Vivre la foi de l’Évangile
A qui irons-nous ?
Jean 6, 63-69
« C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il en est parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait. Et il disait : « Voilà pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père. » Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui. Jésus dit alors aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »
Commentaire
Dans ce court passage de l’Évangile de saint Jean, qui fait partie du discours sur le Pain de Vie, le Christ parle de ce qui fait le cœur de la foi, de ce qui constitue le fondement de toute la foi de l’Église, depuis Pâques jusqu’à la fin des temps : sa présence réelle dans le pain et le vin de l’eucharistie. Mais au moment où il prononce ces paroles, qui peut comprendre, en effet ? Pour ses concitoyens, il y a un voile d’incompréhension sur ces paroles. Mais que dit exactement Jésus ? « « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. »
Jésus se présente comme « le pain de vie », le pain qui donne la vraie vie. Pour faire comprendre cela, il rappelle à son auditoire l’épisode de la Manne au désert. Le pain qu’il est n’est pas comme celui d’antan : « il n’est pas, dit-il, comme celui qu’ont mangé les pères et ils sont morts ; qui mange ce pain vivra à jamais. » le Christ se présente comme Celui qui donne la vie, la vie véritable. La foi donnée au Christ est la foi en la Vie, la Vraie ; cette Vie est Amour, Amour plus fort que la mort.
Comprendre cela ouvre à une espérance émerveillée. Le Christ met fin aux sacrifices de l’Ancienne Alliance, c’est-à -dire, aux sacrifices offerts à Dieu par le Peuple de Dieu, le Peuple de l’Ancien Testament. Sa vie livrée sur la Croix l’est une fois pour toutes et pour le monde entier. Vie livrée qui sauve du péché et de la mort tout homme de bonne volonté. Multitude des sauvés, plus nombreux que les étoiles du ciel et les grains de sable sur le rivage de la mer.
Chaque jour, sous d’humbles signes, Il vient nous donner la vie. À chaque eucharistie, nous recevons en notre être une semence d’éternité qui le pénètre, le transfigure à la fois sans nous et avec nous. Un saint François d’Assise s’émerveillait devant la profondeur d’un tel mystère. Pour lui, une seule attitude raisonnable face à ce mystère, celle de regarder et de croire. « Pourquoi ne pas reconnaître la vérité ? Pourquoi ne pas croire au Fils de Dieu ? », se demande-t-il Et il continue en faisant un parallèle avec le mystère de la Nativité : « Voyez : chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles ; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre. »
Pour François, le corps de chair du Christ et le corps eucharistique du Christ, c’est le corps d’une seule et même personne mais sous un aspect différent. À ses yeux, l’eucharistie est l’incarnation continuée. Ainsi, il poursuit : « Et de même qu’autrefois il se présentait aux saints apôtres dans une chair bien réelle, de même se montre-t-il à nos yeux maintenant dans du pain sacré. Les apôtres, lorsqu’ils le regardaient de leurs yeux de chair, ne voyaient que sa chair, mais ils le contemplaient avec les yeux de l’esprit, et croyaient qu’il était Dieu. Nous aussi, lorsque, de nos yeux de chair, nous voyons du pain et du vin, sachons voir et croire fermement que c’est là , réels et vivants, le Corps et le Sang très saints du Seigneur. Tel est en effet le moyen qu’il a choisi de rester toujours avec ceux qui croient en lui, comme il l’a dit lui-même : Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. » François met en relation le mystère de l’Incarnation et le mystère de l’eucharistie.
Importance aussi pour François du voir et du croire. François associe en effet le regard et la foi. Plus exactement, le regard devient regard de foi. Ce passage ne peut se faire que sous l’influence de l’Esprit Saint. Le fait de croire montre qu’en nous il y a l’Esprit Saint, l’Esprit de notre baptême. Et la foi en Dieu éveille le désir de voir, de voir les choses de Dieu. Pour voir avec nos yeux de chair, il faut que l’objet à voir soit perceptible ; il faut aussi que nous ayons envie de le voir et que notre regard soit capable de le voir. Ce qui se passe sur le plan du physique se passe aussi sur le plan spirituel. Le désir de voir les choses de Dieu se cultive à l’école de l’Esprit Saint. Mais notre regard spirituel a besoin d’être éduqué. L’Eucharistie est peut-être le lieu privilégié pour cette éducation du regard spirituel, du regard de foi. En regardant la Présence réelle avec le regard de la foi, nous croyons en même temps en la Vie qu’elle donne. Plus nous laisserons notre regard se rassasier de cette Présence réelle, plus nous en retrouverons les reflets ou les traces dans les êtres et les choses de ce monde. Le regard de la foi, plus il est aiguisé, plus il est capable de traverser le paraître pour atteindre l’être profond de ce qui demeure.
Mais il ne faut pas nous étonner « que l’Eucharistie soit pour nous à la fois attirante et opaque, à la fois proximité et distance, à la fois certitude et mystère de la foi » (Jean Lévêque, ocd). Notre foi n’a pas d’autre appui que les paroles du Christ : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang ». Elles sont esprit et vie, ces paroles. À chaque messe, un acte de foi est toujours à faire si nous voulons entrer dans le mystère. Cet acte de foi est possible grâce à notre humble effort, grâce surtout à l’Esprit Saint. Car ce ne peut être que l’Esprit Saint qui puisse ouvrir notre existence « sur les forces de la résurrection, qui nous remémore les paroles de Jésus et en fait la certitude d’aujourd’hui » (Jean Lévêque, ocd) : « À qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle. »
L’attitude de sainte Jeanne de France ou du bienheureux Gabriel-Maria durant la messe est parlante car elle révèle la grandeur de leur foi en ce mystère, la profondeur de leur regard posé sur le corps eucharistique du Christ. Pourquoi ? Parce que la messe, pour eux, est véritablement une rencontre avec une personne vivante, le Christ. On peut dire qu’en ce mystère célébré les Paroles de l’apôtre Pierre deviennent leurs propres paroles : « À qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle ? »
Ainsi, par exemple, quand Jeanne « entendait la messe, c’était avec respect et une dévotion très grande ». Son attitude portait même les autres fidèles à la ferveur : « elle incitait tous ceux qui la voyaient à la dévotion », écrit son premier biographe. Ce respect communicatif qu’elle a pour l’Eucharistie, Jeanne le reçoit aussi de Marie. Nous le savons grâce au père Gabriel-Maria qui nous le rapporte dans un de ses traités de dévotion mariale, le De Confraternitate : « Efforce-toi, lui dit la Vierge, à la messe et au très Saint Sacrement de mon Fils, de manifester ton respect en écoutant la messe, au moins une fois chaque jour, si tu peux. Et quand le Corps du Christ est porté en procession ou à des malades, tu t’y associeras avec respect […] Car il plaît beaucoup à mon Fils et à moi de constater cette dévotion envers le Saint Sacrement chez les chrétiens. » Ce respect de Jeanne pour l’Eucharistie est bien l’expression de son amour pour Jésus Hostie. Comme l’une des grâces de l’Eucharistie est de renouveler l’être intérieur, de transformer le cœur de la personne qui reçoit Jésus Hostie, il n’est pas étonnant que chez Jeanne, son amour pour le Sauveur a eu son plein épanouissement dans l’attention délicate aux plus démunis. N’a-t-elle pas été très vite reconnue comme la Bonne Duchesse ?
On raconte qu’un jour, un frère ne voulait pas croire ce que l’on rapportait à propos de Gabriel-Maria célébrant la messe. Il émanait de lui, en effet, une telle ferveur, que ceux qui assistaient à sa messe en étaient tout remués. Le frère incrédule voulut en avoir le cœur net. Alors, un jour, il alla assister à la messe de Gabriel-Maria, mais de façon à ce que celui-ci ne puisse le voir. À la fin de la messe, il fut convaincu si bien qu’il disait : « Voilà quelqu’un qui, je le crois, est aimé de Dieu et, par conséquent, il doit être aimé des hommes. On m’avait dit beaucoup de bien de lui que je ne voulais pas croire : ce n’est rien au regard de ce que, secrètement, j’en ai su. Je me sentirai bienheureux si j’étais associé à ses prières car je crois que, devant Dieu, il a grande puissance et est digne de grandes louanges. »
Si le père Gabriel-Maria célébrait sa messe avec une profonde vénération, un profond respect, il incitait les fidèles à recourir souvent à ce sacrement. En effet, il « conseillait à toutes personnes d’être des habitués du Saint Sacrement et, pour aucune désolation d’esprit ou tentation, aucun découragement, de ne jamais cesser pour cela d’aller avec confiance à la sainte communion. » Pour lui, l’eucharistie « est le Pain de vie, le Pain de notre voyage ici bas », le pain qui nous fortifie tout au long de notre vie de foi, ce Pain qui fait de nous des « compagnons d’humanité » (Mgr François Frételllière), des compagnons d’éternité.
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