Extraits du premier chapitre de la Règle :
Que les sÅ“urs apprennent qu’elles doivent tendre et appliquer toutes leurs facultés à plaire à leur Époux, comme de vraies épouses, à l’exemple de la Vierge, par la chasteté, et à  penser,  dire et faire  ce que nous lisons dans l’Évangile que la Vierge a pensé, dit ou fait par le mouvement de cette vertu. Les sÅ“urs, à l’exemple et à l’imitation de la Vierge, pour plaire au Christ leur Époux, ne doivent rechercher aucune chose vaine, ne voulant avoir de familiarité qu’avec le seul Jésus leur Époux. … Heureuse la sÅ“ur qui peut dire, de cÅ“ur et de bouche, Jésus mon Dieu et mon tout ! Oh ! quel beau et spacieux royaume recevra, dans le siècle à venir, la sÅ“ur qui, en ce monde, pour le Christ, a gardé la clôture du cÅ“ur, ne donnant permission à aucune vanité d’entrer par les fenêtres des sens, ni à son cÅ“ur  de se répandre au dehors par ses affections, mais vivant au-dedans d’elle-même d’un amour total, cordial et effectif pour le seul Jésus. Pour avoir plus parfaitement cette chasteté, que les sÅ“urs fuient l’oisiveté, les excès de la table, les relations et conversations inutiles… Qu’elles ne cherchent et ne s’étudient à plaire qu’à leur seul Époux, lequel est tout désirable, tout aimable et le plus beau de tous les époux.Â
Commentaire :
Selon le point de vue des Fondateurs de l’Annonciade, la pureté est d’abord et avant tout une orientation du cœur vers Dieu, une intériorité, une intimité avec le Christ, à l’exemple de celle de la Vierge Marie.
En tout premier, il faut apprendre de la Vierge, en la regardant particulièrement en cet épisode de sa vie qu’est l’Annonciation, à « tendre et appliquer » toutes nos facultés, affectives et raisonnables, à « plaire à Dieu », tendre à ce que ma vie soit ajustée à ce que Dieu veut pour mon bonheur, ajustée à son Amour, à sa Vie en vivant le Décalogue et le double Commandement de l’amour de Dieu et l’amour du prochain. C’est un chemin de Bonheur, un chemin de Vie. Choisis donc la vie, nous dit Dieu dans le Deutéronome ! (Dt 30, 15-19) Le verbe « tendre » ici est important car il implique et suppose un chemin. On est en route, non pas vers n’importe quel but, certes ; il y a une direction donnée et cette direction est celle de mettre ses pas dans les pas de quelqu’un, de s’attacher aux pas de quelqu’un, le Christ, comme la Vierge, la première disciple. Et cet attachement au Christ est vue sous l’angle d’un amour sponsal : plaire au Christ, dit la Règle, « comme de vraies épouses ».
Sainte Jeanne et le bienheureux Gabriel-Maria mettent en effet l’accent sur l’amour, sur le cœur. Mais cette intimité avec le Christ n’est pas d’abord l’œuvre de la raison – bien qu’elle entre en jeu, certes ! – mais celle de la vie profonde, du cœur, de la vie qui s’éprouve en soi en joie, tristesse, peines et soucis, espoirs et bonheurs, qui s’éprouve en soi en un vécu qui petit à petit, au contact du Christ, devrait rejoindre ses sentiments, devrait sentir ce qu’il a lui-même vécu, devrait revêtir le Christ, pour reprendre une expression de saint Paul. « Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises. » (Rm 13,14). Ce chemin vers une communion avec le Christ, c’est Marie qui nous le montre.
Car « Marie fut telle que sa vie peut être l’enseignement de toutes » écrit saint Ambroise. Et de proposer comme modèle sa pureté, c’est-à -dire, toute sa vie car c’est une vie transparente à Dieu, qui laisse voir ce qu’est véritablement une vie selon Dieu, une vie où se conjuguent toutes les vertus. Marie est le modèle de toute vie chrétienne : « Contemplez la pureté de Marie comme dans son modèle véritable : qu’en elle vous apparaisse la beauté de la pureté et de la vérité de toute vertu ; c’est d’elle que vous devez apprendre ce que vous devez corriger, ce que vous devez retenir, ce que vous devez former.»
Au début du chapitre sur la vertu de pureté, Jeanne et Gabriel-Maria, commencent par nous présenter l’exemple de Marie dans l’exercice de cette vertu et, pour ce faire, nous font méditer la question de Marie à l’ange, après avoir entendue son annonce : « Comment cela se fera-t-il puisque je suis Vierge ? » Cette question que pose Marie à l’ange, au moment où celui-ci lui porte l’annonce inouïe de sa maternité est le signe que déjà Marie a dit « oui ». « Comment cela se fera-t-il puisque je suis Vierge ? » En effet, ces paroles de la Vierge indiquent non pas un doute, mais une préoccupation bien concrète : le comment. Si Zacharie, à l’annonce de la prochaine naissance de Jean-Baptiste par l’envoyé divin a demandé un signe : « A quoi connaîtrai-je cela ? Car moi je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge », (Luc, 1., 18), Marie, elle, elle croit. En effet, l’emploi du verbe « faire » au futur indique que, déjà , Marie a accepté la proposition de l’ange. Elle ne demande pas de signe, ne refuse pas sa foi, elle ne doute pas que cela se fasse, mais s’enquiert du comment. Elle constate une difficulté, voire une contradiction puisque le message va à l’encontre de ce qu’elle vit, l’atteignant en plein cœur de son existence, la bouleversant.
Cependant, elle est partie prenante, elle est ouverte, tout accueil, et non pas en état de doute qui rend muet Zacharie, le rend fermé sur lui-même. Et cette ouverture du cœur, cet accueil des choses de Dieu par la foi, éclate dans le Magnificat. Il est frappant de voir qu’Élisabeth ne béatifie pas la pureté de Marie, mais sa foi « Bienheureuse, toi, qui as cru ». Dans le secret Dieu est le témoin de la foi de Marie ! Et Marie reçoit le don de Dieu en elle : le Christ. En nous faisant méditer cet épisode évangélique au tout début de l’itinéraire des dix vertus, les fondateurs nous placent d’emblée au niveau du cœur et de l’accueil du don de Dieu en nous, en un mot, au niveau de la foi.
Vivre cette vertu de pureté, c’est donc, à l’exemple de Marie, croire au don de Dieu et prendre chez soi le Christ, c’est-à -dire, Le recevoir en sa vie, L’accueillir, lui ouvrir sa vie, exposer sa vie à son influence par la méditation de sa Parole, par la prière et la contemplation de ses mystères, par la réception de ses sacrements. C’est une vie ouverte sur la vie d’un Autre en soi, la vie d’un Autre qui, dans le secret de mon être, travaille ma vie, la construit, la transforme invisiblement et sa vie devient tellement mienne qu’elle me devient familière. Cette secrète familiarité avec le Christ ouvre en moi une nouvelle manière de voir la vie, de la vivre, non plus d’une manière fermée sur mon « moi », centrée sur le seul souci de moi-même, mais sur Lui et ce qu’il désire pour mon vrai bonheur.
Certes, il faut prendre soin de soi. Mais ce souci peut devenir envahissant. Dès le début, la Règle de l’Annonciade note les déviances que peut entraîner le seul souci de soi-même : l’oisiveté, les excès dans le boire et le manger, les relations humaines déviées, le désir de paraître, en un mot le culte du moi, le souci exclusif de soi, une vie repliée, donc non épanouie. D’où ce conseil : éviter toute « chose vaine ». À ce souci exclusif de soi, la règle propose le souci de l’Autre, c’est-à -dire, du Christ. Et cela est une béatitude : « Heureuse la sœur qui peut dire … Jésus mon Dieu et mon Tout » !
Ce souci de l’Autre, du Christ, c’est vivre « au-dedans de soi-même » c’est-à -dire, prier, devenir un être de silence, mais cela demande de maîtriser ses désirs, de fuir le souci de paraître, et d’entretenir avec le prochain des relations droites. Avoir ce souci de l’Autre, du Christ, en un mot, c’est s’éloigner de tout ce qui peut Lui déplaire.
Si le souci exclusif de soi, tel qu’il vient d’être définit, nous coupe de la relation au Christ, c’est-à -dire, nous coupe de la vraie vie, nous faisant oublier notre véritable condition qui est celle d’être fils ou fille de Dieu dans et par le Fils bien-aimé, du fait non seulement du baptême, mais, parce que nous sommes tous une personne, tout simplement, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, ce souci exclusif de soi nous coupe aussi, par le fait même, des autres et brouille les relations que nous pouvons avoir avec toutes créatures, avec les choses créées. S’ouvrir au Christ, c’est donc entrer à nouveau dans l’Alliance de Dieu, c’est entrer aussi dans une famille, dans une nouvelle parenté qui nous fait tous des fils de Dieu, donc, tous des frères. Voilà pourquoi, on peut dire que l’amour fraternel est le test de notre intimité avec Dieu, avec le Christ. C’est ce que disait souvent mère Marie de Saint-François (1911-2005), ancelle du monastère des Annonciades de Thiais : «La preuve, disait-elle, que nous sommes dans l’intimité avec le Christ, c’est notre effort de tendresse et de miséricorde pour les autres. »
Vivre la vertu de pureté, c’est vivre, toujours dans la perspective de l’Annonciade, une relation préférentielle, amoureuse, avec le Christ ; cela demande à engager la volonté, c’est-à -dire, son cœur, son courage, à décider de vivre la pureté en posant des petits actes infimes d’amour. Par exemple, en un moment de combat, de tentation, pour témoigner à Dieu d’un peu d’amour, s’obliger à un petit renoncement. La Règle de l’Annonciade propose, à ce sujet, non pas de combattre la tentation, mais de la fuir, de se détourner de l’objet de la tentation, de s’éloigner. « Que les sœurs fuient l’oisiveté, les excès de la table etc…. » Et le moyen de se détourner, c’est de poser un acte contraire à l’objet de la tentation, en un mot, faire un petit sacrifice et … sacrifice en latin veut dire « faire du sacré ! », c’est-à -dire, un acte réservé pour Dieu.
Toujours à propos de l’engagement de soi en vue d’une relation privilégiée avec le Christ, la Règle parle aussi de ne rechercher que ce qui peut être agréable au Christ : « Qu’elles ne cherchent et ne s’étudient à plaire qu’à leur seul Époux, (le Christ) lequel est tout désirable, tout aimable et le plus beau de tous les époux ». Ces deux verbes – chercher, s’étudier – sont plein d’enseignement concret : chercher, c’est-à -dire, se mettre en quête, prendre les moyens, travailler sur soi ; s’étudier, lui, a deux sens. Le premier : faire de soi un objet d’étude, c’est-à -dire, examiner en son cÅ“ur si ma vie est agréable à Dieu ; le second sens met en mouvement la liberté et la volonté, s’exercer à marcher dans le bien, s’y appliquer. Ainsi, ouvrir son cÅ“ur au Christ c’est, avant tout, du domaine de la vie, et non dans celui de la pure raison bien que celle-ci soit partie prenante bien sûr ! La vie de foi est d’abord un agir, bien qu’elle soit aussi une réflexion ! Il faut les deux, mais les fondateurs de l’Annonciade, dans la lignée des maîtres franciscains, mettent l’accent sur la vie.
En terminant, laissons la parole à saint François quand il parle du cÅ“ur pur : « Heureux ceux qui ont le cÅ“ur pur, car ils verront Dieu. Ont vraiment le cÅ“ur pur ceux qui méprisent les biens de la terre, (c’est-à -dire, les regardent d’en haut, du point de vue de Dieu, selon un des sens de ce verbe au temps de François), cherchent ceux du ciel et, ainsi purifiés de tout attachement de l’âme et du cÅ“ur, ne cessent jamais d’adorer et de voir rien d’autre que le Seigneur Dieu vivant et vrai. » (Admonition 16). Pour François, la pureté du cÅ“ur est avant tout un cÅ“ur qui se tourne vers Dieu, un cÅ“ur qui regarde les biens de la terre du point de vue de Dieu, prenant du recul par rapport aux biens, aux personnes, les regardant selon Dieu et dans sa lumière. On est donc loin d’une vertu de pureté étriquée…. On ne pèche pas dans ses actions, ou en son cÅ“ur, en son esprit ou par ses paroles, quand on a le cÅ“ur tourné vers Dieu. Tenir son regard fixé sur Dieu et sur la Vierge, c’est-à -dire vivre sous leur influence, virginise l’être en ses profondeurs. « Aime Dieu et fais ce que tu veux, dit Augustin, car, à ce moment-là , tu ne cours aucun risque. » C’est cela la vraie pureté. Elle est du registre spirituel.
Le regard sur Dieu, sur la Vierge, permet de resituer les choses créées, toutes créatures, selon leur vraie place dans la création. En un mot : « La pureté ne consiste en rien d’autre que de tenir son regard constamment fixé sur Dieu et de lui soumettre toute sa vie. » (St Augustin) Enfin, la pureté n’est-elle pas « l’expression d’un cœur qui connaît la beauté et le prix de l’amour de Dieu » ? Ces quelques mots ont été adressés par Benoît XVI aux personnes consacrées, le 11 décembre 2005. Mais ils peuvent s’appliquer en fin de compte à tout chrétien. En effet, face à la culture occidentale marquée par le relativisme moral et l’individualisme « qui conduisent les personnes à être pour elles-mêmes la seule norme », les chrétiens, selon leur état de vie propre, ont certainement à vivre cette vertu de pureté « comme l’expression d’un cœur qui connaît la beauté et le prix de l’amour de Dieu. »
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