Sainte Jeanne

Toute sa vie, Jeanne de France n’a eu qu’un seul désir, celui de plaire à Dieu, celui de répondre au désir de Dieu sur elle, celui de correspondre à ce que Dieu attendait d’elle. On peut dire que son désir était le désir d’un Autre qui l’habitait. Pour l’aider à répondre au désir divin, à discerner le comment de sa réalisation en sa propre vie, Jeanne a regardé la Vierge, la prenant comme modèle, la prenant comme guide. La Vierge a été son éducatrice.

Quel a donc été l’enseignement de Marie ? Relire certains passages d’évangile où il est question de la Vierge, dans cette perspective, permet de saisir les dispositions intérieures qu’un tel enseignement peut dévoiler, entre autres, accueil, réflexion et méditation, prière et fidélité au quotidien.

 

« Comment cela se fera-t-il ? »

L’inattendu de Dieu surprend Marie à Nazareth. Elle va devenir  la mère du Fils de Dieu. Mais « comment cela se fera-t-il ? » demande la Vierge à l’envoyé divin. Cette Annonciation est le point de départ du pèlerinage de la foi de Marie, un pèlerinage qui la mènera sur les routes de Palestine, à la suite du son Fils, en passant par le Calvaire, jusqu’au Cénacle, pour s’achever en Dieu.

Une parole venue d’en haut, surprend Jeanne dans la nouveauté de son enfance. Un jour, en effet, « elle a eu le sentiment que la Vierge Marie lui disait en son cœur : Avant ta mort, tu fonderas un ordre religieux en mon honneur. Et ce faisant, tu me feras un grand plaisir et tu me rendras service. » Jeanne est donc appelée à devenir la fondatrice d’un nouvel ordre religieux qui sera tout dédié à la Vierge très Sainte, et dont le but sera d’être pour Dieu même un Plaisir. La petite fille accueille donc cette parole venue d’ailleurs ; elle lui fait une place dans son cœur, dans sa vie. L’inattendu de Dieu ? Elle ne le repousse pas, certes, mais cela a dû l’interroger. Elle a dû se dire en elle-même : « Comment cela se fera-t-il ? ».

Cette parole entendue ne tombe pas dans une terre non préparée. L’environnement de Jeanne, son histoire personnelle et familiale, son époque, tout cela conjugué lui ont permis de la discerner, cette parole, de la comprendre, de la laisser mûrir en elle. Elle va désormais vivre avec elle, comme avec une compagne,  et cela pendant plus de trente ans avant que cette parole puisse devenir effective. Deux mots vont devenir la chair de sa vie, deux mots qui ont frappé son cœur et son esprit : ces mots  sont « plaisir » et « service ». Faire plaisir, être agréable en servant, servir pour faire plaisir et être agréable à Dieu. Elle est toute accueillante, comme la Vierge de l’Annonciation, au projet de Dieu sur elle.

Nos existences chrétiennes peuvent aussi avoir leurs propres annonciations, c’est à dire, ces appels de Dieu qui viennent solliciter notre amour et relancer notre espérance, bousculer peut-être nos habitudes. Mais, pour les entendre et les saisir, à l’exemple de Marie, à l’exemple de Jeanne, pour les entendre et y croire, cela suppose une écoute priante, un accueil dans la foi.  Cela demande aussi la confiance.  Jeanne a eu confiance en cette promesse, elle n’a pas perdu confiance au fur et à mesure qu’elle voyait les années s’écouler et que son projet de fondation restait en état de promesse. Comme la Vierge Marie, Marie, elle a cru à l’impossible. Grandeur de sa vie de foi ! Car entre la promesse de fonder et sa réalisation, il s’est passé plus de trente ans.

« Marie retenait toutes ces choses, les méditant dans son cœur »

En effet, pendant une trentaine d’année, Jeanne a porté seul son projet de fondation. Mariée à Louis d’Orléans, elle a été toute prise par son devoir d’état, par ses obligations ducales. Durant ces années, elle a dû bien souvent méditer  sur l’événement de son enfance, comme la Vierge méditant sur les événements de la naissance de Jésus.

Accueillir le projet de Dieu suppose toujours ces temps de réflexion, de méditation, sous le regard de Dieu, ces temps de solitude où l’on se rappelle, où l’on fait mémoire des lumières heureuses qui ont pu éclairer parfois notre chemin. Ainsi la Vierge Marie a dû mettre sa joie à regarder et à se souvenir du jour où elle a su qu’elle deviendrait Mère, où elle a pressenti que sa vie serait bénie de Dieu.  De même Jeanne a dû plus d’une fois faire mémoire de ce jour heureux de son enfance où Dieu lui a fait comprendre qu’elle serait sa véritable vocation.

En ces moments de prière et de méditation, la Vierge Marie a été l’éducatrice du regard intérieur de Jeanne, lui apprenant à écouter la Parole, à l’accueillir dans la terre profonde de son cÅ“ur de pauvre, et à la garder en vérité par ses Å“uvres de charité. La Vierge lui a appris à exprimer, par sa vie bousculée, tiraillée entre ses devoirs conjugaux et son désir de réaliser son projet de fondation, les paroles et les exemples du Christ dont elle méditait la vie assidûment, s’en imprégnant au point de refaire chaque année au soir du jeudi Saint le geste du lavement des pieds comme pour signifier son union au Christ-Serviteur. Duchesse, elle est devenue au milieu de son peuple celle qui sert.  On peut dire que, par Marie, Jeanne est entrée réellement dans les sentiments mêmes du Christ, en servant, en vivant l’évangile, en donnant et se donnant aux autres.

Car Jeanne ne s’est jamais appartenue. Sa vie a été une pure oblation, toute tendue qu’elle était vers Celui à qui elle voulait plaire par-dessus tout, vers Celui qu’elle désirait servir : Dieu, son Créateur et Père. Mouvement de fond, de son être profond, qui affleure de tous ces petits actes quotidiens de service, de charité. Ainsi, les pauvres sont visités, secourus, les riches infortunés sont accueillis, les grands, habiles en manigances politiques, sont pardonnés. Ceux qui ont délaissé et mis de côté les valeurs morales, religieuses ou sociales y sont à nouveau attirés par la douceur et la force de sa miséricorde. Un amour l’habite et habite ses faits et gestes, ses paroles et ses pensées. Tout cela, c’est sa manière bien concrète d’accueillir le projet de Dieu, de s’y rendre disponible.

« Pourquoi nous as-tu fait cela… ? »

La Vierge Marie a dû garder en son cœur le souvenir des ces trois jours de recherche angoissée de Jésus qu’elle-même et Joseph ont retrouvé dans le Temple de Jérusalem ; elle a dû méditer et se remémorer les paroles qu’il leur à dite à ce moment-là : « pourquoi me cherchiez-vous ? ». Marie méditait tout cela, le gardait en son cœur, attendant que Dieu lui en dévoile le sens. Profonde et douloureuse interrogation.

Les choix de Dieu dans nos vies sont parfois bien déroutants. Pour ce qui est de Jeanne, elle a cheminé avec le Christ dans la certitude et dans la paix, à certains jours, mais à certaines heures, comme aux heures sombres du procès en nullité de son mariage, elle a dû chercher sa Présence dans le tourment, avec des « pourquoi » au creux de sa vie et de sa prière.

Car Jeanne a dû passer par des moments de profonde interrogation, interrogation par rapport à son projet de fondation  interrogation par rapport à sa vie conjugale si bousculée, interrogation par rapport à la décision de son mari, Louis d’Orléans, décidé à se séparer d’elle afin d’épouser Anne de Bretagne.  Le « pourquoi nous as-tu fait cela » de la Vierge à Jésus, perdu et retrouvé, a dû aussi être le sien bien souvent. Comme la Vierge,  elle gardait alors dans son cœur et dans sa prière le souvenir des événements, sachant qu’un jour la grâce de Dieu lui en découvrirait les raisons profondes.

Elle a dû accepter le temps de Dieu, elle a dû accepter de s’ajuster à Dieu, à son projet d’amour sur elle, et cet ajustement consenti ne s’est pas fait à la force des poignets mais, appuyé sur une vie de foi, il est venu de Dieu dans une fidélité à la grâce du moment présent ; et cela a porté fruit en son temps dans la vie de Jeanne. À mesure que les années passaient, Jeanne est entrée dans la compréhension de sa propre vocation d’épouse mal aimée puis délaissée et de future fondatrice, dans la compréhension de ce que Dieu attendait d’elle. Elle a su percevoir et comprendre comment à travers la Raison d’État pouvait s’exprimer  la Raison de Dieu. Comme la Vierge, veillant dans la foi, l’espérance et la charité, elle a accepté, elle a consenti : « qu’il m’advienne selon ta Parole ». Comme la Vierge qui, consciemment, a placé toute son existence sous l’éclairage de cette Parole, de même Jeanne, nous dit son confesseur, a aimé par-dessus tout prier Dieu, entendre sa Parole, désirant par-dessus tout avoir cette Parole de Dieu en son cœur, en ses propres paroles, en toutes ses actions.  Cette disponibilité à la Parole l’a rendu accueillante à ce qui plaît à Dieu.

« Voici la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole ».

La Vierge Marie dit « oui » : « Voici la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole ». Elle dit son « oui » à ce que Dieu dit et à ce qu’il ne dit pas car la Parole de Dieu n’entre pas dans tous les détails du chemin qui s’ouvre devant elle.

Sans en connaître par avance comment il se réalisera, Jeanne a accueilli le projet de Dieu en sa vie. Et en l’accueillant elle a aussi compris que l’un des secrets de Dieu, l’un des secrets de son Cœur, celui qu’Il nous révèle à travers la vie de tant de saints, c’est qu’il aime l’ordinaire des choses, l’ordinaire des personnes, sans doute parce que son Regard d’Amour sait discerner à travers l’écorce de l’ordinaire la perle qui s’y cache ? Dieu a vu le cœur de Jeanne, il a vu la beauté de son âme tandis que le monde ne voyait que son corps handicapé.  En sa faiblesse, Dieu a pu déployer l’extraordinaire miséricorde de son amour et cet amour a travaillé Jeanne au-dedans d’elle-même car le cours de son destin n’a pas été bousculé par ce Regard, ni les événements qui survenaient sur sa route. Travail secret de l’Esprit Saint, aux modestes commencements. Ces commencements modestes de la grâce de Dieu en Jeanne se situent dans une humble prière, un jour de son enfance, à Lignières.

Pour Jeanne comme pour chacun de nous, le projet de Dieu se trouve là, au cÅ“ur du quotidien, au cÅ“ur de l’ordinaire et non de l’extraordinaire. Jeanne n’a pas cherché à plaire à Dieu, elle n’a pas cherché sa Volonté, en dehors de la banalité de ses journées, en dehors de son « Nazareth » à elle, c’est-à-dire en dehors de ses devoirs quotidiens auxquels l’appelait son état de vie. Elle n’a pas eu d’autre désir que de laisser Dieu accomplir en elle ce qui lui faisait plaisir d’accomplir, à l’exemple de l’humble Vierge de Nazareth.

Conclusion

Jeanne s’est offerte à la Parole de Dieu, au projet de Dieu sur elle, ouvrant par avance son cÅ“ur à ce qu’il lui fera découvrir peu à peu, année par année. Entre ce que Dieu a fait pour elle, voulu pour elle, et ce qu’elle a fait pour répondre à l’attente divine, un espace est demeuré tout au long de son existence, celui de la foi et de la confiance. Cet espace de foi et de confiance, cela a été aussi l’espace de sa responsabilité, c’est-à-dire de sa réponse donnée fidèlement chaque jour, l’espace de sa foi en acte, mise en Å“uvre au quotidien.

C’est librement, et par amour, que Jeanne est entrée dans le projet de Dieu sur elle ; c’est librement et par amour qu’elle a laissé Dieu prendre pour elle des chemins déroutants, tel celui de son procès en nullité de mariage ; c’est librement aussi qu’elle a accepté les lenteurs de Dieu, ces trente années d’attente avant de mener à bien sa mission de fondatrice. Elle a fait confiance.

Ainsi, Jeanne nous invite à avancer sur la route de notre vie en servantes et serviteurs de Dieu, les mains ouvertes. Elle nous invite à dire par avance notre « oui » au chemin que Dieu nous montre ou nous fait entrevoir, sans en dessiner les étapes cependant. C’est seulement en disant et redisant notre « oui » que nous trouverons la manière d’y avancer, jour après jour, attentifs à l’aujourd’hui que Dieu nous offre. Car c’est dans cet aujourd’hui que se cache ce qu’il attend de nous.

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