« Chaque jour [le Christ] s’abaisse comme à l’heure où, quittant son palais royal… il s’est incarné  dans le sein de la Vierge ; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous et sous les dehors les plus humbles… Et de même qu’il se présentait aux saints apôtres dans une chair bien réelle, de même se montre-t-il à nos yeux maintenant dans le pain sacré…. Sachons voir et croire fermement que c’est là, réels et vivants, le Corps et le Sang très saints du Seigneur. Tel est en effet le moyen qu’il a choisi de rester toujours avec nous… » (saint François d’Assise, Adm 1).

Pourquoi commencer cet exposé sur une citation de saint François, alors que l’on va parler de sainte Jeanne de France et de son grand amour de l’eucharistie ? Tout simplement parce que ce saint a beaucoup marqué la vie spirituelle de Jeanne qui  a été dirigée durant toute sa vie par les fils du Pauvre d’Assise. Elle portait sous son habit de duchesse la corde franciscaine, la corde dite de Saint-François que l’on a retrouvée sur elle, à sa mort. Elle se voulait pauvre, humble. Et parce qu’elle a été réellement pauvre et humble, elle a pu entrer en communion avec l’Humble présence de Jésus eucharistie, elle a pu se laisser enseigner par la Vierge, par Celle qui a donné le Christ au monde, elle a pu se laisser aimer par Celui qui est devenu la Vie de sa vie.

Le regard de saint François sur l’eucharistie

Un regard d’émerveillement et d’amour.  François s’émerveille devant ce mystère, devant cette réelle présence du Christ parmi nous : « O admirable grandeur et stupéfiante bonté ! Le maître de l’univers… s’humilie pour notre salut au point de se cacher sous l’humble apparence d’un peu de pain… » (3 let.26).

Regard de foi. François comprend que l’Eucharistie a une influence sur le monde et que cette influence atteint la création entière : « que le monde entier tremble et que le ciel exulte quand le Christ, Fils du Dieu vivant, est sur l’autel… » (3 let, 26).

Regard d’espérance. François comprend aussi que la Présence du Christ parmi nous est permanente, continuelle, grâce à l’eucharistie : « Tel est en effet le moyen que le Christ a choisi de rester toujours avec ceux qui croient en Lui, comme il l’a dit lui-même : voici que je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » (adm 1,22, p. 39).

Certainement, sou souci de la paix découle de son grand amour de l’eucharistie. Chaque eucharistie ne se termine-t-elle pas par  un envoi, celui d’aller porter la paix du Christ ? À ses frères, François recommandait d’aller porter, partout, la paix de l’Évangile.

François, de plus, entretenait une grande dévotion envers la Vierge Marie. Il la considérait comme la « Vierge faite église », c’est-à-dire, comme celle en qui réside le Verbe, le Christ. Pour lui, Marie est le lieu de la Présence réelle. En Marie, simple et pure, François contemple comme dans un Tabernacle « celui qui est tout bien ». En désignant Marie par l’expression « la Vierge faite église »,  François fait un lien entre la Vierge et l’eucharistie, Présence réelle du Christ. En avait-il conscience ?

Regard d’Amour, de foi, d’espérance posé sur le mystère de l’eucharistie,  le souci de la paix, la dévotion envers la Vierge Marie, tout cela se retrouve dans la vie de Jeanne. Pour Jeanne, cette Présence  continuelle de Jésus en son Eucharistie, ainsi que la présence de la Vierge en sa vie, en sa prière,  sont des réalités qui la font vivre, jusqu’à transformer son existence.

Toute la vie  de Jeanne a été sous le signe de l’eucharistie et de la Vierge. En chaque eucharistie, Jeanne a ravivé son amour, sa foi et son espérance  en Celui qui est tout Bien, le Christ, à l’exemple de Marie. Dans sa vie de femme et de chrétienne Jeanne a traduit pour ainsi dire ce qui lui était montré, révélé, communiqué, dans la célébration eucharistique. Si la Vierge a donné le Christ au monde, Jeanne, à son exemple, l’a donné par sa vie. Des mots tels que offrande, don de soi, communion, action de grâce ont pris véritablement chair en elle. Et c’est la Vierge, la femme eucharistique comme l’appelait saint Jean-Paul II, qui a conduit Jeanne à vivre cela, d’une manière bien concrète.

La Vierge a conduit Jeanne à l’eucharistie

C’est la Vierge Marie qui a conduit Jeanne à l’Eucharistie. En effet, on raconte qu’un jour Jeanne  priait Marie de tout son cœur. Elle eut alors le sentiment que la Vierge lui disait : « Il y a trois choses qui me plaisent par dessus tout, c’est d’écouter mon Fils, ses paroles et ses enseignements  […], c’est de méditer sur ses blessures, sur sa croix et sa Passion et (enfin) c’est le très Saint Sacrement de l’autel ou la messe […]  Tu chercheras aussi à établir la  paix là où tu habites…. Fais ceci et tu vivras ».  Jeanne vivra de ces choses qui plaisent à Marie.

La Vierge, dit saint Jean-Paul II, peut « nous guider vers ce très Saint Sacrement, car il existe entre elle et lui une relation profonde […] On peut deviner indirectement le rapport entre Marie et l’Eucharistie à partir de son attitude intérieure. Par sa vie toute entière, Marie est une femme eucharistique (Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, n° 53) Durant toute sa vie, durant tout son pèlerinage de foi, au service et à la suite de son Fils, Marie par son adhésion totale au mystère et à la mission de Jésus, fait sienne la dimension sacrificielle de l’Eucharistie. Se préparant jour après jour au Calvaire, Marie vit une sorte d’Eucharistie anticipée, à savoir, une communion spirituelle de désir et d’offrande (Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, n° 56). Marie nous introduit donc directement par l’exemple de sa vie de foi, de sa vie d’offrande, de consentement, à vivre le mystère de l’Eucharistie dans l’amour. Jeanne a compris et vécu cela. Il y a une attitude de l’existence qui est eucharistique, chez la Vierge Marie, qui est action de grâce, communion  à la personne du Christ, offrande. Et cette attitude a été celle de Jeanne.

Eucharistie transformante

Une des grâces de l’Eucharistie est de renouveler l’être intérieur, de transformer le cœur de la personne qui reçoit Jésus Hostie.  La Vierge, conduisant Jeanne à l’Eucharistie, l’a conduite aussi sur le chemin du véritable amour, sur le chemin de l’union profonde et intime avec le Christ, de l’union transformante.

Souvent, les peintres ou les sculpteurs ont représenté Jeanne sous le symbole du mariage mystique : l’enfant Jésus, passant un anneau ou doigt de Jeanne, sous le regard de Marie. Les artistes, en utilisant le symbole du mariage mystique, ont voulu rendre compte d’une grâce insigne que Jeanne aurait eue vers la fin de sa vie.  Cette grâce, dont bénéficia Jeanne, a une couleur eucharistique, en ce sens que cette grâce a conduit Jeanne à communier intensément au cœur de Jésus, sous le regard de la Vierge qui lui indiquait le cœur aimant de son Enfant. Le cœur de Jeanne s’est alors totalement uni au cœur de Jésus.  Voilà comment elle raconte elle-même à  son confesseur l’événement: « Jésus me demandait mon cœur et je mis la main en ma poitrine pour lui tirer mon cœur, mais je ne l’y ai point trouvé, de quoi je fus étonnée. Et le doux Jésus me regardait très doucement »». Moment de grande paix.

La paix est bien un des fruits de l’eucharistie. À ceux et celles qui étaient proches de l’Annonciade, l’ordre religieux qu’elle fonda à la fin de sa vie, elle demandait d’êtres des artisans de paix dans leur milieu de vie. Elle-même en a donné l’exemple.

Jeanne a longuement médité sur la Passion de Jésus, sur ses souffrances, sur ses Plaies, en particulier sur celle de son cœur transpercé. Étant allée au « cœur et au côté du Christ », son être profond en a été transformé. Elle a vécu ce qu’enseignait saint Augustin aux chrétiens de son époque en parlant de l’eucharistie : « deviens ce que tu contemples, contemple ce que tu reçois, reçois ce que tu es : le Corps du Christ ». 

Ferveur et respect

La dévotion envers le sacrement de l’Eucharistie, de la part de Jeanne se manifeste aussi par la ferveur et le respect, deux composantes de sa piété eucharistique héritée de saint François d’Assise.

François, on le sait, entretient un grand amour pour l’Eucharistie et cet amour est communicatif, Ainsi, écrit saint Bonaventure, « le sacrement du Corps du Seigneur l’enflammait d’amour jusqu’au fond du cœur… » . (Documents, « Legenda Major » 9,2).

Cet amour se manifeste concrètement pour François par le respect de tout ce qui touche à l’Eucharistie – Parole de Dieu, missels, calices, ornements, etc…. Aux frères responsables de couvents il dit en effet : « Je vous en prie […]  suppliez humblement les clercs de vénérer par-dessus tout le Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus Christ ainsi que les manuscrits contenant ses saints Noms et les paroles par lesquelles on consacre son Corps… » (6e lettre). Il redit ceci dans son testament : « Je veux que ce très saint Sacrement soit par-dessus tout honoré, vénéré et que l’endroit où on le garde soit précieusement orné » (Documents, Testament 11, p. 105).

Jeanne aussi entretient un grand respect pour l’eucharistie, une grande ferveur.  Son  amour et sa ferveur pour l’eucharistie lui faisait verser des larmes.  Ces larmes versées par jeanne sont un don de Dieu, une grâce de Dieu. Les larmes de Jeanne ne sont pas des larmes de lamentation et de tristesse, ni celles d’une plainte narcissique, mais celles d’une expérience effective et véritable de la présence divine au tréfonds d’elle-même. Les larmes de sainte Jeanne disent le sentiment profond de cette présence intime en elle. Ce sont des larmes de consolation et de reconnaissance, de consolation par le fait de goûter en elle-même la présence de Jésus, et de reconnaissance pour cet immense bienfait.

L’attitude de Jeanne à la messe est ainsi capable de rayonner sur les autres. Son premier biographe rapporte que qu’elle «  avait une grande dévotion au Saint Sacrement de l’autel » et que sa ferveur eucharistique ne passe pas inaperçue. « Quand Jeanne entendait la messe, c’était avec une révérence et une grande dévotion  […] car sa dévotion particulière était la dévotion au très digne sacrement de l’autel ». Malgré le soin qu’elle mettait à dissimuler son ardent amour pour Jésus Eucharistie, cette dévotion rayonnait sur son entourage, incitant « à la dévotion tous ceux qui la regardaient ».

Ferveur mai aussi  respect.  Là encore, c’est  la Vierge Marie qui enseigne à Jeanne à avoir beaucoup de respect pour l’eucharistie. « Efforce-toi,  de manifester ton respect en écoutant la messe… Quand le Corps du Christ est porté en procession ou à des malades, tu t’y associeras avec respect. Si tu le peux, tu ne permettras pas qu’il y ait des corporaux sales dans les églises, mais tu travailleras à en donner et à les laver afin que tous les ornements d’autel, aussi bien les palles que les corporaux, soient propres. »

Le soin  des églises et du culte est bien dans la ligne de saint François. Ce respect et cette ferveur de Jeanne envers l’eucharistie, on le touche du doigt bien concrètement, non seulement par le témoignage de ses contemporains, mais aussi par une relique parvenue jusqu’à nous, une custode – c’est-à-dire une petite pochette dans laquelle on mettait les hosties que l’on portait aux malades –  qui aurait été faite par Jeanne.  Cette relique est-elle authentique ? On peut se poser la question. Pour ma part, par ce qui vient d’être dit sur sa ferveur et son respect envers l’eucharistie, que Jeanna ait confectionné un tel objet est tout à fait possible.

L’eucharistie, une vie qui fait bouger la vie

L’eucharistie nous renvoie à nos frères. C’est ainsi que la vie eucharistique de Jeanne s’est épanouie en charité bien concrète.  Il est un geste, dans la vie de Jeanne, qui souligne combien elle désire cette communion avec Jésus et Jésus livrant sa vie, c’est celui du lavement des pieds. Cela aussi est un geste bien franciscain. François recondamnait à ses frères, en effet, de se laver les pieds le uns les autre s : « Ils se laveront les pieds les uns aux autres. (Règle de 1221), c’est à dire, ils  vivront l’humble service du frère, du prochain.

Chaque année, au moment du Jeudi Saint, Jeanne lave les pieds de treize pauvres, en souvenir de la Cène du Seigneur. Par ce geste, elle montre que le Christ, pauvre et serviteur, est au centre de sa vie, qu’Il est le modèle à partir duquel elle comprend son existence, Celui à qui elle veut communier. Ce geste du Christ, que Jeanne refait, est l’image de sa vie qu’elle a mise tout entière sous le signe du service, du don d’elle-même. En refaisant ce geste, Jeanne veut à la fois faire mémoire du Christ dans sa Passion, lui manifester son attachement et son amour, mais aussi le suivre et l’imiter.

Ce geste du lavement des pieds, Jeanne ne le fait pas seulement une fois l’an mais quotidiennement par tous les services qu’elle a rendus à son prochain. Toute personne, quel le qu’elle soit, est au centre de ses préoccupations : orphelins, veuves, malades, pestiférés, nécessiteux de toutes sortes, écoliers pauvres, prostituées, riches et pauvres, à tous, Jeanne offre son aide avec douceur et bienveillance, soignant souvent elle-même les malades. Par ses mains, Jeanne a véritablement manifesté et transmis aux autres l’amour du Christ, et cet amour a transformé leur existence et la sienne.

A l’image du Christ, Berger donnant sa vie pour ses brebis, Jeanne, en tant que duchesse, a exercé son autorité d’une manière toute donnée, proche, personnelle, et non pas d’une manière lointaine et impersonnelle. Elle ne s’est pas placée en dehors de son peuple, ou au-dessus, mais bien « avec » lui, venant en aide à chacun, selon ses possibilités.

Jeanne a tout partagé, non seulement ses biens temporel, mais aussi ses biens spirituels, en mettant ses compétences de gouvernement au service de son duché qu’elle administre avec prudence, si bien que dans « les affaires importantes, on venait à elle pour recevoir conseil », en  partageant aussi le don que Dieu lui a fait, c’est-à-dire son charisme de Fondatrice, en le confiant à son père spirituel afin qu’il l’aide à ne pas le laisser sous les boisseau mais à le mettre « en lumière dans l’Église de Dieu » (Chronique de l’Annonciade).

Jeanne s’est véritablement mise à la disposition des autres en donnant et se donnant sans compter, puisant sa force dans la communion au Corps du Christ.  Car donner et se donner ne va pas de soi.

L’eucharistie une force pour choisir le bien

L’Eucharistie est encore pour elle le lieu où elle vient demander le discernement quand elle a des décisions à prendre, tel, le choix d’un confesseur. Jeune encore, « comme elle était à la messe en pensant qui elle élirait pour confesseur, elle pria Notre Seigneur qu’il lui plût de lui inspirer ce qui lui serait le plus agréable et à elle-même, salutaire ». Pourquoi ce recours ? Jeanne sait que l’Eucharistie la fait entrer dans le monde nouveau du Salut, qu’elle l’éduque à une vie nouvelle, que l’eucharistie l’aide à s’éloigner petit à petit du péché pour la tourner vers le monde de la grâce, qu’elle l’aide à reconnaître en sa vie ce qui est le meilleur, qu’elle peut aussi l’éclairer dans sa vie morale. Car Jeanne se sait pécheur.  Certainement l’Eucharistie a été pour elle, avec le sacrement de réconciliation et la prière, un moyen pour résister au mal. Car Jeanne a connu le combat spirituel des moments où elle a dû lutter. Son confesseur le laisse entendre quand il dit : « je  ne l’ai jamais trouvée ayant commis un péché mortel ; quelquefois, par grand ennui, s’en approcha-t-elle mais Notre Seigneur la gardait pour lui éviter de l’accomplir. » (Bx P. Gabriel-Maria) Force du combat mais aussi force de la grâce divine implorée et reçue.

Forte de l’énergie nouvelle, reçue dans ce sacrement, qui est celle de l’Esprit-Saint, Jeanne est entrée aussi, et par le fait même, en communion avec tous les croyants qui forment un seul corps en Jésus-Christ, vivent d’une même vie : c’est la communion des saints qui s’enracine dans la communion eucharistique, germe de résurrection au cœur de l’histoire des hommes. Elle a accueilli avec foi, espérance et amour le don de Dieu qu’est l’Eucharistie, ce « don de la grâce qui purifie, illumine, qui vivifie et transforme de la façon la plus ardente au Christ lui-même…» (St Bonaventure).

En terminant, sa lettre encyclique sur l’Eucharistie, saint Jean-Paul II invitait chacun à se mettre « à l’école des saints », car ils sont de « grands interprètes de la piété eucharistique authentique. » De plus, « en eux, la théologie de l’Eucharistie acquiert toute la splendeur du vécu, elle nous «  imprègne  » et pour ainsi dire nous «  réchauffe  ». Cela, on peut le dire de sainte jeanne ; sa piété eucharistique a bien « la splendeur du vécu ».  Saint Jean-Paul II  invitait  aussi à se mettre  « à l’écoute de la très sainte Vierge Marie en qui, plus qu’en quiconque, le Mystère de l’Eucharistie resplendit comme mystère lumineux. En nous tournant vers elle, nous connaissons la force transformante de l’Eucharistie ». Là encore, l’exemple de sainte jeanne est éclairant, elle qui s’est laissé enseigner par la Vierge, qui s’est laissé conduire par Elle, jusqu’au Cœur du Christ.

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