Janvier 2020

Seigneur, je n’ai pas le cÅ“ur fier ni le regard ambitieux ;  je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ;  mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais. (Psaume 130)

Mots simples, mots intenses qui déclinent un thème cher à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, celui de l’enfance spirituelle.

Au centre du psaume, l’image d’un enfant, l’image d’une mère. Tendresse des hommes, tendresse de Dieu : « Quand Israël était jeune, je l’aimai… Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour. J’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue ; je m’inclinais vers lui et le faisais man­ger» (Os 11,1.4).

L’enfant : fragile  et confiant dans l’aide des autres, de ses parents. Fragilité et confiance : telle est sa force, celle qui le garde dans la paix.

A l’opposé,  l’orgueil, cet orgueil  qui barre la route à l’Esprit Saint. À l’opposé, la démesure dans les désirs, dans  les projets, dans  les comportements.  La vie se défait.

Le remède à tout cela, c’est bien  celui de la véritable « enfance » de l’esprit, de l’esprit  qui s’abandonne à Dieu non pas d’une manière aveugle et automatique, mais d’une manière sereine et respon­sable.

L’humble confiance s’oppose à l’orgueil, à cet orgueil qui détruit toutes les vertus ; l’humble confiance ouvre sur une plénitude de vie. Telle est la véritable paix. Cette paix qui n’est pas d’abord la tranquillité psychologique mais une abondance de vie. Paix de Dieu. Paix de Ciel. Paix promise.

Là où il y a la paix, Dieu habite.  Et donc, « là où  il n’y a pas la paix, Jésus ne saurait y faire sa demeure Â» (Bx P. Gabriel-Maria).  Sans la paix, la vie s’en va. Car Jésus est Vie.

Garder la paix. Difficile. Mais indispensable. Il en va de la vie. Le premier pas ? Sortir de soi, cesser de se regarder. Ne pas tenir compte de soi. Oubli de soi, si bien que « s’il arrive qu’on nous oublie, nous ne nous fâchons pas mais nous en sommes bien aise… Â» (Bx P. Gabriel-Maria). Difficile, mais chemin de sagesse.  La personne humble serait –elle ainsi  la plus sage?

C’est que l’humilité creuse en soi un chemin et sur ce chemin s’engouffre la grâce de Dieu. En effet,  Â« sans humilité on ne peut recevoir aucune grâce de Dieu Â» (Bx P. Gabriel-Maria). Et la grâce de Dieu est un don inestimable, sans prix.

Sainte Jeanne de France a été humble. Elle n’a pas présumé de ses forces, ni de ses capacités personnelles. Ainsi, dans la fondation de son Ordre, elle ne voulait rien faire sans le conseil de Gabriel-Maria : « Je ne puis agir sans vous et sans votre conseil Â» lui disait-elle. Connaissance de soi va bien avec humilité.

Car l’humble est modeste. Pas de prétention déraisonnable. De la mesure, toujours. Ainsi, l’humble reçoit la force d’en haut, celle du Saint-Esprit. Avec une telle force, on peut aller de l’avant, changer en soi ce qui peut l’être, accepter  ce qui ne peut pas changer.

Humilité et intelligence se tiennent la main. Il y a une intelligence qui pousse à l’humilité, l’intelligence  qui  prend conscience de ses propres limites, de ses faiblesses, si bien que l’on en vient à se confier en Dieu.

Force de l’humilité qui, cultivée, détruit ressentiment, égocentrisme, amertume, revendications etc.  Elle libère la vie.

L’humilité est la plus grande force car elle déplace l’axe de la vie  en Dieu ; ce n’est plus l’univers que l’on fait tourner autour de soi, mais c’est soi-même qui se situe dans la proximité de Dieu, se trouvant ainsi exactement à sa place … c’est-à-dire sous le regard de Dieu.

Humilité et intelligence. Mais aussi, humilité et simplicité. C’était  l’idéal de saint François d’Assise, c’était la vertu qu’il aimait retrouver chez tout le monde : humilité-simplicité, à qui Dieu suffit.  Simplicité qui est regard sur Dieu. Car Il n’y a de vraie simplicité et d’humilité véritable que face à Dieu et face aux autres dans la lumière de Dieu, et non pas en se regardant soi-même et en se diminuant pour le plaisir. Simplicité-humilité se connaît suffisamment pour ne condamner personne. Respect de l’autre. Humilité-simplicité préfère plutôt agir que parler, sans bruit elle fait le bien.

Car les choses vraiment importantes ne sont pas forcément celles qui font le plus de bruit. Les choses vraiment importantes cheminent au cÅ“ur du quotidien, elles s’y mêlent comme un levain dans la pâte. L’essentiel souvent ne se distingue pas de l’insignifiant. L’humilité-simplicité sait être disponible à ce qui se passe, sait attendre. Que penser de tous ces milliards de gestes insignifiants de chaque jour, depuis le début de l’histoire : tel, un jour, le « oui Â» de l’humble Vierge de Nazareth ?

Humilité-simplicité peut changer le cours des choses en bien… car,  l’  « humble ne peut nuire.  Je parle de cette humilité  qui ne veut pas s’élever sur le fragile appui  des  choses périssables,  mais dont la pensée est sincèrement fixée  sur ce qui est éternel… Â» (Saint Augustin)

Alors, par Dieu, se laisser prendre par  la main, comme un enfant, l’enfant de Dieu que je suis, et croire qu’il me conduit de la nuit au matin ; se laisser prendre par la main car avec Lui ma vie se fait, L’écouter me dire au secret : je t’emmène vers demain….

Avril 2020

Comme un cerf altéré cherche l’eau vive,  ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ;  quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu ?  Je n’ai d’autre pain que mes larmes, le jour, la nuit,  moi qui chaque jour entends dire : « Où est-il ton Dieu ? » [ â€¦.]  Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu ! (Ps 41)

Le psaume  débute sur une note de nostalgie. À l’époque où ce psaume est composé, les belles liturgies du temple sont révolues. Le  présent est à l’imploration, aux pleurs et lamentations. Un triste présent a remplacé un  passé serein. Le fidèle est relégué en une région hostile où sa foi est méprisée, tournée en dérision : « où est-il ton Dieu ? Â».  Alors, le priant lance vers Dieu son cri « Pourquoi m’oublies-tu ? Â» Dieu au temps de l’épreuve de son fidèle semble absent.  Devant sa détresse, Dieu peut-il rester sans Parole ? Ce n’est pas possible. Alors, l’homme en prière retrouve l’espérance.  Dieu Sauveur va le tirer vers la lumière.

Désir de Dieu. Soif de Dieu. Pour exprimer cela, le psalmiste prend l’image d’un cerf cherchant à se désaltérer. La soif, image de l’âme désirante. Un refrain scande ce psaume montrant par là que ce désir est récurrent : «Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? Espère en Dieu !…. Â» Un appel que le priant s’adresse à lui-même, un appel qui invite à repousser la tristesse pour saisir la confiance, la confiance en Dieu.

Le cerf, symbole du priant tendu de tout son être vers Dieu.  Car Dieu lui est nécessaire car Il est le Dieu vivant, le Dieu de la vie. La prière est comme le souffle vital, elle est comme  une respiration. C’est dire qu’elle est nécessaire, fondamentale pour qui parcourt le chemin de la vie, pour qui recherche Dieu, une recherche jamais terminée parce que de nouveaux pas sont toujours à faire pour qui recherche Dieu.  «Ceux qui par­courent la route de la recherche de la sagesse de Dieu ne construisent pas des maisons stables, mais des tentes mobiles, car ils vivent de voyages continuels en progres­sant toujours davantage, et plus ils progressent, plus le chemin s’ouvre devant eux, dévoilant un horizon qui se perd dans l’immensité» (Origène). Établis dans la foi en Dieu, la foi peut se déployer, « des chemins s’ouvrent dans le cÅ“ur Â» (Ps 83).

Sainte Jeanne a été ce priant assoiffé de Dieu, tendu vers Lui. « Ainsi mon âme te cherche… Â» Durant les vingt-deux années de son mariage, Jeanne s’est demandé comment réaliserait-elle la promesse divine entendue à l’aube de sa vie, promesse qu’un jour elle fondera un ordre religieux voué à la Vierge. Cette promesse était pour elle comme une eau vive. Elle en avait « soif Â». Les années s’écoulaient et son désir s’intensifiait toujours. L’esprit de Dieu la travaillait, travaillait sa terre intérieure. Docile à ce travail de fond, elle a su reconnaître, le moment venu, l’heure de Dieu, l’heure de réaliser la promesse. En effet, lorsqu’elle  apprit la sentence en nullité de son mariage elle a entrevu dans cet événement douloureux qui la frappait de plein fouet une espérance nouvelle,  celle du bien qu’elle pourra désormais faire, du bien qu’elle aurait aimé faire mais que ses devoirs conjugaux d’alors ne lui ont pas permis d’accomplir :« soudain, quand elle entendit cette nouvelle, il lui était venu et entré dans son cÅ“ur, la pensée que Dieu le permettait, afin qu’elle fît beaucoup de bien, selon qu’elle l’avait tant désiré Â» (Chronique Annonciade).  Elle comprend que ce bien à faire c’est la fondation de cet Ordre religieux, voué à la Vierge.  Elle s’en remit alors à l’Église et l’Église, prudente et sage, resta silencieuse pendant deux ans. Jeanne entra alors dans le temps du désert et de la désolation.  On peut dire qu’elle n’avait, pendant ces deux longues années,  « d’autre pain que ses larmes… Â» Et pourtant, elle n’a pas perdu l’espérance. « Pourquoi te désoler, ô mon âme et gémir sur moi… Espère en Dieu… Â» Elle ne considérait pas son horizon bouché, mais elle pressentait que le temps se lèverait et que le ciel se dégagerait. En effet, ce bien qu’elle veut faire sera finalement béni par l’Église.

En Jeanne coule une source d’eau vive. Cette source est son désir d’union avec le Christ. Ainsi, souvent elle « Ã©tait dans un très grand désir que son cÅ“ur soit, par amour, entièrement uni à celui de Jésus son Sauveur Â».  Jeanne s’est laissé séduire par le Christ en croix : « en contemplant l’amour qu’il lui avait montré, en ce faisant notre Sauveur et Rédempteur et en mourant sur la Croix pour elle, elle languissait de grand désir… Â» De son côté, son confesseur avoue  qu’elle « ne vivait pas, elle languissait. Concernant sa dévotion, j’ose bien le dire : c’était l’une des personnes qui a eu plus de consolations, de révélations, d’inspirations et de sentiment de Notre Seigneur en ses oraisons qu’il y a longtemps qui fut vue sur terre, sans en montrer ni signe ni semblant Â» (Chronique).

La vie de Jeanne est prière avant tout. Elle vivait « au-dedans d’elle-même Â», c’est-à-dire, en dialogue incessant et familier avec son Dieu, ce Dieu qui l’a fascinée. On ne sait si, un jour, elle a été tentée par ces lieux solitaires que sont les déserts, ces grandes étendues qui s’étirent à perte de vue sous l’ardeur du soleil ou la clarté des étoiles ? Mais le dedans d’elle-même a été cette terre de désert tout illuminée car elle cachait Sa Présence… Jeanne savait qu’elle était née pour quelque chose de grand. La Vierge le lui avait fait comprendre, très tôt, lorsqu’elle était encore une enfant. Alors, toujours neuf dans son incessant retour, chaque instant de sa vie, même le plus déroutant comme le fut le procès en nullité, était pour elle, riche de sa Présence.

Cette Présence, elle l’a cherchée à tâtons, dans la nuit de la foi, dans les heurs et malheurs de ses jours. Et plus elle avançait sur le chemin déroutant de sa vie bouleversée, plus s’ouvrait en elle des espaces de communion, de don de soi. Combien de pauvres n’a-t-elle pas secourus ? Combien de détresse n’a-t-elle pas consolée ? Cette Présence, elle l’a aussi cherchée dans la Parole, qu’elle a longuement méditée, qu’elle aimait entendre.  Elle l’a cherchée dans la prière. Le regard de son âme s’est longuement posé sur la croix qui lui a parlé d’espérance et de vie car cette croix n’est-elle pas la clé qui ouvre tous les chemins sans issue ?

Lentement l’amour du Christ s’est épanché en elle comme un parfum, elle s’y est désaltérée comme à une source d’eau vive.  C’est pourquoi, si l’amertume de la croix a passé sur ses jours, elle y a passé comme un vent fertile. Alors,  cette amertume amère l’a conduite non à la révolte mais à la paix, au pardon.  Tout s’est accompli en elle en un seul désir : faire le Bon Plaisir de Dieu. Ce fut pour elle un long labeur. Petit à petit, elle s’est ajustée à la Parole, à la Parole de Vie. Comme la Vierge, elle a dit « oui Â». La Vierge lui a tracé la route, elle l’a conduite près de l’Arbre de Vie. Et Jeanne pas à pas s’est approchée de cet Arbre, y cueillant le fruit des vertus, de ces forces heureuses qui l’ont poussée vers le bien, vers le meilleur d’elle-même à donner.  Et à ce meilleur d’elle-même à donner, elle a été fidèle.

Juillet 2020

Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera ta sainte montagne ? Celui qui se conduit parfaitement, qui agit avec justice et dit la vérité selon son cÅ“ur. Il met un frein à sa langue, ne fait pas de tort à son frère et n’outrage pas son prochain. A ses yeux, le réprouvé est méprisable mais il honore les fidèles du Seigneur. S’il a juré à ses dépens, il ne reprend pas sa parole. Il prête son argent sans intérêt, n’accepte rien qui nuise à l’innocent. Qui fait ainsi demeure inébranlable (Psaume 14).

On pourrait donner comme titre à ce psaume, le juste en marche, car ce psaume évoque une « liturgie d’entrée », sorte de procession de fidèles prête à entrer dans le Temple de Jérusalem. Aux portes du Temple s’instaure une sorte de dialogue entre les fidèles et les lévites : qui peut entrer dans le Temple ? Et les lévites d’énumérer les qualités requises.

Les trois premières – se conduire parfaitement, agir avec justice, dire la vérité – sont comme des engagements d’ordre éthique visant à l’intégrité morale, à la pratique de la justice et à la sincérité des paroles. Les trois suivantes concernent notre relation au prochain – la vigilance dans les paroles, éviter toute mauvaise action contre le prochain, et toute insulte. Les deux suivantes concernent le choix d’une position claire dans le domaine social – ne pas pactiser avec ceux qui font le mal, mais au contraire établir des relations avec ceux qui honorent Dieu et font le bien. Enfin, les trois dernières : être fidèle à la parole donnée même dans le cas où cela entrainerait pour celui qui la donne des conséquences dommageables, ne pas pratiquer l’usure, éviter toute action qui puisse nuire au prochain.

Dans l’évangile, Jésus propose aussi sa « Liturgie d’entrée » lorsqu’il dit « lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Mt 5,23-24).

Faire ainsi c’est demeurer « inébranlable ». C’est construire sa vie sur le roc. Ainsi, « ce psaume doit avoir son fondement au plus intime de nous-même, il doit être écrit dans le cÅ“ur, gardé en mémoire. Le trésor de sa riche brièveté doit être confronté à nous-même nuit et jour. Et ainsi, ayant acquis cette richesse sur le chemin vers l’éternité et en demeurant dans l’Église, nous pourrons enfin reposer dans la gloire du Corps du Christ » (Saint Hilaire de Poitiers).

Il a été donné à ce psaume comme titre « le juste en marche ». Pensons à ce juste qu’a été le bienheureux père Gabriel-Maria que nous fêterons le mois prochain. Juste, il l’a été en effet. En marche, également. Toujours sur les routes, à travers l’Europe. Retenons sa manière de vivre, et laissons de côté ses nombreux déplacements. On peut vraiment dire qu’il « s’est conduit parfaitement » durant sa vie. Un frère qui le connut le dit clairement.

C’est Jean Fillon. Le confesseur des Annonciades de Bourges dans les années 1538. Il témoigne que le père Gabriel-Maria « n’a pas laissé parmi nous son pareil », qu’il « était véritablement notre père en âge et religion, le doux, bon et aimable père, père en miséricorde et toute consolation, le père en savoir et bon conseil, le père en soutien et bon réconfort, le père en justice et équité, le père en tempérance, en force et prudence, le père établi sur la ferme pierre de Jésus-Christ et de la foi catholique, ne s’égarant pas, le père en vraie espérance de la bonté divine et de ses saintes promesses, et par-dessus tout, le père plein de charité et embrasé d’amour envers Dieu et son prochain».
Le juste ? Il est toujours là, aux côtés de son prochain, disponible, ne peut rester impassible devant l’injustice. Il a suivi les sentiers creusés par la Parole divine, et s’est laissé conduire par l’Amour. Tout son espoir est en Dieu, la source de sa vie, le rocher de son cÅ“ur. Si le juste se fait solidaire de ses frères pécheurs, il laisse pourtant de côté les chemins d’égarement, aspirant l’aide de la grâce, celle de l’Esprit saint. Il a pourtant aussi chuté mais son maître unique, l’unique maître, l’a relevé. Ta foi t’a sauvé a-t-il entendu au tréfonds de lui-même. Le juste met sa force et son espoir en Dieu. Le juste sait que Dieu est miséricorde, pardon ; il puise en toute confiance l’eau vive de sa bienveillance. Le juste est stable dans la foi, établi dans la foi. Des chemins nouveaux s’ouvrent en son cÅ“ur.

Ainsi, l’homme juste, « l’homme vertueux est alors en mesure de tout faire pour la gloire de Dieu », selon saint Paul, en 1 Co 10, 31, « de sorte que toute action, toute parole, toute activité intellectuelle a force de louange. En effet, qu’il mange ou qu’il boive, le juste fait tout pour la gloire de Dieu » (Basile de Césarée).

C’est bien ce que faisait Gabriel-Maria. Voici ce qu’il nous dit. « Quoi que je fasse, soit que je prêche, que je confesse, que je dise mon office ou fasse quelque chose d’autre, que tout soit pour la gloire et l’honneur de Dieu, tout le reste m’importe peu. Et je ne voudrais pas perdre une seule parcelle de temps sans avoir toujours les louanges de Dieu et de sa très digne Mère dans mon cœur et sur mes lèvres, soit en allant et venant, mangeant, buvant, parlant et dormant, autant qu’il est possible. Car je sais bien qu’il n’y a rien de plus salutaire et de méritoire et qui me conforme à la très digne Mère de Dieu, laquelle a toujours magnifié Dieu en ses pensées, ses paroles et ses actions. »

Octobre 2020

Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent, il redresse tous les accablés. Les yeux sur toi, tous, ils espèrent : tu leur donnes la nourriture au temps voulu ; tu ouvres ta main : tu rassasies avec bonté tout ce qui vit. Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait. II est proche de ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent en vérité. II répond au désir de ceux qui le craignent ; il écoute leur cri : il les sauve. Le Seigneur gardera tous ceux qui l’aiment, mais il détruira tous les impies. Que ma bouche proclame les louanges du Seigneur ! Son nom très saint, que toute chair le bénisse toujours et à jamais ! (Ps 144)

Le psalmiste nous présente un Dieu qui aime toutes ses créatures, tout ce qu’il fait. Il est un Dieu plein d’attention pour les plus faibles : « Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent, il redresse tous les accablés ». Il prend soin. Sa sollicitude est faite de tendresse, de fidélité, de bonté, d’attention à chacun, à toute créature, aux plus faibles et démunis. Il n’est pas un Dieu lointain, mais un Dieu proche. En réponse à cela ? L’attente désirante pénétrée d’espérance de ses enfants : « les yeux sur toi, tous ils espèrent ». Nous sommes mendiants de vie. Attitude qui ouvre sur la louange. « Que ma bouche proclame les louanges du Seigneur. »

Le psalmiste se place du côté des bénéficiaires de cet amour bienveillant. Pour le signifier, il emploi des termes qui peuvent définir le vrai croyant : ainsi, le croyant invoque le Seigneur qui se fait proche et le Seigneur répond à son désir, il crie vers le Seigneur et le Seigneur écoute son cri, il craint c’est-à-dire respecte son Dieu et sa volonté en obéissant à sa parole, mais surtout, il l’aime, certain d’être gardé dans son intimité. Quant à détruire les incorrigibles, de la part de Dieu : ne serait-ce pas les incorrigibles eux-mêmes qui se détruisent en s’éloignant du véritable chemin de la vie ? Telle est la justice et la fidélité de Dieu. « Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait ». Une justice qui veut sauver et libérer du mal, et une fidélité qui est le signe de son amour.

Retenons de ce psaume le thème de la sollicitude : Dieu soutient ceux qui tombent, redresse les accablés, il nourrit, Il est proche de ceux qui l’invoquent, Il répond au désir de ceux qui le prient, Il écoute leur cri. Dieu prend soin. Et nous-mêmes ?

D’abord, prendre soin de Dieu en l’aimant, en le faisant aimer, en révélant sa beauté, sa bonté moins par des mots que par une attitude de vie. Prendre soin de tout ce qui existe. Prendre soin de soi-même, et prendre soin des autres, en avoir le souci. Cela suppose de regarder autour de soi, d’être attentif à ce qui se passe, à être disponible. Ainsi Dieu dans ce psaume. Ainsi les saints, telle une sainte Jeanne de France qui « était remplie de charité, en particulier pour les pauvres veuves et pour les enfants orphelins : elle leur venait en aide dans leurs besoins et nécessités… » (Chronique de l’Annonciade).

Dans ses sermons sur les vertus, Gabriel-Maria aborde à plusieurs reprises ce sujet. Prendre soin : quelles attitudes concrètes nous suggère-t-il?
Pour lui, une manière de prendre soin des autres est de « partager généreusement avec le prochain ce que nous avons », d’être « large et très généreux à l’égard du prochain », toutefois pas sans discernement. Car, si prendre soin, c’est venir en aide à son prochain, il est nécessaire de le faire à bon escient, en discernant ses besoins. Cela suppose une charité prudente et délicate. Gabriel-Maria traite de cela en parlant de la vertu de prudence : la prudence « montre de la charité pour le prochain et vient à son aide selon que les circonstances l’exigent, car tout prochain n’est pas également susceptible d’être traité charitablement et d’être aidé. Il faut tenir sagement compte de la qualité et des besoins de chacun et, compte tenu de cela, mettre en œuvre son pouvoir et son affection ». Prendre soin engage l’intelligence, tout autant que le cœur et la volonté.
Prendre soin, pour Gabriel-Maria, ne concerne pas seulement le prochain, mais aussi Dieu en « désirant divulguer sa Gloire afin que, de tous, il soit loué et connu ». Mais comment divulguer « sa Gloire », c’est-à-dire sa Beauté, sinon par une certaine manière de vivre. Prendre soin, avoir de la sollicitude pour les autres, en est une.

Car prendre soin de l’autre fait bien partie de la vie, une attitude de vie, bien plus, c’est même une condition de la vie. Prendre soin des autres, mais aussi de soi, de son chez soi, de sa maison, de son environnement, etc. Prendre soin de l’autre est aussi une manière de le connaître, de lui montrer qu’on l’aime, de le lui faire comprendre d’une autre manière que par des mots. Un simple geste d’attention est si important.

Prendre soin de l’autre, c’est accepter sa part de mystère, c’est reconnaître qu’il y a en lui quelque chose d’unique, quelque chose qui échappe. C’est être avec lui, à ses côtés, sur la route de son cheminement personnel. Prendre soin sans accaparer l’autre, mais lui rendre service et s’effacer.

Prendre soin ne veut pas forcément dire aller au devant de toutes les attentes de l’autre. Car encore une fois, l’autre a une part de mystère qu’il est nécessaire de respecter.
Ce qui est certain c’est que prendre soin est bien une des couleurs de la vie. En effet, quand on essaie de vivre cela, on se rend vite compte que prendre soin est une dimension incontournable de la vie, voire, une de ses dimensions essentielles. La vie serait-elle possible si plus personne ne prenait soin de son prochain, plus personne ne prenait soin de soi-même ? Prendre soin est bien une des conditions de la vie. Prendre soin fait entrer dans la relation à l’autre, on fait l’expérience de quelque chose de la relation à l’autre en termes de fragilité, de précarité, en terme de charité, de compassion.

Enfin, prendre soin consiste presque toujours en de petits gestes, en de petites choses : un bouquet de fleurs, un sourire, une parole d’encouragement etc. Petites épiphanies au quotidien de l’amour fraternel.

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