Icône Annonciade 16

Icône Annonciade

Vivre la foi de l’Évangile

Heureux ceux qui croient sans avoir vu

Jean 20, 19-29

Le soir, ce même jour, le premier de la semaine, et les portes étant closes, là où se trouvaient les disciples, par peur des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu et il leur dit : « Paix à vous ! » Ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur. Il leur dit alors, de nouveau : « Paix à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » Or Thomas, l’un des Douze, appelé Didyme, n’était pas avec eux, lorsque vint Jésus. Les autres disciples lui dirent donc : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas. Huit jours après, ses disciples étaient de nouveau à l’intérieur et Thomas avec eux. Jésus vient, les portes étant closes, et il se tint au milieu et dit : « Paix à vous. Puis il dit à Thomas : « Porte ton doigt ici : voici mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne deviens pas incrédule, mais croyant. » Thomas lui répondit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. »

Commentaire

La foi, c’est difficile. Ce n’est pas évident. Après sa résurrection, Jésus apparaît à ses disciples et ceux-ci ont du mal à croire. Même pour les personnes qui, au cours de la vie publique de Jésus, ont été les témoins de ses miracles et de ses guérisons, la foi n’allait pas de soi. Certes, ils ont bien vu des « choses extraordinaires ». Mais après les avoir vues, ils ont repris leur vie ordinaire. Ces « choses extraordinaires » n’ont pas forcément changé en profondeur leur vie de tous les jours.

Nous aussi, nous sommes touchés parfois, à certains moments privilégiés de notre vie, par les « merveilles de Dieu ». Par exemple, lors d’un temps de retraite spirituelle où, pendant quelques jours, nous avons été portés par une ambiance, des enseignements, des échanges en profondeur, nous avons senti la présence de Dieu en tout cela. Mais une fois de retour chez soi, le quotidien avec ses multiples accaparements a repris ses droits et ces « merveilles de Dieu » deviennent de beaux souvenirs que l’on se remémore avec joie ou nostalgie. Par exemple encore, nous avons assisté à une belle cérémonie religieuse dans une magnifique cathédrale, ou bien nous avons assisté avec ferveur à une eucharistie, ou bien nous avons reçu avec joie la pardon de Dieu, nous avons partagé avec d’autres un texte d’évangile, nous avons écouté de la belle musique, admiré un merveilleux paysage : tout cela a été pour nous des moments d’intense émotion, le désir de donner le meilleur de soi nous a même traversé intensément ; on a compris que l’on était fait pour la vie en abondance, en plénitude. Puis, nous avons été repris par les choses à faire et à prévoir.

L’immédiat s’est vite imposé de nouveau à nous, avec son lot d’habitudes et de routines. Notre relation à Dieu, au Christ alors peut en souffrir. Et à certains moments nous pouvons vivre cela douloureusement. Notre baptême nous porte, grâce au don de l’Esprit Saint, à avoir une relation intense, confiante à Dieu. Pourquoi, donc ces lourdeurs, ce sentiment d’échec ou de recul dans notre vie de relation à Dieu ?

Certes, cela peut venir d’un certain laisser-aller, on laisse Dieu de côté, on vit comme s’il était un étranger. Ou bien, cela peut venir d’une mauvaise compréhension de notre vie avec Dieu. On cherche Dieu ailleurs, dans un ailleurs impossible, alors que Dieu attend chacun là où il vit, dans l’ordinaire de sa vie, afin que, là, il porte des fruits. Dieu n’est pas une drogue qui nous ferait entrer dans un paradis artificiel. Sa présence est cachée sous l’écorce du quotidien. L’imprévu de Dieu a surpris la Vierge Marie à Nazareth, dans son univers familier. Il n’y a pas de disjonction, de rupture, entre l’ordinaire de nos vies et l’éternité de Dieu. Cette éternité, au contraire, commence maintenant, dans l’ordinaire de cette vie, pas de séparation entre l’amour qu’on lui dit dans la prière et celui qu’on lui prouve par le bien que l’on fait, par le service du prochain.

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Et pourtant, aucun des apôtres n’a cru sans voir. Car la béatitude donnée à Thomas est aussi donnée à tous les apôtres. Dans un autre évangile, celui de saint Luc, Jésus dit en effet, aux apôtres qui ont du mal à croire : « Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os, et vous constatez que j’en ai.» (Lc 24, 39-42). Nous avons tous besoin de voir pour croire. Pourquoi donc cette béatitude du croire sans voir ?

vierge-croixPeut-être le Christ veut-il nous préparer à croire quand il fera sombre en nous, autour de nous, à croire envers et contre tout, dans les moments difficiles de la vie, dans ces moments où l’on remet en cause pas mal de choses, les valeurs sur lesquelles nous avons bâti notre existence, notre foi et notre confiance en Lui peut-être ; il nous invite à tenir bon, comme la Vierge au pied de la croix qui, sans voir, croit et espère toujours. Ce que nous avons vu ou pressenti dans la lumière, que la nuit ne nous le fasse pas oublier. Tout cela est vrai. Mais, il y a peut-être une autre raison, celle de faire la distinction entre « preuves » et « signes ».

Nous sommes comme Thomas parfois, nous nous méfions des nouvelles, des rumeurs qui circulent. On a besoin de preuves : « si je ne mets pas mes mains dans ses plaies… jr ne croirais pas ». En disant cela, Thomas et nous-mêmes peut-être confondons « preuves » et « signes ». La différence, quelle est-elle ? Par exemple, au matin de la résurrection, quand cet homme que Marie-Madeleine prend pour le jardinier l’appelle par son prénom « Marie », c’est un signe. Quand les pèlerins d’Emmaüs reconnaissent Jésus lorsque leur mystérieux compagnon de route rompt le pain devant eux, c’est un signe. Dans les deux cas, le signe a touché le cœur de celle ou de ceux à qui ce signe est destiné. Cela a réveillé dans les bénéficiaires du signe quelque chose, leur intelligence n’a pas été forcée, mais en leur cœur quelque chose s’est réveillé, quelque chose de vital, quelque chose qui va les mettre en mouvement. marie-madeleineCar, dans les deux cas, les bénéficiaires du signe vont annoncer ce qui leur est arrivé, vont affirmer la résurrection du Christ qu’ils ont reconnu au-delà de l’apparence que le ressuscité a prise pour se faire reconnaître d’eux. On veut des preuves et des preuves tellement sûres et certaines qu’elles doivent s’imposer à notre intelligence, à notre raison. On veut croire, oui, mais après un raisonnement logique, irréfutable. Mais la foi en Dieu Trinité, la foi au Dieu de Jésus Christ, ne se démontre pas. Elle est d’un autre ordre. Elle est un élan de tout l’être vers Dieu, comme celui de Marie-Madeleine après avoir reconnu celui que son cœur aime s’exclame « Rabbouni ! »

Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Le Christ ne demande pas de mettre de côté notre intelligence dans les choses de la foi. Il nous demande la confiance, il nous demande de lui faire confiance. Cette confiance qui vient du cœur éclaire notre regard, le regard de notre cœur, mais aussi le regard de notre intelligence, de notre raison ; la confiance en Dieu permet de voir et de comprendre ce qui est vrai sur Dieu, et d’y croire. On réfléchit, on raisonne, oui, mais appuyé sur un a priori, celui de la confiance. Notre raison est pénétrée de confiance, tout comme notre cœur.

On voit beaucoup de croyants heureux de croire ; cela renforce la foi. On voit des hommes et des femmes faire preuve de courage et d’espérance au sein même de terribles épreuves. On voit la foi en acte. Les signes ne nous manquent pas. Les saints ont été attentifs aux signes de Dieu dans leur vie. Ainsi, un bienheureux Gabriel-Maria, le cofondateur de l’Annonciade. Jeune encore, il avait un projet de vie : celui de se marier. Or, un jour, un 8 décembre, il assiste à un sermon sur la Vierge Marie. Au fut et à mesure qu’il écoute le prédicateur, il se sent pris par ce sermon, par les paroles du frère franciscain venu parler de la beauté et de la pureté de la Vierge Marie. Son premier biographe raconte qu’il « prit grand plaisir à entendre ces choses. Et, à cette heure, il se sentit touché par le Saint Esprit, enflammé en son cÅ“ur d’un intime amour pour la Vierge Marie. » Le jeune Gabriel-Maria vit en cela un signe, celui de l’appel de Dieu, celui de prendre la Vierge « pour sa Dame, sa Mère et son Amie » en entrant dans l’Ordre franciscain, un Ordre mis sous le patronage de la Vierge Immaculée. Le sermon entendu a été un signe, celui de l’appel de Dieu, et non la preuve : Gabriel-Maria n’a pas vu Dieu l’appeler. Mais il a cru en son appel grâce au signe. Et à ce signe, son cÅ“ur s’est « enflammé. » Il a fait l’expérience qu’ont faite les disciples d’Emmaüs lorsque, en chemin vers Emmaüs, tristes de la mort de Jésus, ils ont été rejoint par un mystérieux voyageur qui, s’enquérant du motif de leur tristesse, leur a annoncé la résurrection du Christ. Alors, leur cÅ“ur est devenu « tout brûlant », si brûlant qu’ils sont devenus des disciples du Christ Ressuscité.

Voir avec le regard de notre cœur nous permet de reconnaître et de comprendre les signes de Dieu en nos vies, ces petits signes qu’il met sur notre route. Ils ne sont pas des preuves mais si nous y sommes attentifs, nous y découvrons toute l’espérance qu’ils portent. Ils relancent notre courage de croire, ils affermissent nos raisons de croire.

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