La Visitation
   La Vierge porte le Christ en elle. Elle est Porte-Christ, Porte-Lumière. Elle porte en elle la Sagesse éternelle, le Christ. Et la Sagesse éternelle la pousse vers les autres ; ici : vers sa cousine Élisabeth. On peut dire que cette fête nous parle de la rencontre, de nos rencontres avec les autres. Quelles sont-elles ? Si nous aimons le Christ, « l’amour du Christ nous pousse vers l’autre et en même temps nous montre le chemin vers lui, malgré les obstacles qui nous séparent ». Nous sommes si différents. C’est une richesse. Mais, parfois, source de conflits ! Cependant, « la naissance de Dieu dans nos coeurs » peut briser les barrières et les obstacles.
   En cette Visitation, les deux femmes, Marie et Élisabeth découvrent le mystère de l’autre. Et cela les comble. Élisabeth s’étonne de son bonheur de recevoir chez elle la Mère de son Dieu et Marie exulte en Dieu son Sauveur.
   La vraie rencontre, c’est quand l’autre est connu et reconnu pour lui-même, où l’autre est pressenti comme plus grand que lui-même car en lui il y a plus que lui-même, puisqu’il y a l’image de son Créateur. Ce qui fait dire aux auteurs que « le mystère profond de l’autre, c’est le Christ lui-même et ainsi la rencontre avec l’autre nous fait rencontrer Dieu même. » Mais est-ce possible une telle rencontre? Cela peut paraître en effet utopique ! Car « des montagnes de préjugés et de complexes nous séparent souvent des autres, des montagnes d’idées qui nous empêchent d’aller vers eux ». Il faut alors « franchir les montagnes de nos peurs et de nos blocages ». Il faut sortir de soi et laisser l’autre ou les autres venir à soi. Il faut ouvrir son coeur, l’élargir toujours plus alors le coeur se met comme à chanter, à l’exemple de Marie dans le Magnificat. Pour cela, il faut mendier la grâce de Dieu, en pauvres.
   « La rencontre débouche sur la louange ». Le Magnificat est le chant « des pauvres en esprit », le chant de ceux et celles qui vivent l’Évangile des Béatitudes. Ceux qui sont pauvres de coeur croient, dans l’obscurité de la foi, et dans une confiance forte que Dieu peut arriver « à bout de leur faiblesse ». Ainsi, « tous ceux qui, sur leur chemin vers Dieu, se heurtent aux limites de leur condition pécheresse et de leur faiblesse » se retrouvent dans ce chant. Chant d’espérance car Dieu, dans l’impossible, ouvre une issue, ouvre un avenir.
 *****
   L’homme n’est pas une île solitaire, mais un être social. Il trouve son véritable visage en s’adressant à l’autre, aux autres, au prochain de sa communauté de vie, de travail, de sa famille etc. Nous nous réalisons nous-mêmes dans le jeu de la relation, des rencontres. Toute vie humaine personnelle est marquée par cela. Nos rencontres sont faites de dialogues, de faits et de gestes, de simples regards parfois, de simple sourires. Cela peut combler de bonheur, ou non, quand on sent de l’indifférence, par exemple. Que de rencontres manquées ! Mais aussi, que de rencontres réussies quand on tourne son visage l’un vers l’autre, vers les autres, quand on porte un regard de bienveillance les uns sur les autres, quand on est tout yeux et tout oreilles les uns pour les autres etc.
   Alors, nous apprenons à connaître ensemble le bien, le vrai, le beau, en vivant les uns avec les autres et les uns pour les autres, en nous écoutant les uns les autres. Mais, tout cela est bien exigeant. Cela demande de sortir de ses égoïsmes, de ses individualismes. Cela exige peut-être à nous poser certaines questions ? Comme par exemple : sommes-nous à l’écoute les uns des autres ? Est-ce que nous prêtons à la personne ou aux personnes que nous rencontrons une attention vraie qui porte le souci de ses préoccupations, la joie de ses bonheurs ?
   Dans nos rencontres, nous n’échangeons pas seulement des mots, mais des paroles ayant du sens ; elles portent un message. Les accueillir en soi, c’est un peu accueillir celui ou ceux qui les expriment. Mais, il n’y a pas que les paroles. Il y a aussi les regards, la voix, les gestes. Tout cela fait et tisse la rencontre. Il y a aussi ce que l’on va faire pendant la rencontre ou après la rencontre. L’action est aussi un message, une parole. Et il n’est pas rare qu’à l’issue de telle ou telle rencontre, on attende de nous une réponse sous forme d’action. Cela nous oblige à aller de l’avant.
 Dans toutes nos rencontres, il y a le jeu du « moi », du « toi », du « nous ». Comment ne pas voir dans cette triade, puisque nous sommes chrétiens, l’image de la Trinité ? Car, nos rencontres ont leurs racines les plus profondes dans le coeur de Dieu, Amour éternel qui se diffuse entre le Père et le Verbe, dans l’Esprit Saint. Sainte Jeanne de France, la fondatrice de l’Annonciade, l’avait si bien compris qu’elle conçoit les relations entre ses filles sur ce modèle trinitaire. Ainsi, elle les invite à s’aimer les unes les autres, à aimer leur Mère Ancelle, elle invite l’Ancelle à aimer ses filles. Cette triple circulation d’amour au sein de la communauté, Jeanne l’appelle « le lien à trois cordons » ou lien de la perfection, reprenant une expression de saint Paul : « par-dessus tout qu’il y ait la charité, en laquelle se noue la perfection », dit l’apôtre (Col. 3,14). C’est ce lien qui est le ciment des rencontres communautaires, des rencontres fraternelles. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de difficultés ! Cela veut dire, qu’en vertu de ce lien, lorsque vient tel ou tel conflit, nous faisons l’effort de la relation.
   Dieu est relation. Relation d’amour gratuit, désintéressé. Il donne et se donne. C’est pourquoi, on ne doit pas oublier l’aspect de don réciproque que devrait avoir toute vraie rencontre. Écouter et répondre avec bienveillance, alors, nous nous donnons à l’autre, aux autres, réciproquement. Dans la rencontre des autres, dans l’écoute des autres, dans le dialogue avec les autres, je me donne, et je reçois. Et je sens bien, au cours d’une rencontre, si je suis présent à l’autre ou aux autres, et réciproquement. Que la rencontre n’est pas pure convenance ! Le climat de la rencontre, de toute rencontre, est importante dans la vie communautaire, familiale, associative etc. Elle peut prendre divers aspects, être un être-ensemble, une être-avec, un être-là , simplement, disponible, écoutant la musique de l’autre, des autres ….
   L’écoute de la Parole de Dieu, les sacrements de l’Eglise, qui sont de véritables rencontres avec Celui qui nous fait vivre, peuvent aider à préparer nos rencontres humaines, à les vivre. Dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans les sacrement de l’église, Dieu nous visite et nous rencontre, en effet. Alors, nos rencontres humaines ne devraient-elles pas être comme le prolongement de nos rencontres familières avec Celui qui est la Parole, qui est la Vie ? Avec Celui qui est le Frère, l’Ami ou l’Époux ? Est-ce une utopie ? Ou bien un appel à grandir dans l’amour de Dieu et de nos frères ? Un appel à porter aux autres le Christ, comme la Vierge de la Visitation, en marche sur le chemin de son pèlerinage de foi.
   Méditation à partir de livre de Anselm Grün, osb / Petra Reitz, Médiaspaul, 2001, p. 54-61.