Extrait du troisième chapitre de la Règle :

 La Vierge Marie a toujours été très humble, elle dont le Seigneur a regardé l’humilité. Par le mouvement de son humilité, afin de plaire à Dieu, elle pensa, dit et fit ce qui suit : elle fut troublée, c’est‑à‑dire eut peur, quand elle fut louée par Gabriel. Et, deuxièmement, elle répondit à Gabriel avec humilité : « Voici la Servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole. Que les sœurs se comportent avec humilité ; qu’elles ne s’excusent ni ne se défendent ; qu’elles ne préfèrent pas leurs opinions personnelles à celle de la communauté, ni ne suivent leurs propres impressions, mais disent toujours « Qu’il me soit fait selon votre Parole » et non selon la mienne. Qu’elles obéissent avec simplicité. La Mère Ancelle, de son côté, doit aimer ses sœurs comme des filles très chères et les consoler.
 

Commentaire

Pour nous mettre sur le chemin de l’humilité, la Règle de l’Annonciade nous fait méditer quelques versets du Magnificat et du récit de l’Annonciation. Ces scènes évangéliques laissent déjà entrevoir ce qu’est l’humilité pour l’Annonciade : Dieu se penche vers nous. La grandeur de l’homme est d’être ce qu’il est, une créature de Dieu, et un serviteur de son Créateur. C’est ainsi que la Vierge se voit : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ». Elle se dit la servante du Seigneur, elle est choisie pour être sa Mère, et cette promesse inattendue ne l’a pas exaltée. Du même coup, en se disant servante, elle ne revendiquait aucun privilège comme suite d’une telle grâce ; elle accomplirait ce qui lui serait ordonné : car devant enfanter le Doux et l’Humble, il convenait qu’elle fît preuve d’humilité. Marie est vraie, elle connaît où est sa vraie place : au service de Dieu. Marie est la servante aimante et aimée. Mais Marie hérite aussi de tout un héritage spirituel, celui des Pauvres de Yahvé.

L’Écriture présente souvent l’humilité comme une expérience de la pauvreté en esprit. « Bienheureux les pauvres de cœurs » déclare le Christ dans les Béatitudes. Cette Parole de Jésus résume toute l’expérience du Peuple de Dieu, du Peuple de la Bible. Comment Israël  est-il arrivé à découvrir cette pauvreté spirituelle ?  Israël a commencé par l’expérience de l’homme qui n’a rien, opprimé par les plus riches. Devant le luxe de ces riches, il y a le cri des pauvres. Voyez les Psaumes. Voyez les Prophètes qui vont rappeler aux pauvres qu’ils doivent se tourner vers Dieu, et rappeler aux riches leur devoir. Le verre d’eau donné au pauvre est donné au Christ lui-même, d’après l’Évangile.  Il y a donc un lien profond entre le pauvre et Dieu. L’Écriture nous conduit à l’intériorisation de l’attitude de pauvreté. L’humble, le pauvre est celui qui n’a rien par lui-même mais qui attend tout de Dieu. C’est l’expérience de la pauvreté spirituelle. Tous ces mots désignant l’indigent, le misérable, vont finir par désigner, dans cette expérience progressive qu’Israël fait, une attitude d’âme. « Bienheureux les pauvres en esprit. » L’humilité est donc d’abord cette relation privilégiée entre ceux qui sont démunis, non pas matériellement, mais en eux-mêmes, en leur être, et Dieu. « Dieu, dit la Bible, réclame de toi qu’une seule chose : rien d’autre que pratiquer la justice, aimer avec tendresse et marcher humblement avec ton Dieu. » Voilà donc l’expérience biblique, qui sera l’expérience chrétienne de l’humilité.Ces scènes évangéliques laissent déjà entrevoir ce qu’est l’humilité pour l’Annonciade : Dieu se penche vers nous. La grandeur de l’homme est d’être ce qu’il est, une créature de Dieu, et un serviteur de son Créateur. C’est ainsi que la Vierge se voit : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ». Elle se dit la servante du Seigneur, elle est choisie pour être sa Mère, et cette promesse inattendue ne l’a pas exaltée. Du même coup, en se disant servante, elle ne revendiquait aucun privilège comme suite d’une telle grâce ; elle accomplirait ce qui lui serait ordonné : car devant enfanter le Doux et l’Humble, il convenait qu’elle fît preuve d’humilité. Marie est vraie, elle connaît où est sa vraie place : au service de Dieu. Marie est la servante aimante et aimée. Mais Marie hérite aussi de tout un héritage spirituel, celui des Pauvres de Yahvé.

La Vierge Marie est l’héritière de cette expérience spirituelle. En Elle, cette expérience brille de toute sa lumière. Elle est la pauvre de Dieu. C’est pourquoi, le Seigneur a jeté les yeux sur Elle. Ce que les psaumes disent de la prière des pauvres vient se résumer dans le Magnificat. C’est le cantique de la Vierge humble et pauvre. Le magnificat est la charte de l’humilité. Dans le magnificat la Vierge se situe d’emblée entre la promesse faite aux patriarches et le salut offert aux croyants. Marie fait le lien, en sa personne, entre les promesses d’hier faites par Dieu à Israël et la Béatitude promise plus tard par le Christ. Elle accueille et chante les merveilles de Dieu – c’est-à-dire la tendresse de Dieu. Dieu s’est penché sur sa servante car Il a vu en elle son humilié et sa pauvreté. « Dieu a fait pour moi de grandes choses. » Loin d’écraser, Dieu libère, nous fait monter en Lui. La vraie grandeur est là : en Dieu. L’humilité chrétienne est notre grandeur, non pas la petitesse qui nous accable, mais la petitesse qui, de notre condition humaine, nous élève dans le cÅ“ur de Dieu.

Pour nous aider à suivre la Vierge sur l’humble chemin de la vie, la Règle de vie de l’Annonciade donne quelques exemples pris dans l’expérience de tous les jours. Par exemple, nous aimons tous être loués, alors, au paraître, le texte oppose la vie cachée.

Autre exemple : ne pas suivre son propre sens, ne pas toujours être assuré de son propre jugement même si celui-ci est… judicieux ! Marie dit à l’Ange : « Qu’il me soit fait selon ta Parole. » Accepter d’être conduit par la parole d’un autre. Ne pas dire nécessairement : « J’ai tort. » Il ne faut pas croire que cette humilité me demande de toujours dire : « Je me trompe, je dis des bêtises… » Mais dire : « Je préfère ta parole. Je me mets en retrait et je laisse la parole de Dieu prendre la première place. » C’est cela l’humilité. Et cette humilité ne peut pas ne pas être liée à l’obéissance, une obéissance simple, c’est-à-dire, accepter de ne pas toujours imposer sa parole, son jugement, ses idées.

Il n’y a d’humilité chrétienne  que face à Dieu et face aux autres dans la lumière de Dieu, et non pas en se regardant soi-même et en se diminuant pour le plaisir.

L’humble place sa fierté dans la vénération de Dieu qui lui fait ignorer le mal en paroles et en actes. L’humble se connaît suffisamment pour ne condamner personne, pour respecter l’autre ; il laisse à de plus dignes le pouvoir qui leur revient. L’humble ne brigue pour lui aucune charge. L’humble préfère plutôt agir que parler.

L’humilité telle que la conçoit la Règle de l’Annonciade n’est pas écrasement. Elle est orientée totalement vers Dieu et vers les autres en vue de Dieu. L’humilité est donc service. Et c’est sous cet angle du service que les Fondateurs de l’Annonciade conçoivent  l’autorité : une servante, une ancelle, proche de ses sœurs, dont la vie doit laisser pressentir ce qui devait animer l’être profond de Marie, la Servante. On  rejoint ici saint François qui désirait que ceux qui ont reçu l’autorité soient les serviteurs, les gardiens des frères, ceux qui veillent. Car pour François comme pour Jeanne, l’humilité est vue sous le signe du service. Trois paroles de François illustrent bien cet aspect :

« Que le plus grand se fasse le plus petit ».

« Le frère n’est pas dans la fraternité pour être servi mais pour servir. »

« Qu’ils se lavent les pieds les uns les autres ».

Ces trois paroles, tirées de la première Règle des Frères Mineurs nous mettent au cœur du mystère pascal de Jésus, du Fils de Dieu qui s’agenouille devant ses disciples, qui rejette tout pouvoir, qui se fait serviteur.

De son côté, sainte Jeanne, la fondatrice de l’Annonciade, écrit un de ses biographes, « témoignait de son humilité par ses actions, lorsqu’elle lavait les pieds des pauvres, qu’elle les embrassait avec tendresse et qu’à table elle servait les nécessiteux, avec autant de respect que s’ils eussent été des anges. Cette bonne princesse qui suivait les mouvements de la grâce en toute sa conduite adorait Jésus Christ en ses membres… et avait tant de vénération et d’affection pour eux, qu’elle entrait dans les maisons des incurables et dans les hôpitaux pour y servir les malades » (Barthélemy d’Astoy, p. 33-34). Sa vie humble est le reflet de sa pauvreté spirituelle :  « Il faut avouer qu’elle avait de très humbles sentiments de soi-même et qu’elle n’entreprenait jamais rien que par l’avis de son confesseur et directeur…. Cette même humilité lui faisait cacher les faveurs qu’elle recevait du ciel. Et on n’en eut jamais rien su si son confesseur ne les eût rendues publiques après sa mort. (Barthélemy d’Astoy, p. 34).

Cette humilité de Jeanne se manifeste dans la vie courante par la simplicité : « Elle se mettait sur la chaise qui est encore tout près de la cheminée et les (ses filles) regardait faire leurs petites besognes et elle se réjouissait avec elles si familièrement qu’il semblait que ce fussent ses propres filles. […] Souvent la sainte Dame venait voir comment tout se passait, si ses filles étaient bien nourries et malgré sa dignité royale, elle venait à la cuisine voir faire le potage et les portions de ses filles. Et sans avoir jamais pratiqué le métier à cause de sa noblesse, elle montrait à celle qui le faisait comment elle devait faire et comment il fallait découper la viande. Et les autres jours où elles faisaient maigre, comment elles devaient préparer les œufs …» (Chronique de l’Annonciade).

Ainsi, selon la Règle de vie de l’Annonciade toute imprégnée d’Évangile, s’abaisser, élève, porter son regard sur ses propres limites et faiblesses, éclaire… obéissance et renoncement sont un chemin de liberté intérieure…. Toutes ces grandes idées sont bien évangéliques. Ces paradoxes de l’humilité qui renversent les valeurs sociales les plus courantes sont des foyers de vie intérieure intense, et de clairvoyance chez les grands spirituels surtout. La grandeur promise aux humbles, la défaite des puissants sont annoncés dans les psaumes et Marie dans son Magnificat, on l’a vu,  les chante. Et, toujours dans ce Magnificat,  l’humilité est exaltée à la fois comme une dimension de l’existence des nations et comme une vertu individuelle. En mystique juive, l’humilité est un chemin vers Dieu, tout comme en mystique chrétienne d’ailleurs. L’homme, désapproprié de soi, dans la conscience de ne posséder rien qui ne provienne de la force de Dieu devient libre de soi en vue de l’autre, en vue du don de soi, en vue du service de ses frères.

De l’humilité procède tout bien, toute vraie grandeur. La grandeur d’âme, était une vertu antique ; l’humilité, une valeur chrétienne apparemment contradictoire comme la liberté et l’obéissance. Pourtant, ces deux vertus, liberté et obéissance, ne sont-elles pas deux pôles d’un même mouvement de l’âme qui se recueille pour s’épanouir dans un « oui » ? Ainsi, le « oui » de la Vierge. S’effacer pour accueillir, c’est perdre pour gagner ! L’humilité n’est donc ni la bassesse, ni l’humiliation, mais la lucidité sur soi, la vérité sur soi, le don de soi. Elle mène à la charité, à la miséricorde. C’est la vertu des saints.

Les philosophes antiques préconisaient le renoncement, l’humilité, le détachement mais en vue d’une dépendance de soi, d’une autonomie de la personne. Cette humilité là n’ouvrait pas sur la transcendance, sur Dieu. C’est l’humilité chrétienne qui a opéré cette conversion. Certes, il y a des écueils à éviter. Il y a une fausse humilité qui peut prendre de nombreux visages hypocrisie, faiblesse, lâcheté, démission, compromission.. Si le bien ne fait pas de bruit, l’humilité non plus ! Les choses vraiment importantes ne sont pas forcément mises sur un piédestal ; elles cheminent au cœur du quotidien, elles s’y mêlent comme un levain dans la pâte. L’essentiel bien souvent ne se distingue pas de l’insignifiant. Une parole claire, juste, arrive au milieu de bégaiements et de balbutiements. L’humble sait être disponible à ce qui se passe, sait attendre. Pensons  à tous ces milliards de gestes insignifiants qui éclairent la face secrète de l’histoire!

En fin de compte, l’humilité ne serait-elle pas la racine même de l’existence humaine ? Car, aucun homme en effet n’est capable de se donner la vie, de se maintenir par soi-même dans l’existence ! Il est fait de terre et d’humus mais en cette terre et cet humus Dieu, son Créateur, y a mis son souffle de vie, en même temps que son Image. Le péché a coupé l’homme de son origine divine. L’humilité, c’est-à-dire, la reconnaissance de ce qu’il est en son être profond, le remet sur le chemin de l’Alliance. Tout redevient possible car… « rien n’est impossible à Dieu ».

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