La Fraternité Annonciade, associée au monastère de Thiais, a souhaité mieux connaître son histoire.  La voici, donc, en ces quelques articles.

 

Il est bon de revisiter cette grâce des origines de la Fraternité, telle que Jeanne et Gabriel-Maria l’ont voulue et mise sur pied. Ce n’est pas un simple  retour sur le passé, une histoire à se remémorer, mais une vie qui est devant nous. Car revenir à la grâce des origines, c’est redécouvrir cette origine pour la faire nôtre aujourd’hui et essayer d’en vivre le mieux possible, selon ce que nous sommes. Alors, on peut dire que la grâce des origines  n’est pas derrière nous mais bien plutôt devant ! Quelle est-elle donc cette grâce des origines ? Elle tient en un seul mot : la paix. Ce souci de la paix, comment a-t-il pris corps chez les fondateurs de l’Annonciade, s’est développé pour parvenir jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à cette Fraternité Annonciade, Chemin de Paix ?

Si Sainte Jeanne n’a pas connu le développement de cette Fraternité de la paix, on peut dire qu’elle en a eu le désir. En effet, il est certain qu’elle a voulu partager ce qui la faisait vivre en profondeur avec le plus grand nombre, en particulier en proposant le dizain des Dix Ave Maria aux personnes proches de l’Annonciade, demandant et obtenant des indulgences pour ceux qui le réciteraient et le porteraient. La Chronique précise que, lorsqu’elle donnait le dizain, elle incitait chacun à être patients dans l’adversité et pacifiques avec le prochain :   « Elle exhortait ceux à qui elle en donnait, à vivre chastement, chacun selon son état, en se remémorant la mort et la Passion de Notre Seigneur, car c’est d’elles que procèdent tous les pardons que nous avons ; et aussi, à être patients dans les adversités, pacifiques avec le prochain, à n’être ni des mécontents ni des détracteurs et à dire les dix «Ave Maria » en l’honneur des dix vertus et plaisirs de la glorieuse Vierge Marie afin qu’elle leur obtienne la grâce, auprès de Dieu, de bien garder ses dix commandements. » (L’Annonciade, Les Sources (LS), Thiais 2010,  114-115 ).

Ainsi, Jeanne souhaite partager son charisme avec toute personne, quelque soit son état de vie.  Elle distribue à qui le désire le dizain, invitant ceux et celles qui le reçoivent à être des artisans de paix. Pour cela, elle propose comme aide, sur cette route de la paix, l’exemple de la Vierge Marie. Mais elle n’aura pas le temps de développer son projet. Gabriel-Maria prendra le relais.

Ceci dit, on peut estimer que cet ordre de la paix, qui est la première dénomination de la Fraternité, est bien issu d’intuitions communes à Jeanne et au père Gabriel‑Maria, et cela dès la fondation de l’Annonciade. Le thème de la paix, la paix à garder, à diffuser autour de soi, est très souvent présent dans les textes fondateurs de l’Ordre fondé conjointement par Jeanne et Gabriel-Maria. Certains textes ont été écrits du vivant de Jeanne:

– Première Règle (1502) au  Quatrième bon plaisir de la Vierge Marie :   « La Vierge Marie, au té­moignage de l’Évangile, salua Élisabeth. Ce salut est un salut de paix. Qu’elle ait dit : Ren­dons grâces à Dieu, ou bien la paix soit avec toi, la raison de ce salut, selon la tradition des saints, fut d’éviter toute paro­le oiseuse, par une salu­tation de ce genre » (Les Sources 668). Ici, la Vierge annonce et porte la paix en entrant dans la maison de sa cousine Élisabeth. On sent l’empreinte toute franciscaine de ce souci de paix, cette paix que saint François d’Assise voulait voir annoncer par ses frères quand ils partaient en mission de prédication, cette paix que le père Gabriel-Maria aimait annoncer et porter avec lui quand il visitait tel ou tel couvent de frères ou de sœurs.   Car il « était un ami de la paix et de la charité…» (LS 612)

– Le Troisième chapitre des Statuta Mariae – un texte de Jeanne – est tout orienté vers la paix. Il s’intitule en effet : « De  la  paix  et  de  la  charité  entre  les  sœurs. » Là, Jeanne, très concrète, donne des directives bien précises afin de préserver la paix une communauté, c’est-à-dire l’harmonie et la concorde entre les personnes. Elle reprenait celles « qui troublent la paix, celles qui parlent mal ou médisent des autres, les menteuses et les flatteuses qui ne peuvent ni vivre en paix elles-mêmes, ni laisser les autres vivre en paix et en charité » (LS 743).

– Cinquième degré de l’échelle de charité que Jeanne a demandé à Gabriel-Maria d’écrire: « Penser que l’esprit malin ne cesse de remuer l’échelle pour faire tomber celui qui y monte, lui suggérant en la fantaisie que les autres ne l’aiment pas ou qu’il ne saurait avoir paix, ni vivre en paix avec tel ou tel…. » (LS 1078). Ce degré est le cœur de l’échelle, écrite par le Père Gabriel-Maria à la demande de Jeanne : « Madame voulait que le Révérend Père donnât à ses filles un statut de pureté et une échelle de charité. » (Les Sources 155) Aimer sans regarder à être aimé est un chemin vers la paix intérieure. L’illusion est de croire que la paix avec son frère n’est pas possible. Là, est l’erreur qu’il faut savoir reconnaître et combattre.

Jeanne a laissé certaines intentions qui lui tenaient à cœur et que l’auteur de la Chronique a consciencieusement notées. La sixième est sur la paix. Jeanne s’adresse à Gabriel-Maria :  « Mon Père, c’est mon désir et mon intention que jamais les Sœurs n’aillent se coucher sans que la Mère n’ait couvert le feu ». Et le père d’expliquer : « Madame nommait son statut, le statut d’amour et charité et disait que c’était la chose qu’elle désirait le plus en sa Religion, la corde des trois cordons, c’est-à-dire que la Mère eût l’amour pour ses Sœurs. Et le second que les Sœurs eussent de l’amour pour leur Mère et le troisième, que les Sœurs eussent de l’amour les unes pour les autres. » Et pourquoi cette insistance de la part de Jeanne ? « La sainte Dame voulait que les Sœurs soient si unies en charité parce que c’est la vertu qui fait plus ressembler à Jésus et à Marie que toutes les autres vertus. » (LS 157).

Jeanne demande ainsi à ses filles de garder la paix entre elles : « Aimez-vous aussi les unes les autres. En faisant cela, on connaîtra que vous êtes filles du Prince de la paix et de la glorieuse Vierge Marie » (LS 129). Elle-même en a donné l’exemple par sa vie. Son attitude au moment de procès en nullité de son mariage le montre bien.  Elle « qui était si vertueuse prit le tout avec humilité, constance et patience, étant toutefois dans une plus grande affliction de cœur qu’elle ne le montrait au dehors. De sorte que cela lui était un tourment extraordinaire, en raison des nombreuses considérations que prudemment elle gardait en son cœur (Les Sources 350). Sa patience, le fait qu’elle garde pour elle certains faits, qu’elle ne colporte pas, montre son souci de la paix.  Ses dernières volontés laissent percevoir également ce souci de paix quand elle dit à Gabriel-Maria : « ne croyez pas légèrement les gens de cour, ni les autres quand leurs paroles sont contre autrui. » Il est important pour elle « de toujours excuser ceux dont on parle mal » (LS 502) En effet, la maîtrise des paroles est un ferment de paix dans les relations.

Tels sont les premiers jalons de la Fraternité. Après la mort de Jeanne, Gabriel-Maria va avoir le souci de faire connaître le charisme de Jeanne, en particulier, son souci de la paix. Il va alors fonder plusieurs Confréries de la paix, écrire de petits traités de spiritualité développant les intuitions de Jeanne. Ce sera le sujet de la prochaine rencontre.

 

Après la mort de Jeanne, le Père Gabriel‑Maria, dans la ligne tracée par Jeanne, a eu à cœur de proposer au plus grand nombre les intuitions entrevues par la fondatrice car il savait que c’était là son désir. Ne l’avait-il pas vue donner le dizain des Dix Ave Maria ? Entre 1513 et 1517, alors qu’il occupe les plus hautes charges de son ordre, qui le tiennent éloigné des monastères de l’Annonciade, il profite de chaque occasion qui lui est offerte pour propager en de petits traités de dévotion mariale, destinés à des confréries de laïques, les orientations spirituelles de Jeanne qui sont le fondement même de l’ordre de la paix, devenu aujourd’hui Fraternité Annonciade, chemin de paix. Car la source première dont sont issues les Fraternités annonciades est bien Jeanne. C’est elle, sa vie, son expérience et son message spirituels que Gabriel-Maria a, en effet, à l’esprit en écrivant ces traités et qu’il propose en exemple. S’il organise, explique, c’est en fidèle serviteur de la pensée de Jeanne. Derrière son texte, affleure un visage, celui de Jeanne.

Le premier traité s’intitule Traité sur la confrérie des dix Ave Maria ou De confraternitate. L’opuscule comporte neuf chapitres. Gabriel-Maria y développe les principales orientations spirituelles de Jeanne : l’imitation des dix vertus évangéliques de la Vierge, la contemplation de la Passion du Christ et des Cinq Plaies, la dévotion à l’Eucharistie, et le souci de la paix. Il nous dévoile l’enseignement que Jeanne aurait reçu de la Vierge. En voici un exemple. Ainsi, la Vierge aurait dit à Jeanne :

« Il y a trois choses qui me plaisent par-dessus tout et qui m’ont toujours beaucoup plu quand je vivais sur cette terre … La première c’est d’écouter mon Fils, ses paroles et ses enseignements… La seconde fut de méditer sur ses blessures, sur sa Croix et sa Passion… La troisième, c’est le très Saint Sacrement de l’autel…. » Et la Vierge d’ajouter : « Fais cela et tu vivras… » Mettre en pratique ces trois choses a pour conséquence la paix et la prière d’intercession. En effet, l’enseignement marial à Jeanne se poursuit ainsi : « Tu chercheras à établir la paix entre tous ceux au milieu desquels tu habites. Tu ne diras rien d’autre que des paroles de paix, soucieuse du salut des âmes. Tu n’écouteras pas les paroles honteuses ou médisantes et dès que tu verras quelques pécheurs, tu diras dans ton cœur : il faut sauver ces pauvres gens. Car, Dieu a permis qu’ils pèchent en ta présence pour voir, lui Dieu, comment tu voudrais prier pour eux et quel labeur tu entreprendrais pour pouvoir les sauver. Excuse-les auprès de Dieu afin d’être, comme je l’ai dit, l’avocate et le défenseur de tous. »

Le second, l’Opuscule sur les trois ordres de Notre-Dame, est adressé au cardinal François Ximénès, franciscain et archevêque de Tolède. Ce traité est composé d’un prologue, présentant les trois dévotions de la Vierge. Puis viennent trois chapitres : ce que l’ont doit connaître, ce que l’on doit dire, ce que l’on doit faire. Ces trois « ordres » ou « dévotions » de la Vierge sont la Parole de Dieu, la Passion du Christ, et l’Eucharistie.

Un troisième petit traité a été composé par Gabriel-Maria, Traité des trois ordres. Le premier « ordre » est de méditer et de prier sur les 10 vertus de la Vierge propres à l’Annonciade, le second, joint au premier,  est de méditer et de prier sur les Cinq Plaies du Christ. Quant au troisième, joint aux deux premiers, comporte les trois dévotions évoquées plus haut : Parole de Dieu, Passion du Christ et Eucharistie.  Et Gabriel-Maria de conclure : « Les frères et les sœurs de cet ordre ont coutume de se recommander matin et soir à la Vierge Marie, à la sainte Croix et à la très sainte hostie qui est le pain de vie et le pain de la route de notre voyage ici bas. Fortifiés par lui, nous parviendrons à l’Horeb, la montagne de Dieu, c’est-à-dire, à la gloire des bienheureux, à laquelle nous conduit la Mère de Dieu, étoile de la mer, reine du ciel, souveraines des anges, mère de la grâce, avocate des pécheurs, la Vierge Marie, Amen. Grâces soient rendues à Dieu et à Marie. »

Si la forme de ces confréries varie, elle module néanmoins sur deux idées fortes : une orientation vers les 10 vertus et l’imitation de Marie d’une part,  et  d’autre part, vers les trois dévotions franciscaines de la Parole de Dieu, de la Passion du Christ et de l’Eucharistie. Ils sont véritablement les racines de l’ordre de la paix, même si dans ces textes, ni dans leur approbation générale obtenue du pape Léon X le 6 juillet 1517, on ne parle pas « d’Ordre de la Paix », mais de premier, deuxième, troisième ordre, de confraternité… de la Vierge Marie.

En écrivant ces traités Gabriel-Maria a contribué à faire connaître le charisme de Jeanne, au gré de ses déplacements.  Car en ces années 1513-1516 – dates de composition des traités – il est vicaire général et en tant que tel, il visite les couvents des frères des différentes provinces. Visitant les couvents d’Allemagne, il passe par Nuremberg et dédie son premier traité, le De confraternitate, aux sénateurs de la ville les invitant à faire bon accueil à ce texte. Il présente un second traité, l’Opuscule sur les trois ordres de Notre-Dame, pour approbation, à l’archevêque de Tolède, franciscain, étant en Espagne. Devant aller visiter les provinces anglaises, il dédie son troisième traité à Catherine d’Aragon, reine d’Angleterre. Dans les circonstances que ses différentes charges au sein de son Ordre le plaçaient, il a su saisir l’occasion de diffuser le message de Jeanne de France. Le premier d’ailleurs il en vivait. On le verra la prochaine fois.

En terminant, un regard vers ces « trois dévotions » que sont la Parole de Dieu, la Passion du Christ et l’Eucharistie. On peut dire qu’elles sont bien présentes tout au long des évangiles, en particulier dans l’évangile de Cana, en Jean chapitre 2, versets 1 à 12.  Ainsi, le « Faites tout ce qu’il vous dira » renvoie à la Parole de Dieu. Être à l’écoute de cette Parole et la mettre en pratique. C’est cela que la Vierge conseille aux serviteurs de la noce ; la Passion est présente dans « Ce n’est pas encore mon Heure ». En effet, « Heure », en saint Jean renvoie à la Passion. L’Eucharistie est comme annoncée en cette eau devenue le meilleur des vins. Enfin, le « ils n’ont plus de vin » renvoie à la prière d’intercession conseillée à Jeanne par la Vierge.

 

Le Pape Léon X reconnait le bienfait que peuvent avoir pour la vie chrétienne des fidèles les confréries mariales, fondées par Gabriel-Maria, et dont le but est de promouvoir la paix. Ce dernier, en fidèle disciple de saint François, la promouvait. Son premier biographe écrit : « Par-dessus toutes choses, le révérend père était un ami de la paix et de la charité ; il les gardait et recommandait particulièrement en tous lieux où il allait. S’il trouvait en quelque couvent quelques petites querelles, étant donné que nul n’est parfait tant que nous sommes en ce monde, il se mettait en peine de remettre tout dans la paix et dans l’union. Quand il arrivait dans un couvent ou dans une maison, il annonçait la paix. Quand il s’en allait, il laissait et recommandait la paix et la charité, priant d’un cœur paternel de s’entraîner à cela les uns les autres, à l’exemple de notre doux Sauveur Jésus.»

Le 6 juillet 1517, Léon X approuvait deux confréries qui ont été associées à l’Ordre religieux fondé par Jeanne de France: « nous avons approuvé et confirmé ces confréries ou ces ordres par notre autorité apostolique afin de leur donner une existence plus durable. »

Cet “ordre de la paix”, dès ses débuts, est bien accueilli, jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir. C’est ainsi qu’en 1521, Louise d’Angoulême, la mère de François Ier, se posant des questions sur la manière de le mettre en pratique, écrit à Léon X qui la renvoie à Gabriel-Maria: « C’est à notre cher fils de l’Ave Maria, lui dit-il, que nous concédons licence et faculté de trancher tous et chacun des doutes qui, dans leur temps, pourront s’élever à [ce] sujet….»

Cet “ordre de la paix” approuvé par Léon X, est confirmé par son successeur, le pape Adrien VI qui, à cette occasion, envoie à Gabriel-Maria, une note donnant le sens spirituel de cet “ordre de paix” : « L’ordre de la paix, écrit le pape, est fondé sur trois choses : premièrement, que les frères et sœurs de cet ordre doivent garder avec les autres paix et union de cœur ; c’est de jamais n’avoir haine contre qui que ce soit. Deuxièmement, paix dans les paroles ; c’est de ne point détracter ni médire d’autrui. Troisièmement, les actions ; c’est de ne jamais se venger, mais plutôt par œuvre et par effet procurer la paix et mettre la paix entre tous, selon son pouvoir ; car c’est le commandement de Notre Dieu lequel veut que nous nous aimions les uns les autres, comme il nous a tous aimés en donnant son précieux Corps à mort cruelle pour notre rédemption. Il ne veut pas seulement que nous aimions nos amis et parents, mais aussi nos ennemis, et faire du bien à ceux qui nous font du mal et nous persécutent. Jésus vous dit : Bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour ceux qui vous font du mal. Cette doctrine Jésus, notre Amour, l’a mise en pratique pour notre exemple, lorsque sur la croix il a prié pour ses ennemis qui l’avaient crucifié… . C’est pourquoi, il a été institué cet ordre de paix afin d’inciter à vivre en paix et en charité avec tous chrétiens qui désirent être enfants de Dieu et participants du règne de son Fils Jésus. Il est aussi de grande utilité pour apprendre à aimer toujours son prochain.»

Les paroles du pape ont dû réconforter Gabriel-Maria, l’assurer que cet “ordre de paix” est conforme à la pensée de l’Église. Mais, il connaît bien le cœur humain, et ses faiblesses. Que faire, demande-t-il alors au pape, quand on manque à son “ordre de paix” ? « Très Saint Père, l’ordre qu’il vous plaît de nous donner est fort difficile à bien garder, je me permets donc de vous exposer un doute ou une difficulté. S’il advient que, par impatience ou par autre imperfection, quelques-uns des frères et sœurs font quelque faute contre leur ordre de paix, perdront-ils cette grâce de plénière rémission que vous leur donnez à l’article de la mort ? » En effet, le pape Adrien VI a accordé une indulgence plénière à l’article de la mort pour ceux qui auront été fidèles à leur “ordre de paix”.

Et le Saint Père de lui répondre : « Considérant que nous sommes tous pécheurs, nous entendons que ceux et celles qui auront perdu, en quelque jour que ce soit, la dite grâce de plénière rémission, ayant manqué à leur ordre de paix, ils peuvent la recouvrer entièrement pourvu qu’ils se repentent avant d’aller se coucher, et qu’ils disent en leur cœur sincèrement: Seigneur Jésus, mon Sauveur, je confesse que j’ai manqué à mon ordre de paix. Je t’en demande bien humblement pardon, te promettant, qu’avec ta grâce, je ferai mieux dorénavant et me garderai, selon ma fragilité, de t’offenser, à l’avenir. »
Gabriel-Maria n’a pas seulement promu la paix, il la suscitait autour de lui, en véritable artisan de cette paix. Les difficultés traversées par sa famille religieuse devaient l’affecter profondément. Il n’est pas étonnant de le voir porter en son cœur ce souci de la paix et de l’unité. Dans le Livre de dévotion d’une religieuse du couvent des Annonciades de Louvain, conservé à la Bibliothèque universitaire de Gand, on trouve la copie néerlandaise de trois lettres ou exhortations de Gabriel-Maria. Une est adressée certaine¬ment à un couvent de frères. Malheureusement, on ne connaît pas le nom de ce couvent, ni la date, ni les circonstances de ce texte. Quoi qu’il en soit, on perçoit qu’il a eu connaissance de quelques conflits entre des religieux et il désire voir revenue entre eux la paix ; il les relance sur le chemin de l’Évangile : « Mes chers enfants, ayez entre vous un seul cœur et un seul esprit… Ne vous tourmentez pas pour de petites choses critiquables, ne tenez pas à ceci ou cela […]. Soyez doux les uns envers les autres. Que celui qui est un peu plus fort se charge de celui qui est plus malade, supportez-vous les uns les autres et encouragez-vous mutuellement dans la charité, ainsi vous accomplirez le commandement du Seigneur qui, lors de son dernier adieu, priait ainsi : “Père, que tous soient un comme nous sommes un. Qu’ils soient parfaitement unis les uns les autres”. »

Le passage de l’évangile de saint Jean sur l’unité – Jn 17, 18-26 – lui parlait au cœur. Cet ami de la paix était un passionné d’unité. Face aux conflits que traversait son Ordre où deux tendances s’affrontaient, il a travaillé à l’unité. Aux frères de l’un et l’autre mouvement, il disait : « Que les vôtres disent du bien de nous et les nôtres du bien de vous… » Tout un programme !

 

Quel a été l’impact de l’ordre de la paix sous l’ancien régime ? S’il n’y a aucun document à ce sujet, la législation de l’Annonciade peut cependant apporter une réponse. En effet, la Règle de 1517, les Statuts Généraux de 1529 – deux textes de Gabriel-Maria – les Statuta Mariae, un texte de sainte Jeanne, font mention tantôt des « servantes des sœurs »,  tantôt des « sœurs et frères servants ».  Ces personnes « doivent être prudentes, de bonne vie et de bon exemple, elles ne  porteront pas l’habit de religion. Toutefois, elles seront toujours de l’ordre de la Vierge Marie » c’est-à-dire, elles devront appartenir au tiers ordre de la Vierge ou ordre de la paix.

La présence de personnes laïques offrant leurs services montre qu’un monastère d’annonciades, loin de vivre en totale autarcie, entretient des relations avec des personnes séculières, tout simplement parce que le monastère ne peut vivre, ni faire face aux obligations de la vie, aux nécessités matérielles et temporelles de chaque jour, sans avoir besoin d’être aidé dans ces diverses tâches par des employés,  par des hommes d’affaires ou de confiance… afin de permettre aux sœurs de répondre à leur vocation. Ce qu’il faut souligner, c’est que toutes ces personnes, du moins les plus proches de la communauté, si l’on s’en tient à ce que disent les textes, devaient faire partie du tiers ordre de la Vierge, c’est-à-dire, vivre l’esprit de la règle de l’Annonciade en construisant leur vie chrétienne sur la Parole de Dieu, la méditation de la Passion et la fréquentation de l’Eucharistie, tout en étant dans la mesure du possible des artisans de paix. On peut donc penser qu’autour des monastères d’annonciades gravitaient ainsi des personnes laïques membres de l’ordre de la paix. Certes, ces personnes faisaient partie de cet ordre du fait de leurs services envers le monastère. Mais, on peut aussi voir la question du côté de la personne qui sollicitait être associée à la vie du monastère ou qui était sollicitée par les sœurs : celle-ci avait peut-être le désir de vivre de cet esprit marial qui circulait dans les monastères annonciades ? Sur quels critères les moniales choisissaient-elles ces personnes ? Leur choix devait s’orienter vers les personnes qui semblaient « être de l’annonciade » pour reprendre une expression de sainte Jeanne tirée de son Testament, au passage où elle conseille à Gabriel-Maria la prudence dans ses rapports avec les personnes séculières sauf avec celles qu’il saurait être « parfaitement connues pour être de l’Annonciade. » De plus, Jeanne donnait le dizain ou les Dix Ave Maria « à tous ceux qui en voulaient, hommes et femmes pour gagner les pardons. » On peut penser qu’au regard de Jeanne ces hommes et ces femmes étaient de l’Annonciade (Chronique de l’Annonciade).  Ainsi, petit à petit, au fur et à mesure des fondations de monastères, tant en France qu’à l’étranger, l’esprit de l’ordre de la paix se propageait parmi les personnes laïques. On peut dire que dès les débuts de l’Ordre il y a eu partage du charisme avec les personnes laïques.

De plus, des livres parlant de l’ordre de la paix sont édités. Ce qui laisse supposer que cet ordre de la paix, même modestement, vivait. En effet, lors de la réédition de la Règle de l’Ordre, en 1681, à Paris, « L’ordre de la Paix » figure en fin de volume : « De l’ordre de la paix ou des trois ordres des dévotions de la Sainte Vierge ».  Au cours du xviie siècle, plusieurs ouvrages paraissent sur l’ordre de la Paix et les trois dévotions de la Vierge, à l’initiative de tel ou tel frère mineur en contact avec des monastères d’annonciades, par exemple, « Le traité des trois dévotions et des trois couronnes » de Gabriel-Maria que le père A. Hubert, réédite à Anvers en 1645. En 1658, le Père Pierre Marchand, frère mineur récollet, dédicace à sa sœur, Mère Ancelle du monastère de Nivelles, L’Académie ou exercice sur les trois dévotions principales de la Vierge Marie, tombées dans l’oubli, tirées hors de l’antiquité, parce qu’elles pourraient être très profitables aux âmes dévotes… Pas de mention « d’Ordre de la Paix », mais les opuscules du Père Gabriel‑Maria y sont cependant complètement repris. En 1655, le père Honorat Nicquet, jésuite, dans sa biographie du Bienheureux Père Gabriel‑Maria, lui attribue et détaille l’Ordre ou Association de paix. Son livre est édité à Paris et dédié aux « Mères et sœurs de Bourges ». Il cite un bref d’Adrien VI (1523) qui prévoit le soulagement de la conscience de celui qui aurait « manqué à son ordre de paix ». De ce texte, il en a été question lors de la dernière rencontre de la Fraternité, en novembre.

C’est en 1663 qu’est édité, à Paris, le premier livret qui parle explicitement de l’Ordre de la Paix. Il est d’un franciscain, le Père Le Coq. Cet ouvrage va par la suite faire référence. Enfin en 1684, paraît à Bruxelles un ouvrage sur l’ordre de la paix et les trois dévotions de la Vierge Marie de Peeter Vande Velde.

Voilà donc, ce que l’on peut dire de l’ordre de la paix avant la cassure de 1789.

Ainsi, dès  les débuts de l’ordre, il s’est créé un véritable réseau de personnes laïques, à partir des monastères annonciades, au fur et à mesure des fondations. Les sœurs, les frères et sœurs laïcs, participent ainsi à un même charisme, un même appel qui se vit certes de manière différente, selon l’état de vie dans lequel on est. Mais se crée un climat fraternel, fait de relations simples, d’aide mutuelle. Ce que dit saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens peut s’appliquer à ce petit monde qu’est à l’époque un monastère annonciade où des personnes de divers états de vie se côtoyaient et essayaient de vivre en bonne entente, soucieux de paix et de charité. « Je vous exhorte donc, moi le prisonnier dans le Seigneur, à mener une vie digne de l’appel que vous avez reçu : en toute humilité, douceur et patience, supportez-vous les uns les autres avec charité ; appliquez-vous à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous (Eph. 4, 1-6).

Saint Paul est clair : les chrétiens ne doivent pas être divisés entre eux, mais bien au contraire s’aimer et veiller à garder l’unité. Le Christ est le ferment de cette unité, mais il ne peut l’être que si nous regardons vers Lui, vers son amour et non vers nous-mêmes, vers nos propres raisonnements, notre bon droit, ou notre justice…etc. La reconnaissance de la grâce de Dieu reçu au baptême devrait nous unir, et nous aider à cheminer ensemble, au cœur du monde, dans la foi qui est la nôtre. Alors, un lien se crée. Le lien de la paix que saint Paul appelle ailleurs « le lien de la perfection » (Col 3.14). La paix établit un lien entre ceux qui la possèdent et constitue l’unité. Mais, bien que cette unité soit ainsi une œuvre de Dieu, tout fidèle peut contribuer à l’augmenter ou à la détruire, selon qu’il agit par amour ou qu’il se livre à l’égoïsme, à l’orgueil. De là l’exhortation. Ce lien de la pax, tel était le désir de Jeanne, selon certaines Maximes de Gabriel-Maria: « Ce que cette grande sainte et servante de Dieu désirait donc en premier, c’était la sainte charité, dans l’union et la parfaite concorde des cœurs – vertu qui devait faire le caractère et l’esprit de son ordre…. Aussi, appelait-elle ordinairement cette douce union qui procède de la sainte charité, « le lien de la perfection » selon la pensée de saint Paul : «Ayez la charité qui est le lien de la perfection. » (Co. 3,14).

 

 Artisan de paix, c’est vivre sous la mouvance de l’Esprit saint qui travaille notre vie profonde. Et ce travail de fond va se donner à voir dans nos actions. Combien de frères et de sœurs de l’ordre de la paix ont vécu ce que saint Paul décrit dans sa lettres aux Galates (5, 22-26). Après le séisme révolutionnaire de la fin du 18è siècle, des hommes et des femmes modestement font revivre cet ordre de la paix.

XIXe siècle

Au cours du XIXe siècle, on assiste à la parution de quelques ouvrages sur l’ordre de la paix, tant en France qu’en Belgique, ce qui signifie que cet ordre existe bien. Paraissent aussi des biographies sur sainte Jeanne et les auteurs ne manquent pas de parler de cet ordre de la paix. Par exemple celle en 1878, de l’Abbé Victor Hébrard.

D’autre part, au monastère de Villeneuve-sur-Lot, restauré en 1816, est canoniquement rétabli l’ordre de la paix. Ce rétablissement a lieu sous la présidence de l’évêque d’Agen, le 26 mai 1880. Cette solennité a été précédée d’une retraite de huit jours, prêchée par le chanoine Sourrieu (1825-1899), chapelain de Notre-Dame de Roc Amadour. L’aumônier du monastère, le chanoine Jean-Hyppolite Salabert, a été nommé premier directeur de l’association par l’évêque qui reçut les premières admissions. Entre 1880 et 1915, il y a eu 192 admissions dans l’ordre de la paix, pour le monastère de Villeneuve-sur-Lot. Après cette date, faute d’organisation suffisante, l’ordre de la paix en ce monastère n’a pu prospérer, du moins provisoirement.

XXe siècle – En France et Angleterre

1916, année du centenaire de la restauration du monastère de Villeneuve. Des festivités ont lieu à cette occasion durant lesquelles est décidée la reprise de la cause de canonisation de Jeanne de France. Des initiatives vont donc être entreprises par ce monastère afin de faire mieux connaître Jeanne ; parmi ces entreprises figure la renaissance de l’ordre de la paix. Celle-ci a lieu le 27 avril 1916, présidée par monseigneur Sagot Du Vauroux (1857-1937), évêque d’Agen, après une retraite de trois jours prêchée par le père Félix Delerue (+ 1939), rédemptoriste. A partir de cette date et jusqu’en 1991, il a y eu 1974 admissions.

D’autre part, en cette même année 1916, Mère Marie Emmanuel Agnéray (1880-1957), du monastère des annonciades de St.-Margaret’s Bay, en Angleterre, est envoyée pour un temps au monastère de Villeneuve-sur-Lot pour donner à la communauté des leçons de chant grégorien. La mère ancelle du monastère de Villeneuve, décidant de relancer l’ordre de la paix, va demander à Mère Marie-Emmanuel sa collaboration. Celle-ci accepte. Et une fois retournée dans sa communauté, elle reste sur cette lancée et travaille également à la renaissance de l’ordre de la paix en Angleterre, puis par la suite, à Thiais, lorsqu’elle fonde ce monastère, en 1926. Assez vite, un Bulletin de liaison destiné aux membres de l’ordre de la paix voit le jour. Le monastère de Villeneuve comme le monastère de Thiais ont le leur. Par la suite, ces deux Bulletins fusionneront. D’autre part, le monastère de St. Margaret’s Bay publie lui aussi un Bulletin, en anglais, dont la publication se poursuit même une fois la communauté revenue en France, à Thiais, en 1976, et cela, jusque dans les années 1996, époque où il cesse de paraître, suite au décès de la moniale qui en était chargée (1997).

En Belgique

En Belgique, y a-t-il eu une tentative de renaissance de l’ordre de la paix, soit par Tirlemont, soit par Merksem ? Ce qui est sûr, c’est que l’ordre de la paix est officiellement établit en 1943, avec l’approbation du cardinal Van Roey (1874-1961), au monastère de Merksem. A cette époque, il y a une vingtaine de dames qui se rencontrent une fois par mois sous la direction d’un père rédemptoriste : prière, approfondissement de la spiritualité de l’Annonciade. Ceci se prolonge jusqu’en 1948. Après une interruption de plusieurs années, l’ordre de la paix reprend en 1974 au monastère de Westmalle. Sœur Maria-Paula Jansen, chargée de cet ordre, lui donne vite le nom de Fraternité de la Paix. Durant plusieurs années, il y a une dizaine de fois par an une « Semaine de la paix » dont le déroulement s’articule autour des temps de prière, d’enseignement sous forme de conférences, de partage. Un groupe fervent aide à bâtir le planning de cette « Semaine de la paix ». D’autre part, deux fois par an, il y a les « Grands jours de paix ». Ces journées réunissent environ une centaine de personnes. Deux fois par an également, il y a aussi un « Week-end de la paix » dont la participation est d’environ vingt-cinq personnes.

En 1985, quelques membres sensibles à la spiritualité de l’Annonciade prononcent un engagement dans cette Fraternité de la paix, promettant de prier le dizain de sainte Jeanne. Sœur Maria-Paula Jansen leur compose même une prière propre ; à cette époque, une Fraternité de la paix pour les jeunes tente d’être lancée mais celle-ci a un impact éphémère. En 1989, année où la Fraternité fête son quinzième anniversaire, réunissant une centaine de personnes autour de l’Evêque monseigneur Van den Berghe, sœur Maria-Paula Jansen, pour cause de santé, annonce qu’elle doit interrompre sa mission. Cependant, après quelques années d’interruption, elle reprend la Fraternité, animant quelques retraites. Mais sa santé l’oblige encore une fois d’arrêter. Durant toutes les années d’existence de cette Fraternité de la paix, une circulaire paraît quatre fois par an, partageant aux lecteurs la spiritualité mariale de l’ordre ; de plus, trois fois par an une brochure est éditée.

Actuellement, en Belgique, cette Fraternité de la paix, a été reprise par les annonciades apostoliques d’Herverlee qui, en 2004, ont célébré les vingt ans de cette Fraternité. La congrégation d’Heverlee compte également des Fraternités en Afrique.

Revenons en France

À l’approche de la seconde guerre mondiale, le procès de canonisation de Jeanne de France avance à grands pas et beaucoup présentent la future sainte comme « la sainte de la paix ». Des éléments objectifs existent dans le dossier d’ailleurs pour appuyer ce nouveau visage de Jeanne : justement, cet ordre de la paix qu’elle a voulu et qui vit le jour grâce au père Gabriel-Maria. On comprend que les catholiques de l’entre deux guerres puissent être sensibles à ce thème, vu la situation internationale de l’époque. Une messe dite « pour la paix » n’a-t-elle d’ailleurs pas lieu à la Basilique de Montmartre, le 7 juin 1936, présidée par monseigneur Henri-Roger-Marie Baussart (1879-1952)? Le 30 mars 1938, le cardinal Eugenio Pacelli (1876-1958) – cardinal ponent de la cause de canonisation de Jeanne de France c’est-à-dire la personne qui rédige le rapport des différentes étapes du procès en canonisation – adresse une lettre à mère Marie-Emmanuel Agniéray (1880-1957), ancelle du monastère de Thiais. Il lui dit les encouragements du Saint Père à propos de l’ordre de la paix : « Le tiers-ordre de l’Annonciade, si bien nommé l’ordre de la paix, est appelé en effet à rendre de précieux services en ces temps particulièrement troublés… » Toujours actuel, donc, cet ordre de paix !

 

Après la première guerre mondiale, des articles sur l’ordre de la paix paraissent dans telle ou telle brochure, ainsi que des feuilles volantes de propagande, en France et en Angleterre. Ces publications sont à replacer dans le contexte de la reprise de la cause de canonisation de Jeanne de France qui a été rendue officielle en octobre 1917 par l’évêque d’Agen, monseigneur Sagot du Vauroux. Les parutions sur l’ordre de la paix se poursuivent pendant et après la seconde guerre mondiale, jusque dans les années 1984. Toutefois, les biographies parues sur sainte Jeanne le mentionnent. Insignes, images, notices de propagande se multiplient, édités aussi bien en France qu’en Angleterre. Après la canonisation (1950) elles se font plus rares. Cependant, si ces diverses parutions ont contribué à faire connaître l’ordre de la paix, des prêtres vont prendre à cœur cet ordre de la paix, tel le père Richard Defrennes (1868-1943), franciscain.

Si de 1922 jusqu’à sa mort, en 1943, le père était l’aumônier des membres de l’ordre de la paix affiliés au monastère de Thiais et que des prêtres franciscains ou autres ont poursuivi sa tâche, petit à petit, cependant, en ce qui concerne les personnes affiliées au monastère de Thiais, celles-ci se sont dispersées et leur suivi est devenu individuel, souvent par correspondance, et pris en charge par une moniale. Mais dans les années 2000 lors la reprise d’une Fraternité Annonciade, chemin de Paix, à Thiais, en octobre 2001 exactement, des enseignements sont de nouveau à l’ordre du jour. Des réunions régulières ont lieu, un exposé autour de la spiritualité de l’Annonciade est donné, une vie de famille se crée petit à petit. D’autres monastères annonciades d’ailleurs tentent de faire revivre cet ordre de la paix sous cette forme, tels en leur temps les monastères de Villeneuve-sur-Lot, de Brucourt, de Menton, et maintenant Saint-Doulchard, Grentheville, et bien sûr Thiais, et même Grablin qui essaie de lancer une fraternité.

En outre, toujours en France, deux groupes de l’ordre de la paix se sont constitués, en dehors de la mouvance d’un monastère de l’ordre. Même si leur existence a été éphémère, il est intéressant de les signaler. Ainsi, grâce à une correspondance adressée au monastère de Thiais entre 1933-1936, nous apprenons qu’un groupe s’est constitué à Marseille. Plus tard, un autre s’est formé à Lille. Là aussi, il y a la trace d’une correspondance qui s’étend sur une dizaine d’années : 1953 – 1962.
Avant de donner un petit aperçu sur un autre pôle de renaissance, à l’étranger cette fois, quelques chiffres concernant le nombre de personnes affiliées au monastère de Thiais. Ainsi, de 1922, date de la reprise de l’ordre de la paix au monastère de Quentin-Bauchard-Thiais, à 1943, il y a eu 1424 admissions. De 1944 à 1952, 1347 admissions. De 1953 à 2023, 828 admissions.

Au Canada. Tout part de mademoiselle Amanda Lallier (1876-1965), fonctionnaire des postes de 1913 à 1933 à Ottawa. Comment cela ? Après la guerre de 1940, un chanoine de l’église Saint-Vincent-de-Paul, de Boulogne, le chanoine Lorgnier, se rend au Canada. Prêchant au Sacré-Coeur d’Ottawa, il sollicite le parrainage des fidèles pour les sinistrés du Pas-de-Calais. Amanda entend l’appel et y répond. Un prêtre bienfaiteur du monastère de Thiais la met en relation avec cette communauté qui lui parle de l’ordre de la paix. Intéressée, elle forme dans la capitale canadienne un groupe qui s’agrège au monastère de Thiais. Le 2 juillet 1947 ont lieu les cinq premières admissions des affiliés au monastère. A partir de cette date, les admissions vont se succéder.

Amanda Lallier confie la direction des membres aux pères de la congrégation de Marie-Immaculée. Le petit groupe est approuvé par l’archevêque d’Ottawa. Bientôt les pères de Marie-Immaculée se retirent de la direction pour la confier aux franciscains, considérant que cela leur revient en premier lieu. Le commissaire de Terre Sainte, le père Barthélemy Heroux (1901- 1987), ofm, prend alors la direction. Il assume cette fonction pendant plus de 20 ans. Après un passage à Thiais, le 23 septembre 1962, il écrit au monastère : « L’annonciade, source de paix et de joie, a engendré des enfants nombreux au Canada tant demeure vivant l’esprit de sainte Jeanne de France. Quel bien immense ces tertiaires de l’Ordre de la paix retireraient de la présence d’un monastère de l’annonciade en terre canadienne !… » Actuellement, il ne reste plus de membres du groupe d’Ottawa qui a été en relation avec Thiais de 1947 à 1975.

D’autres groupes, moins importants que celui du Canada, ont été constitués, également à l’étranger. Ainsi, un groupe s’est formé en Suisse en 1950, au moment de la canonisation de Jeanne de France. Mais, dès les années 1966-1968, les relations cessent. Un autre groupe a pris naissance en Espagne, également au moment de la canonisation de sainte Jeanne de France. Les archives du monastère de Thiais gardent une correspondance qui s’échelonne de 1950 à 1952.

En terminant, arrêtons-nous un instant sur l’année 1968. En effet, en cette année a lieu une enquête concernant l’ordre de la paix. Faut-il que cet ordre devienne un tiers-ordre ? Cette enquête s’insère dans le travail de rénovation des Constitutions de l’Ordre demandé par Rome et elle est présentée aux membres de l’ordre de la paix par le Père Jean-François Motte, ofm, (1913-2001), alors assistant franciscain et délégué près le Saint-Siège pour l’Ordre de la Vierge Marie. Le Message Marial de l’Annonciade (n° 46, avril 1968 et n° 47-48, Juillet-Octobre 1968) en a donné les résultats. Dans un premier article, le père Jean-François Motte, après avoir rappelé le but de l’ordre de la paix voit dans un premier temps l’apport positif d’un tiers-ordre puis, dans un second temps, l’objection fondamentale à une telle extension, laissant aux membres eux-mêmes le soin de choisir. Le second article, lui, donne le résultat de l’enquête : ceux qui sont pour l’extension de l’ordre de la paix en tiers-ordre: 20 % ; ceux qui sont pour le maintien de l’ordre de la paix, tel qu’il se présente: 80 %.

Cette enquête est intéressante car elle montre combien la pensée des fondateurs de l’Annonciade était comprise par les membres d’alors : un mouvement spirituel dont les membres, fervents et agissants, trouvent dans le simple et constant souci de charité, à l’école de la Vierge, et selon les orientations propres à leur ordre de paix, l’épanouissement de leur vie intérieure, un chemin sûr pour vivre l’Évangile et un moyen efficace de rayonner cette paix du Christ qui, comme le dit saint Paul dans sa deuxième lettre aux Corinthiens nous donne « de solides raisons d’espérer » (2 Co 1, 7).

« En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison ! » (Luc 10, 5). Ainsi a fait l’ordre de la paix, ainsi fait aujourd’hui la Fraternité Annonciade Chemin de paix : chacun, chacune, en effet, est animé du désir de porter vraiment la paix partout où il passe, où elle passe, de l’éveiller. Car tous savent que la paix de Dieu est vivifiante et guérissante, missionnaire. Humblement, c’est l’Évangile de la paix qui se propage.

Fin

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