Extraits du quatrième chapitre de la Règle
La Vierge Marie a été très ferme dans la foi et par le mouvement de sa foi, afin de plaire à  Dieu, elle pensa, dit ou fit ce qui suit : par la foi, l’humilité et l’obéissance, elle conçut le Fils de Dieu et s’en alla au pays des montagnes. Elle entra dans la maison de Zacharie, salua sainte Élisabeth, […] et crut à la parole de sainte Élisabeth : « Vous êtes heureuse d’avoir cru que s’accompliront en vous les choses qui vous ont été dites de la part du Seigneur.  À l’exemple et à l’imitation de la Vierge, les sœurs pour plaire au Christ, doivent : être fermes dans la foi, parce que sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu ; concevoir Jésus ; gravir la montagne de la perfection ; faire de bonnes œuvres dans l’Église […], entrer dans la communion des saints et des biens de l’Église.  Pour avoir plus parfaitement cette vertu de la foi, que les sœurs se gardent par-dessus tout de se mêler de certaines questions curieuses ou scrupuleuses au sujet de la foi, mais qu’elles croient simplement ce que croit notre Mère la sainte Église.
Commentaire
Avec la vertu de foi, se creuse, au cœur de la vie spirituelle, le chemin de l’imitation du Christ, à l’exemple de la Vierge : c’est le pèlerinage de la foi que Marie, la première, a parcouru.. Croire en Jésus, c’est s’attacher à lui afin de faire ses œuvres, dans la mesure du possible, et faire ses œuvres c’est, comme la Vierge, le donner au monde, le manifester. Ainsi, l’homme de foi, est l’homme de la transparence à une Présence. La Règle de l’Annonciade invite à demeurer stable, établi, fort dans la foi, désireux de « gravir la montagne de la perfection » c’est-à -dire, le chemin des béatitudes, et d’agir en conséquence, personnellement certes, mais aussi en communauté, en Église. Car l’homme de foi n’est pas un solitaire, il est fraternel, solidaire, faisant partie d’une famille, héritier d’un patrimoine spirituel : c’est la communion des saints. Mais vivre de foi, demande aussi à connaître l’objet de la foi, le Christ. Cette connaissance passe donc par l’enseignement de l’Église, par une vie en Église.
Tel est en résumé ce que développe le quatrième chapitre de la Règle consacré à la vertu de foi. Ce chapitre s’appuie sur la parole d’Élisabeth à Marie, parole qui est une vraie béatitude, celle de la foi : « Bienheureuse, toi, qui as cru » (Lc 1.,45), ce qui faisait dire à saint Augustin : « Elle fut plus heureuse d’avoir conçu en elle la foi du Christ que d’avoir conçu la chair du Christ […] Par sa foi, elle connut le Verbe dans son esprit avant de le concevoir dans sa chair. »
« Bienheureuse toi qui as cru »
La salutation d’Élisabeth révèle une vérité sur Marie dont la présence dans le mystère du Christ est devenue effective parce qu’elle a cru. Cette vérité est celle de sa foi.
Cependant les paroles d’Élisabeth ne représentent pas seulement le point culminant de la foi de Marie dans son attente du Christ, mais c’est aussi le point de départ, le commencement de son cheminement dans la foi. Sur cette route de la foi s’accomplit son « obéissance de la foi » qui se déploie au long de tout son itinéraire.
Croire veut dire «se livrer» à la vérité même de la Parole du Dieu vivant, tout en reconnaissant humblement «combien sont insondables ses décrets et incompréhensibles ses voies» (Rm 11, 33). Marie s’est trouvée au centre même de ces « voies incompréhensibles » de Dieu ; elle s’y conforme dans l’obscurité de la foi, elle y consent de tout son cœur. En Marie, commence l’Évangile vécu, non pas dans l’évidence mais dans la nuit. C’est de nuit que Marie s’est approchée de l’insondable mystère de Jésus ; un mystère qu’elle a longuement médité, ruminé souvent dans son cœur.
La bénédiction d’Élisabeth atteint la plénitude de son sens lorsque Marie se tient au pied de la Croix (Jn 19, 25). Là , elle garde fidèlement l’union avec son Fils, l’union par la foi, par la foi même avec laquelle elle avait accueilli la révélation de l’ange au moment de l’Annonciation. Là , elle redit le même « oui », malgré qu’elle soit à cette heure le témoin, humainement parlant, d’un total démenti des paroles entendues naguère de la part de l’ange. Grande, alors, est la foi dont Marie fait preuve face aux « voies incompréhensibles » de Dieu ! Par une telle foi, Marie est unie parfaitement au Christ dans son dépouillement. Kénose du Fils, et kénose de la foi de Marie. La foi de Marie alors devient, en un sens, la contrepartie de la désobéissance et de l’incrédulité. « Ce que la vierge Ève avait lié par son incrédulité, la Vierge Marie l’a délié par sa foi » (St Irénée, dans Lumen Gentium).
Enfanter le Christ et faire de bonnes Å“uvres
En nous conviant à mener à bien de bonnes actions, François, et à sa suite, Jeanne et Gabriel-Maria, en appellent à notre capacité à faire de nos existences une incessante maternité spirituelle. Comme Marie qui a porté et enfanté le Christ, notre vocation est de nous consacrer à porter et enfanter Jésus. Cette vocation est la vocation de tout baptisé. C’est déjà ce qu’Origène écrivait au IIIe siècle : « Ce n’est pas seulement en Marie, c’est en toi également que, doit naître le Verbe de Dieu». Nous sommes donc appelés à manifester l’Amour de Dieu à la mesure de la grâce divine qui nous est confiée, et à le manifester à travers des actes tangibles que François et Jeanne appellent avec bonheur de bonnes actions, de bonnes Å“uvres, autant dire en définitive des gestes, des attitudes d’amour. François donne deux orientations afin de noua aider à concevoir le Christ en nos vies. Tous les croyants ont part à cette béatitude de la foi car tous, en croyant, et en vivant à la lumière de cette foi, enfantent par le fait même Jésus au monde. Car vous aussi, dit S. AmÂbroise, « vous avez entendu, et si vous avez cru, vous êtes heureux: car toute âme qui croit, conçoit et engendre le Verbe de Dieu …. » Et cette idée est une idée chère à saint François. Tout fidèle peut concevoir le Verbe par la foi et l’amour. « Nous sommes les mères de Jésus lorsque nous le portons dans notre cÅ“ur et notre corps par l’amour, par la loyauté et la pureté de notre conscience, et que nous l’enfantons par nos bonnes actions qui doivent être pour autrui une lumière et un exemple» (François d’Assise, Let. à tous les Fidèles 2, 10). La Règle de l’Annonciade résume : « Faire de bonnes Å“uvres », c’est-à -dire, aimer, car c’est par ce chemin que l’on va concevoir le Christ.
En ayant une conscience loyale et pure
La pureté du cœur, c’est un cœur qui se tourne vers Dieu, c’est ce « vivre au-dedans de soi-même ». Et ce « vivre au-dedans », cette intériorité, est bien alors capable de changer notre regard sur les êtres et les choses, capable aussi de former notre conscience, ce qui implique des choix ; la foi éclaire le regard de notre cœur. La prière personnelle permet à notre regard de se « ressourcer » dans la foi. Au même titre que la pureté, la loyauté renvoie à un comportement d’ensemble. On dira de quelqu’un qu’il est loyal ou qu’il ne l’est pas. C’est d’une certaine manière affaire de cohérence. Il s’agit bien, avec la grâce de Dieu d’apprendre à devenir conséquents en notre désir de vivre selon la foi au Christ.
Porter Jésus dans notre cœur et notre corps par l’amour
Porter Jésus dans notre cœur et notre corps, dans notre cœur, par l’intensité de notre vie intérieure, dans notre corps, par des gestes de miséricorde et de compassion. Cela suppose la durée, le temps. C’est donc un devenir, un chemin, une route ; c’est le temps de retrouver les traces du Bien-Aimé à travers les pages de l’Évangile, de suivre ses pas par la méditation de sa vie afin que notre vie puisse laisser voir la Sienne, mais aussi à retrouver ses traces dans la vie de nos frères. Nos vies, alors, ne deviennent-elles pas des lieux où se continue l’incarnation du Verbe dans l’histoire des hommes ?
Gravir la montagne de la perfection : la foi est une montée, un pèlerinage.
Dans ce pèlerinage, Marie est le guide ; elle a avancé dans la foi, unie non seulement au Christ, mais aussi à l’Église. « Tous étaient assidus à la prière… dont Marie » (Ac 1., 14) Ainsi ce « double lien » qui unit la Vierge avec le Christ et avec l’Église prend une signification bien historique car il ne s’agit pas ici seulement de l’itinéraire personnel de sa foi, mais aussi de l’histoire de tout le Peuple de Dieu, de tous ceux qui participent au même pèlerinage de la foi. Marie nous entraîne sur ce chemin, elle, « la première en chemin ». Ce pèlerinage de la foi s’insère donc dans l’histoire de l’humanité qui est l’histoire intérieure de chaque être humain, l’histoire des âmes. Il est invisible sur la scène du monde, il constitue la face cachée de l’histoire, mais on en perçoit les effets, souvent humbles…, on en saisit parfois le rayonnement. Pensons à Jean-Paul II dont la force de sa prière, de sa foi, a dévié la logique du monde. D’autre part, en Marie, désormais glorifié, le croyant contemple ce qu’il est appelé à devenir lui-même. C’est pourquoi, l’Église voit en elle le modèle du croyant, le modèle pour tous ceux qui parcourent encore le chemin de la foi.
Entrer dans la Communion des saints et des biens de l’Église
Car l’église est une communion, l’assemblée de tous les saints, de tout croyant mais aussi de tout homme de bonne volonté, une communion dont nul ne connaît les frontières…. Tous croyants forment un seul corps, unis au Christ, l’unique Tête de l’Église ; alors, dans cette perspective, le biens des uns est donc communiqué aux autres. Il y a donc une communion des biens dans l’Église. Ainsi, le bien du Christ est communiqué à tous les membres, et cette communication se fait par les sacrements. Mais il n’y a pas que les sacrements. L’Église étant gouvernée par un seul et même Esprit, tous les biens qu’elle a reçus deviennent nécessairement un fonds commun (Catéch.. n° 948) : communion de la foi, trésor de vie qui s’enrichit en se donnant ; communion des charismes ; communion des biens intellectuels, spirituels non seulement des chrétiens, mais de tous les hommes de bonne volonté etc… Le moindre de nos actes fait dans la charité retentit au profit de tous, solidaires que nous sommes de tous les hommes, vivants ou morts, Alors… tout péché, nuit à cette communion. Insondable communion de tous les hommes, de ceux qui sont pèlerins sur la terre, mais aussi des défunts, des bienheureux, tous ensemble formant une seule Église, et nous croyons que dans cette communion la Miséricorde de Dieu et de ses saints est toujours à l’écoute des hommes…. Comprendre cela, c’est devenir frère universel !
Croire ce que croit notre mère la sainte Église
Croire ce que croit notre Mère la sainte Église, nous fait demeurer dans la communion avec tout le Peuple de Dieu ; et vivre ce que l’on croit permet à ce talent confié, le dépôt de la foi, de porter des fruits. Où trouve-t-on ce dépôt ? La Tradition, l’Écriture sainte constituent un dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église. Si les pasteurs sont les gardiens et les serviteurs de ce dépôt, tout baptisé est appelé à y rester attaché, uni à ses pasteurs, en restant fidèle à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières (Ac 2,42). Il s’établit donc entre pasteurs et fidèles une unité d’esprit, une communion dans la foi.
L’exemple de sainte Jeanne
Jeanne aime à contempler la Vierge du Samedi Saint ; elle sait qu’en Marie, en ce jour, le dépôt de la foi est intact, que ce jour est « le jour où toute la foi de la sainte église demeura en elle après la mort de son cher Fils, notre béni sauveur et rédempteur Jésus Christ » (Chronique 107).  Ainsi, à l’exemple de la Vierge, Jeanne est solide, debout dans sa foi, non seulement dans sa vie de foi, c’est-à -dire, dans cette disposition amoureuse de son cœur pour Dieu, mais aussi dans la foi aux enseignements de l’Église, c’est-à -dire, par une disposition de sa raison, aux enseignements de l’Église. Et ces deux dispositions l’ont menée jusqu’à la contemplation pure du mystère de Dieu et du Christ. « C’était l’âme la plus fidèle et la plus catholique que l’on eût pu trouver de son temps », déclare le Père Gabriel-Maria, et cette fidélité à la foi de l’église s’exprime par des gestes concrets envers les églises, « aimant et aidant les églises et les religions de tout son pouvoir, de ses biens, car plusieurs recouraient à elle comme à leur refuge et comme à leur défense. », s’exprime aussi dans sa vie morale : « Elle était droite et vraie, faisant droit à chacun, aux petits et aux grands sans dissimulation » (Chr. 150)
La Vierge Marie a conduit Jeanne à une connaissance existentielle du Christ. En effet, l’imitation de la vie de Marie, la mise en œuvre dans sa vie des « dix plaisirs » de Notre-Dame, c’est-à -dire, de ses vertus, a mené Jeanne à une très grande proximité avec le Christ. Cette proximité avec le Christ a connu comme un sommet, vers la fin de sa vie, et c’est l’épisode du « Banquet des Cœurs » où l’on voit Jeanne s’unir au Cœur du Christ, par la Vierge ; en effet, c’est la Vierge qui mène Jeanne à cette union. « Il y avait deux cœurs sur un plat et la Vierge me disait de manger…. » (Chr. 107). Ce banquet mystique, on le sent bien, a une forte couleur eucharistique. Ne peut-on pas penser alors que ce Banquet des cœurs est comme une épiphanie, une manifestation de sa foi et de son grand amour envers Jésus Eucharistie ? Ce contact vital, personnel de Jeanne avec le Christ et en particulier avec le Christ Eucharistie est comme une prédication muette qui « incitait à la dévotion tous ceux qui la regardaient » vivre la messe (Chr.106).
Jeanne désire imiter Marie en tout. Elle s’est donc approchée de la foi de Marie, celle qu’Élisabeth a magnifiée, celle qui a fait tenir Marie debout dans la vie, jusqu’au pied de la croix. « Jeanne a parfaitement imité sa sainte maîtresse en ce point, car elle donnait une si parfaite créance à tous les mystères de notre religion, que, quand les plus savants de toute la terre eussent voulu la persuader du contraire, elle n’eût pas hésité dans la moindre circonstance. Elle avait soumis son esprit et son propre jugement à Dieu et par ce qu’il nous parle par son Église, par les Écritures, par les Traditions, par les Conciles, et par les Ordonnances de légitimes Pasteurs, c’est pourquoi elle avait une extrême vénération pour toutes ces choses et leur rendait une profonde déférence. C’est de cette foi vive que naissait le respect qu’elle avait pour les ecclésiastiques, le zèle qu’elle avait encore pour le culte de la sainte Vierge, la dévotion aux reliques des saints, la fréquente communion où elle était presque toujours ravie en extase, car comme elle s’en approchait avec une extrême pureté, elle goûtait les véritables délices dans leur source » (Paulin du Gast, p. 121) Mais… c’était dans la nuit.
Car, Jeanne a parcouru le chemin de sa vie dans l’obscurité de la foi, c’est de nuit qu’elle s’est approchée de la lumière. « […] la foi, toute obscure qu’elle est, imprimait dans l’âme de la B. Jeanne une secrète vertu qui la portait dans tous les exercices de piété et par-dessus tout dans la persévérance, dans l’oraison, et dans une forte confiance dans les bontés de Dieu ». (Paulin du Gast, p. 122).
Conclusion
Par la foi, on se remet entre les mains de Dieu. Nous disons « oui » à tout ce qu’Il a dit et révélé et que l’Église nous propose de croire parce qu’Il est la Vérité même. Ce consentement éclaire la vie, informe les gestes, les attitudes ; elle ouvre donc directement sur la suite du Christ, à l’exemple de la première chrétienne, Marie ! Voilà pourquoi, le père Gabriel-Maria place cette vertu de foi en quatrième place après les vertus dites « purgatives », celles qui nous aident à nous éloigner du péché (pureté, prudence, humilité), la mettant en tête des vertus dites « illuminatives », c’est-à -dire, celles qui éclairent, orientent la vie vers la suite du Christ, à  l’imitation de Marie.
Pourquoi croire ? Parce que Dieu est la Vérité même, d’une part et d’autre part, il est bon de croire car là se trouve un grand bien. Car la foi fait de nous des hommes et des femmes qui ont part à la connaissance de Dieu ; nous connaissons ce que Dieu connaît à sa manière. Croire nous ouvre donc à la vie divine, à la communion avec Dieu. La foi nous établit dans la communion trinitaire.
Mais… il y a des difficultés de croire.
Difficultés provenant de la raison : doutes ; est-ce raisonnable de croire ? Comment croire en des réalités qui dépassent ma raison ? Il est important de nourrir sa foi, d’étudier, de lire la Parole de Dieu, la méditer, de s’informer aussi, de s’appuyer sur l’enseignement de l’Église, de «croire ce que croit notre mère la sainte Église ».
Difficultés dues à la sécheresse. « Je ne sens plus rien »… Silence de Dieu. Plus de sentiments ne veut pas dire que la foi diminue, mais qu’elle se purifie. Il faut la persévérance, le courage de résister à la tentation de tout lâcher. Importante, ici, de la prière.
Difficultés peuvent aussi provenir d’une volonté qui n’est pas celle de l’Évangile. On a toujours besoin de conversion qui nous conduise à penser, à parler et à agir selon Dieu.
Questions  ?
Est-ce qu’il m’arrive de réfléchir sur l’importance de la foi dans ma vie ? Suis-je convaincu que tout acte bon s’enracine dans la foi ? Qu’est-ce qui m’aide à croire davantage : lecture de la Bible ou autres lectures, la conversation avec des personnes profondément croyantes, participation à un groupe évangélique ? Quel est le plus grand obstacle que rencontre ma foi ? Objections du type intellectuel ? La sécheresse intérieure ? Tel ou tel comportement qui n’est pas conforme à la foi ? Comment pourrai-je éviter ces obstacles et en avoir raison ?
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