Ste jeanne de france chapelle st doulchard

Le 4 février 1505, à dix heures du soir, mourait à Bourges Jeanne de France. Février est bien une occasion qui nous est donnée pour cheminer avec Jeanne, pour aller à sa rencontre, pour découvrir ou redécouvrir son message spirituel.

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On connaît la place importante, voire déterminante, dans la vie de Jeanne, de l’Eucharistie et de la prière silencieuse, et cela, dès son jeune âge. Durant ces longs moments de cœur à cœur avec Dieu, des pensées, des suggestions intérieures viennent frapper sa conscience et éclairer sa vie. Elles sont si fortes qu’elle les perçoit comme des paroles intérieures venant de l’Esprit Saint, capables, par l’issue de lumière entrevue dans le clair-obscur de la foi, d’avoir un effet sur l’évolution de sa vie. Arrêtons-nous sur une de ces paroles : Par les Plaies de mon Fils tu auras la Mère.

Pourquoi celle-ci ? Parce que, en quelques mots, elle pose le fondement christique et marial du message spirituel de Jeanne, qu’elle désire pour elle-même et pour l’Annonciade.

Les circonstances ? Jeune encore, Jeanne ne doit guère avoir plus de sept ans, son père, Louis XI, lui fait demander quel confesseur elle souhaite. Elle réclame un temps de réflexion. La petite fille prie et c’est pendant sa prière que son choix va se faire. « Comme elle était à la messe en pensant qui elle élirait pour confesseur, elle pria Notre Seigneur qu’il lui plût de lui inspirer ce qui lui serait le plus agréable et à elle-même, salutaire. Elle fut comme toute ravie et il lui sembla qu’on lui dit en son cœur : « Par les plaies de mon Fils, tu auras la mère ». Et à partir de ce moment, elle se proposa de prendre pour confesseur un des frères de l’Ordre de Monsieur Saint François, parce que Saint François avait reçu les stigmates des plaies de Notre Sauveur Jésus Christ, entendant bien que par elles, elle aurait la glorieuse Vierge Marie, à laquelle elle avait une si grande dévotion » (Chronique de l’Annonciade).

À la lumière de cette parole, elle discerne donc la famille religieuse qui va pouvoir l’aider à vivre sa foi, qui va l’aider à se donner au Christ : à savoir, les fils du pauvre d’Assise. Lorsque Jeanne entend ces paroles, a-t-elle déjà reçu la promesse qu’elle fondera un jour un ordre religieux ? On ne sait. Mais ces paroles et la promesse de fonder sont certainement proches et se situent, c’est certain, dans sa jeunesse. Plus tard, lorsque le moment de fonder sera venu pour elle, c’est cette même famille religieuse qu’elle choisit pour sa postérité. Elle le dit clairement dans ses Statuts, rappelant les origines de sa vocation de fondatrice : « Un jour que j’entendais la Messe – je n’avais alors que sept ans – il plut à la divine Miséricorde de me révéler qu’avant ma mort je fonderais une Religion en l’honneur de la Mère de Dieu ; et qu’il était dans la volonté de Dieu qu’elle fût gouvernée par les Frères des cinq plaies du Christ, c’est-à-dire par les Frères du Séraphique Père François, lequel porta les stigmates du Christ. Depuis cette heure, je n’ai jamais cessé de prier Dieu et la bienheureuse Vierge, pour qu’il plût à la Bonté divine d’accomplir par moi sa volonté au sujet de cette Religion. »

Seule une familiarité avec le monde franciscain peut lui faire établir ces rapports. En effet, une spiritualité ne naît pas de rien, mais s’enracine dans un contexte particulier, tributaire qu’elle est de médiations et d’acquis divers. Cette proximité avec l’ordre franciscain, Jeanne l’a reçue de sa famille, tant paternelle que maternelle ; elle l’a reçue également de ses confesseurs, de ses directeurs spirituels franciscains. On ne peut entrer dans le détail. Mais de nombreux frères mineurs, en effet, depuis le temps de saint Louis, fréquentent la famille royale. Au sein même de la famille, des vocations franciscaines se sont levées, tant du côté paternel que maternel (Louis d’Anjou, Isabelle de France, Amédée de Savoie, Louise de Savoie, cousine germaine de Jeanne…). Ainsi, les grandes familles princières, auxquelles est liée Jeanne plus ou moins directement, sont favorables à l’ordre franciscain. Elle l’a reçu également de son époque.

Car cette bienveillance envers les ordres mendiants est à replacer dans le contexte de réforme marquant la société et l’église de cette fin du 15è siècle. Tous, roi, princes, prélats, religieux des branches observantes de leur ordre, sont partie prenante de la politique de réforme ecclésiale soutenue par Rome et le pouvoir royal. Certes, il faudrait voir ce que chacun met derrière ce mot de « réforme ». Quoi qu’il en soit, tous la veulent ! Ainsi pour les frères mineurs observants il s’agit d’un retour à la pauvreté, à la vie érémitique (surtout en Italie), aux grandes missions de prédication populaire, propre à réveiller la conscience chrétienne des populations.

De plus, on redécouvre aussi, en cette fin du moyen âge les grands maîtres franciscains tel saint Bonaventure. L’auteur de l’Imitation de Jésus Christ, issu de la devotio moderna – mouvement spirituel parti des régions du Nord (Flandres) préconisant un retour à l’oraison du cœur, à la parole Dieu de Dieu, à l’Évangile – s’inspire largement de sa spiritualité.

C’est donc dans tout ce contexte familial, social et religieux que se situe l’épisode de la vie de Jeanne de France évoqué ici. Son choix n’est donc pas un hasard ; il est réfléchi, préparé, porté par son époque. Si cette parole est bien le miroir de ses plus profondes inclinations spirituelles, elle prend bien corps dans le terreau religieux de son temps ; si elle est le signe de sa foi, elle rend aussi compte du climat spirituel dans lequel elle évolue.

Les liens qui vont désormais l’unir, elle et l’Annonciade, à l’ordre de Saint-François vont être alors des liens de sollicitude fraternelle, cela, en raison d’une conformité de vocation. C’est ce que le père Gabriel-Maria, confesseur de Jeanne, a parfaitement compris. « Il semble bien, écrit-il dans les Statuts Généraux de l’ordre, que c’est le Saint Esprit qui [inspira ainsi votre Fondatrice]. Car nous gardons la règle des Apôtres et de Jésus, notre Sauveur, attaché sur la Croix qui confia sa Mère à saint Jean, apôtre. De même, il y a une grande conformité entre votre Religion et la nôtre : la nôtre doit suivre les conseils évangéliques que Jésus a pratiqués. Et la vôtre doit faire ce que l’Évangile dit que la Vierge Marie a fait »

Jeanne s’est ouverte à Dieu dans la confiance, la docilité et voici que Dieu en retour, l’ouvre à lui-même, à son mystère à ce qu’il désire pour elle. Il y a ici une expérience de Dieu si forte qu’elle est devenue pour l’Église, pour ceux et celles qui se mettent à son école, un chemin pour vivre l’Évangile. Quel est ce chemin ?

Jeanne établit donc une relation entre le Christ dans sa Passion et sa dévotion à la Vierge. C’est le Christ crucifié qui mène Jeanne à Marie. Et, pour elle, en toute logique, nous l’avons vu, ce sont les fils de Saint François, dont le berceau de l’Ordre se trouve être un sanctuaire marial, qui peuvent l’aider dans cette voie et qui pourront plus tard aider dans cette même voie l’Annonciade, puisque leur Père François, conformé au crucifié, a porté en son corps les marques de la Passion et que, pour lui, Marie est celle qui lui montre comment vivre authentiquement dans la foi, selon « l’esprit de la perfection évangélique », si bien qu’il s’est mis, lui-même et ses frères, sous sa protection (St Bonaventure).

Entendant ces mots « par les plaies de mon fils tu auras la mère » la fillette a dû comprendre, non pas d’une manière rationnelle, mais intuitivement, dans la prière, que par Jésus livrant sa vie la Vierge va lui être donnée. C’est là tout le sens du « Stabat » que rapporte saint Jean dans son Évangile : Jésus confie sa Mère au disciple Jean, figure de l’Église naissante. « Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit comme sienne » (Jn, 19, 25-27). Jeanne entrevoit donc que c’est par le mystère de la Passion du Christ et par l’Église, en ses ministres, qu’elle va pouvoir « prendre Marie chez elle. » Mais, pourquoi ce don de Marie de la part du Christ et de l’Église ? N’est-ce pas pour que, en retour, la Vierge l’aide dans son pèlerinage de la foi et cela, en vertu de son lien étroit avec son Fils et la communauté ecclésiale ? Le Fils donne la Mère et la Mère conduit au FIls.

Marie va être ainsi pour Jeanne le moyen, le chemin, qui va la mener à réaliser sa propre vocation. On trouve en effet ceci exprimé dans un de ses dessins. Traçant une croix, Jeanne inscrit autour du montant vertical, le nom des vertus de la Vierge par lesquelles elle veut plaire à Dieu. Et d’expliquer que « par l’observance de [celles-ci] elle s’élèverait à la contemplation des plaies de Notre Sauveur Jésus et monterait jusqu’à la croix et là de-meurerait de cœur et d’esprit, avec l’aide de la Vierge Marie et de son Père [Gabriel-Maria] », c’est-à-dire de l’Église (Chronique de l’Annonciade).

La méditation de la vie de la Vierge à travers les pages évangéliques qui parlent d’elle, l’imitation de ses vertus afin d’entrer petit à petit dans le mouvement de sa vie intérieure, telle est pour Jeanne le chemin vers l’union à Dieu et cette union passe par le Crucifié déjà glorifié du calvaire car, là, est le lieu de toute grâce, de « tous les pardons », comme elle dit, et par l’Église. Voilà pour Jeanne la perfection chrétienne qu’elle désire pour elle et pour l’Annonciade.

Marie est la toute-sainte. Elle est le parfait exemple de sainteté qui se réalise par l’union avec le Christ. Si Jeanne s’est efforcée durant toute sa vie de suivre ses exemples – ne s’appelait-elle pas « Marienne » signifiant par là son désir de l’imiter au plus près ? – c’est parce qu’elle savait que c’était là le moyen de plaire à Dieu et de goûter, autant qu’il est possible sur terre, la paix de l’union avec le Christ.

Jeanne a ainsi saisi que la Vierge est un être de relation, toute relative au Christ dont elle a suivi la première les traces et, qu’en retour, l’exemple de sa vie évangélique, la mise en œuvre de ses vertus vont lui permettre de vivre son existence chrétienne, de s’unir au Christ dans l’Église et par elle. Cette parole forte, que Jeanne reçoit toute enfant, est comme l’essence de toute sa spiritualité, ramassée en ces quelques mots. Pour elle, la Vierge ne se trouve qu’auprès du Christ et dans l’Église.

Ici, affleure véritablement la tradition franciscaine dans laquelle la petite Jeanne a grandi et où elle se coule tout naturellement. En effet, François, avec l’intuition qui lui est propre, contemple toujours Marie en relation avec le Christ, avec Dieu-Trinité ; pour lui, elle est celle qui, la première, a suivi et vécu au plus près tous les mystères du Christ. Tel est le regard qu’il pose sur Marie dans la Salutation à la Vierge. Et dans son Antienne à la Vierge, il la contemple dans sa relation totale à l’Église.

Jeanne a ainsi compris le rôle exemplaire que Marie peut exercer sur toute vie chrétienne. Elle a aussi compris que ce rôle prend racine au calvaire, lieu de la Nouvelle Création, là où la Vierge est entièrement associée à l’œuvre de son Fils qui l’a confiée à l’Église pour qu’elle en devienne la Mère et le Modèle. Le Bx Jean-Paul II évoquant le rôle exemplaire de Marie dans la vie des croyants écrivait: « Le Concile souligne expressément le rôle exemplaire que joue Marie à l’égard de l’Église dans sa mission apostolique, et il fait les remarques suivantes : « Dans l’exercice de son apostolat, l’Église regarde à juste titre vers celle qui engendra le Christ, conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge précisément afin de naître et de grandir aussi par l’Église dans le cœur des fidèles. La Vierge a été par sa vie le modèle de cet amour maternel dont doivent être animés tous ceux qui, associés à la mission apostolique de l’Église, travaillent à la régénération des hommes » (LG, 65). Après avoir coopéré à l’œuvre du salut par sa maternité, son association au sacrifice du Christ et son aide maternelle à l’Église naissante, Marie continue à soutenir la communauté chrétienne et tous les croyants dans leurs généreux efforts pour l’annonce de l’Évangile. »

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