La dernière vertu dont parle le père Gabriel-Maria dans la Règle de vie des Annonciades est la vertu de compassion. « En elle, dit-il, consiste la perfection ». Si Gabriel-Maria considère la compassion comme une « perfection » c’est que, pour lui, elle est la vertu qui nous conforme en profondeur au Christ, « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Pour comprendre et vivre la vertu de compassion, Gabriel-Maria se place  au pied de la croix, là où nous pouvons contempler la Compassion même, celle qui prend notre misère, nous relève de toute mort et nous redonne vie  car, dit-il, « dans la Croix se trouve tout bien ; c’est sur elle que s’est accomplie la rédemption du genre humain. C’est donc là que nous trouverons Jésus, la vraie Vie, toute grâce et toute miséricorde et, pour tout dire en peu de mots, tout bien et toute perfection. […] Cela doit bien nous émouvoir et nous inciter à l’aimer et à le louer sans cesse, à vouloir souffrir pour l’amour de lui ce qu’il a souffert par amour pour nous. »

Qu’est-ce que la compassion ?

Si  l’Évangile est la feuille de route de notre pèlerinage terrestre, alors, nous sommes appelés à devenir le plus proche prochain de l’autre, quel qu’il soit, de l’autre blessé par la vie, ou meurtri dans son cÅ“ur, ou malade dans son corps etc. Nous sommes appelés à avoir souci de l’autre, à l’exemple du Christ compatissant. Et nous savons que le Christ nous a aimés jusqu’à la Croix et que sur le bois de sa Croix « ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé » (Is 53, 4).

Avoir de la compassion n’est certes pas avoir de la pitié, car la pitié se teinte parfois de suffisance ou de condescendance, ni s’imaginer ce qui conviendrait à la personne qui souffre ou qui traverse telle ou telle épreuve car nous risquerions d’imaginer ce qui serait bon pour nous si nous étions dans la situation de cette personne. La compassion ne doit pas non plus nous rendre dépendants de  la personne éprouvée. Le piège serait de se croire absolument indispensable. Bien sûr, nous pouvons ressentir la souffrance de notre prochain mais nous ne pouvons pas forcément y remédier ou y répondre ou bien ce n’est pas à nous de le faire.

Être là

La compassion, c’est plutôt être à l’écoute de l’autre de manière à essayer de percevoir ce qu’il ressent, à essayer d’entrer en résonance avec lui, de nous placer à ses côtés et d’adopter son point de vue tout en restant conscient qu’il s’agit de lui et non de nous-mêmes. L’important, c’est notre attention, notre sollicitude, notre délicatesse.

Quelqu’un de compatissant considère, respecte toute souffrance. La souffrance n’est pas, pour lui, un fait indifférent ou quelconque. Compatir pourra peut-être conduire jusqu’à éprouver de la compassion pour ceux qui font le mal ou qui souffrent à cause du mal qu’ils font. Cela ne veut pas dire que l’on approuvera, ni partagera, leurs raisons de mal faire. Mais, ce sera avoir compassion pour leur folie et ce mal qui les ronge et les tue en leur cœur. Chemin de compassion…, chemin de miséricorde et de pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).

Si la compassion consiste parfois à faire quelque chose pour le prochain, souvent elle ne consistera qu’à partager en silence avec quelqu’un ce qu’il éprouve, ce qu’il ressent, à  être là, simplement là.

Le bouquet de myrrhe

Compatir, n’est-ce pas, en définitive, devenir proche de l’autre, n’est-ce-pas savoir se laisser saisir par ce que vit l’autre jusqu’à en être touché, partager ce qu’il vit et le porter en nous-mêmes, comme la Vierge du Stabat a été touchée par les souffrances du Christ, son Enfant. Elle les a partagées avec Lui, souffertes avec Lui. Elle les a toutes prises dans son CÅ“ur ; elle les a senties « dans toute leur force et dans toute leur étendue » (Bossuet). Près de la croix, elle était seulement là. Et c’était tout. Cette passion du Fils, elle l’a portée dans sa mémoire et en elle-même tout le restant de sa vie, comme un « bouquet de myrrhe » reposant sur son cÅ“ur, à l’exemple de la bien-aimée du cantique des cantiques portant en son cÅ“ur l’amour de son bien-aimé (Ct 1, 13).

Le grand musicien qu’a été Jean Sébastien Bach était pénétré du souvenir de la Passion du Christ. Il la portait en lui. Elle était pour lui sagesse et beauté.  La « Petite Chronique », que sa femme Anna-Magdalena a écrite après la mort de son mari, en témoigne.

«  Au fond de son grand cÅ“ur, il portait toujours l’image du Crucifié et sa musique la plus élevée est le cri de ce désir de la mort que lui donnait la vision de Son Seigneur ressuscité. Mes parents m’ont élevée pieusement dans la foi luthérienne, mais la religion de Sébastien était quelque chose de beaucoup plus grand » (p. 69-70).

En se rappelant les Passions :

« Ces Å“uvres venaient du plus profond de l’âme de Sébastien qui les écrivit  dans   la  douleur,   car  il  ne   pouvait penser aux blessures et à la mort du Christ sans souffrir et sans éprouver un sentiment personnel de péché. C’est de cette souffrance que vient la beauté poignante qui  déborde   des   Passions. J’entends encore dans la Passion selon saint Jean ce solo d’alto ‘Tout est consomme’ qui m’a toujours paru tellement grandiose et douloureux » (p 212).

« Cette musique vient directement de l’âme, où  Sébastien avait toujours son refuge en dépit des soucis qui, les derniers temps de sa vie, l’accablaient. Plus je le connaissais, lui et ses Å“uvres, plus je me rendais compte de cela. Il avait toujours devant les yeux une vision vers laquelle son esprit tendait passionnément et aurait pu dire avec saint Paul : « Je laisse en arrière les choses qui sont derrière moi pour m’élancer vers le but. » Mais son but, comme celui de saint Paul, n’était pas en ce monde » (p. 213-214).

Alors…., regarder le crucifix, pour avoir la force de tenir bon quand nos jours de vie se font difficiles, regarder le crucifix, pour être là quand d’autres souffrent à nos côtés.

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