis-je avoir que je n’ai reçu ? » Elle connaissait ses limites, ses pauvretés. Elle a vécu de la perfection qu’elle a découverte chez tant de compositeurs, elle leur est devenue pour ainsi dire leur servante par son interprétation.

Clara avait la maitrise de son art, la connaissance des partitions et des compositeurs qu’elle servait de toute son âme. Elle avait conscience de ses faiblesses. Elle s’est alors confiée à la musique comme on se confie à Dieu, dans un véritable acte d’abandon, de liberté profonde. Quand elle jouait, elle s’abandonnait entre les mains de la musique qu’elle interprétait. Elle s’y reposait. Elle s’oubliait pour servir la musique du compositeur qu’elle interprétait, donnant le meilleur d’elle-même, se donnant elle-même tout entière et sans retour.  Dans ses fragilités, une force émanait. Contraste étonnant entre son apparence fragile, voûtée par sa scoliose, et son jeu inégalé. Humblement, elle a eu confiance en son art, comme on a confiance en Dieu.

L’humble, dans la conscience de ses limites et de ses faiblesses, s’ouvre en effet à la confiance, au véritable abandon de soi entre les Mains de Dieu, entre les Mains de sa miséricorde. C’est un réel chemin de liberté intérieure. Car l’humilité libère des passions qui emprisonnent  Dans un acte d’abandon, l’humble se repose en Dieu. Il sait que Dieu ne condamne pas, qu’il met en œuvre sa grâce et sa puissance pour tout sauver en nous. L’humble s’accepte tel qu’il est. Il devient libre, libre d’être ce qu’il est, d’être simplement soi-même, devant Dieu et devant les autres.

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