La Fraternité Annonciade, proche du monastère de Thiais, a cheminé tout au long de l’année avec saint François d’Assise.
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Un jour de sa jeunesse, François a été saisi par l’Évangile. Son aventure humaine et spirituelle est celui d’un croyant qui prend soudain sa foi au sérieux. Pour cela, il n’a pas hésité à aller à contre courant d’une société en pleine mutation : le mouvement communal tend à supplanter le monde féodal. Le visage des villes et villages change. François a dû s’interroger, lui qui fait partie de la commune d’Assise – son père y étant un riche commerçant dont l’ambition est qu’un jour son fils puisse lui succéder dans le florissant commerce d’étoffes et de drap qu’il tient.
L’Église de son temps est menacée par des hérésies. Certains ecclésiastiques ont des mœurs douteuses, scandalisant les fidèles. Les affaires temporelles prennent le pas sur les affaires spirituelles. Alors, face à cela, les gens simples se tournent vers la superstition ou les sectes. Que de consciences désemparées.
Comme son père, François se montre habile dans les affaires. Il est d’un abord agréable, joyeux, plein d’entrain. Il a beaucoup d’amis. Il séduit toute la jeunesse d’Assise. Il est aussi ambitieux, rêvant d’exploits militaires. Quand il atteint ses 16 ans, Assise se soulève contre les nobles, vassaux de l’Empereur. Quand il atteint ses 18 ans, Assise se proclame une ville libre. Pour marquer sa liberté, le mouvement communal démolit la forteresse dite de la Rocca – symbole de la féodalité – et construit à la place, pour protéger la ville, une enceinte fortifiée. Tout cela ne se fait pas sans combats auxquels participe François. Quand il atteint ses 20 ans, Assise déclare la guerre à Pérouse, sa rivale, cité pontificale. Durant les combats, François est fait prisonnier ; il connait deux ans de captivité dans les prisons de Pérouse, y tombe malade. Il est libéré. Ses rêves d’exploits militaires ne sont pas éteints pour autant. Si bien qu’il s’équipe et rejoint le chevalier Gauthier de Brienne, soldat du pape, pour une expédition dans les Pouilles. Arrivé à Spolète, une ville située à quelques kilomètres d’Assise, il fait un songe qui l’invite à renoncer aux gloires militaires pour servir le Christ. Il s’interroge. Il décide alors de retourner à Assise. Là , il commence un lent chemin de conversion.
Il commence par ressentir à la fois un grand vide – ses rêves ne se sont-ils pas tous effondrés ? – mais aussi une soif, une grande soif d’autre chose. Mais quoi ? Sa foi se fait interrogative ; on dirait que l’Esprit Saint le rend insatisfait de lui-même ; carrière militaire et commerce ont perdu à ses yeux tout intérêt ; il décide de prendre du recul ; son ambition première petit à petit se purifie, s’infériorise. Il commence une vie de prière, il recherche la solitude ; il se sent aussi attiré vers les pauvres et les exclus de son époque, les lépreux. Un jour, il en croise un sur son chemin. Lui qui, d’habitude, a une véritable répugnance pour eux, en ce certain jour il ne l’évite pas, il fait même plus : il l’embrasse. Le baiser au lépreux est bien pour François le début d’une conversion radicale.
Il se retire alors dans une chapelle près d’Assise, la chapelle dite de Saint-Damien. Là , le Christ byzantin, peint au-dessus de l’autel, s’anime et lui dit :  « François va et répare ma maison qui, tu le vois, tombe en ruines… » . Expérience décisive et fondatrice, avec celle du baiser au lépreux.  Tout d’abord, François pense que le Christ lui demande de réparer matériellement la petite chapelle de Saint-Damien. Il se fait maçon. Mais, dans la prière, il comprend que sa mission est tout autre. Il quitte Assise et se fait ermite. Très vite, il va prêcher ; très vite aussi des compagnons vont se joindre à lui.
François veut alors vivre l’Évangile au cœur même de l’Église. À son époque un certain nombre de mouvement laïques prétendent revenir à l’Évangile, tout en n’obéissant pas à l’Église, François quant à lui, sent le besoin d’une approbation ecclésiale afin que sa Fraternité naissante ne soit pas confondue avec ces mouvements dissidents. L’entourage du Pape est de prime abord défavorable. Mais le Pape ayant vu en songe la cathédrale du Latran qui s’écroulait et qu’un pauvre ermite ressemblant à François venait pour la redresser, il comprit le bien fondé de la demande de François. Il approuva la nouvelle Fraternité et son nouveau genre de vie, en l’année 1209.
François veut suivre le Christ humble et pauvre, annoncer l’Évangile de la Paix. Humilité et pauvreté sont la marque de sa Fraternité. Vivre et annoncer l’Évangile de la Paix pour François c’est aussi prier. Sa prédication et celle de ses frères devant s’appuyer sur une profonde et authentique vie de prière. C’est un homme de prière avant tout. Sa prière s’appuie sur l’Écriture sainte et sur la Liturgie, prière de familiarité avec Dieu, prière de simplicité et d’émerveillement, de reconnaissance. François a aussi longuement contemplé la croix du Christ. La Passion du Christ est pour lui le plus grand amour en acte. Il en est tellement pénétré que cette Passion finira par apparaître dans son corps par l’impression des stigmates. Cela se passe en 1224, deux ans avant sa mort.
Passer de ses ambitions personnelles au projet de Dieu, cela n’est jamais facile. François a bien deviné au moment de sa conversion qu’un nouveau chemin de liberté, qu’une nouvelle direction capable d’assouvir son désir de vivre s’ouvrait devant lui. Un sentiment de crainte l’a traversé, une peur de prendre cette nouvelle direction. Il a découvert alors la fragilité de sa foi. Mais il n’a pas renoncé à poursuivre le chemin. On peut dire qu’il est entré dans la foi comme on creuse un puits dans le désert, petit à petit, étape par étape. La première étape qu’il a franchie a été celle qui lui a fait découvrir que l’aventure proposée par l’Évangile commence toujours par une rupture. Le « vieil homme » ou « l’homme ancien » doit être laissé de côté. Il a eu le courage de lui tourner le dos pour regarder ailleurs et tout risquer pour parvenir à cet ailleurs. Il a rompu avec le « vieil homme », renonçant au désir de maîtriser sa propre vie, ses dons personnels et ses biens. Il a renoncé à conduire sa vie tout seul afin de s’abandonner à Dieu, de s’abandonner à Dieu et, ainsi, d’entrer dans son projet d’amour pour lui, François.
Pendant les quelques 20 ans qu’il vivra encore, une fois son Ordre fondé en 1209, il reviendra souvent sur deux convictions : garder la foi et chercher Dieu partout et toujours en tout. Il sait, pour l’avoir expérimenter en lui-même, qu’en nous et autour de nous, beaucoup de choses et de circonstances peuvent faire obstacle à la Présence de Dieu. François nous entraîne alors à faire un grand acte de confiance envers Dieu notre Père. Écoutons-le nous dire et nous redire : « Désormais, je puis dire avec assurance : Notre Père qui est au deux, puisque c’est à lui que j’ai confié mon trésor et donné ma foi » (St Bonaventure, Légende Major 2, 4). François devient disponible, entièrement disponible à Dieu, son Père et notre Père. À ses frères, il dira souvent : « Mais nous, nous avons rompu avec le « monde » ; nous n’avons plus rien d’autre à faire que de nous appliquer à suivre la volonté du Seigneur et à lui plaire….».
La foi, une foi ferme et vigilante est bien le cœur de la spiritualité de saint François. À ceux et celles qui veulent vivre et suivre l’Évangile, François semble leur dire ceci :
- Demeurez disponibles à l’appel de Dieu et de son Esprit Saint
- Écoutez Dieu et cherchez-le de tout votre cœur.
- Laissez-vous aimer et transfigurer par Lui.
- Laissez-vous conduire dans la nuit de ce monde par l’espérance qui a pris visage en Jésus, votre frère à tous.
- N’ayez pas peur d’aller à contre courant de l’esprit du monde, en n’ayant pour seul bagage que l’Évangile de la paix.
Saint François devant Dieu, Notre Père
Vivre l’Évangile, pour François, le fait se situer devant Dieu, Père de Jésus Christ et Notre Père. Avant sa conversion, avant le baiser au lépreux, François appelle Dieu, Père, comme le font tout chrétien quand il prie le Notre Père. Il ne se sent pas forcément lié à Lui d’une façon singulière, intime. François sait que Dieu est Notre Père car c’est Lui qui nous a créés, qui nous maintient dans l’existence, qui nous aime, qui conduit le monde par sa Providence. Quand tout va bien pour lui, c’est facile pour lui de l’appeler Notre Père. Quand cela va moins bien peut-être s’interroge-t-il sur la réalité de son amour ? Comme cela peut nous arriver à tous !
Un jour, cependant, il va découvrir que Dieu est véritablement son Père, il va découvrir la profondeur de la paternité de Dieu. Cette découverte, cette expérience qu’il va faire de la paternité de Dieu, se fait après une purification de son cœur, après sa conversion. Il va découvrir petit à petit sa totale dépendance vis-à -vis de Dieu entre les mains duquel il va remettre toute sa vie et son avenir dans une confiance sans retour. Cette découverte s’est faite dans la prière, la solitude, la méditation de l’Évangile.
Un jour de ses 23 ans, un peu après sa conversion, voulant réparer l’église de Saint-Damien, François se rend à Foligno y vendre des marchandises prises au commerce de son père ; il dépense aussi beaucoup d’argent en aumônes. Son père est furieux si bien qu’il le convoque devant la justice afin de le déshériter. François, s’étant consacré à Dieu, ne dépendant donc pas du pouvoir civil mais de l’église, comparaît devant le tribunal de l’évêque d’Assise. Au cours de ce procès, François brise la relation avec son père de la terre. Pour le signifier, il se dépouille de ses vêtements et les donne à son père, il lui rend son argent et lui dit : « Jusqu’ici je t’ai appelé père sur la terre ; désormais je peux dire : Notre Père qui es aux Cieux puisque c’est à Lui que j’ai confié mon trésor et donné ma foi » Alors, l’évêque se lève, l’enveloppe de son manteau non pas tant pour cacher sa nudité que pour montrer que l’Église le prend sous sa protection.
Son geste montre la découverte qu’il vient de faire : Dieu est son propre Père, et il est son enfant et, à ce titre, il est libre de profiter de tous les dons que son Père fait à tous ses enfants. Il regarde le monde avec un regard nouveau, purifié, il chante les merveilles de la création. Puisque tout vient du Père, tout bien, toute créature, a la même origine – le CÅ“ur de Dieu – tout bien et toute chose, toute créature lui deviennent fraternelles. Il se sent le frère de tous et de chacun, le frère universel.
Il adore son Père des Cieux. Dieu, pour François, est le Bien souverain, le Bien éternel, Celui de qui vient tout Bien, sans qui n’est aucun Bien. Il faudrait ici relire tout son Pater paraphrasé. Il est saisi par la transcendance de Dieu, Dieu « que nul homme n’est digne de nommer » dit-il dans une de ses prières. François dans ses prières accumule les noms qui lui suggèrent la grandeur de Dieu, notre Père « Tu es seul saint. Seigneur Dieu, Toi qui fais des merveilles ! Tu es fort, tu es grand, Tu es le Très Haut, tu es Roi tout-puissant, Toi, Père saint, roi du ciel et de la terre » Il chante aussi sa bonté, sa miséricorde : « tu es notre amour, Tu es notre grande douceur, Tu es notre vie éternelle ».
C’est Jésus qui nous apprend que Dieu est notre Père. François va donc appeler le Christ « le Fils bien-aimé du Père », « le Seigneur de l’univers », « Dieu et Fils de Dieu », « le Très-haut Fils de Dieu ». Le Christ, Parole éternelle du Père, Verbe fait chair, révèle que le Père, Son Père et le nôtre, est à l’origine de tout Bien, à l’origine aussi de notre relèvement. Cette vérité émerveille François. Dans sa Règle de 1223, au chapitre 23, il compose une très belle prière signe de son émerveillement devant Dieu Père et origine de tout ce qui existe :
« Père saint et juste, Seigneur, roi du ciel et de la terre, nous te rendons grâce à cause de toi-même, parce que par ta sainte volonté, et par ton Fils unique, avec le Saint-Esprit, tu as crée toutes choses, spirituelles et corporelles. Nous te rendons grâces parce que, de même que tu nous as crées par ton Fils. Tu as voulu nous racheter de notre captivité ».
La reconnaissance de la part de François du Christ comme Fils de Dieu, comme Bien Aimé du Père, lui fait comprendre d’une manière particulière que le Christ est aussi son frère, comme tous les hommes sont ses frères, toutes créatures ses sœurs en vertu de leur origine commune, le Père. Le monde avec tout ce qui le compose lui devient fraternel. D’où son Cantique de Frère soleil écrit alors qu’il est bien malade et presque aveugle.
La découverte que fait François de la Paternité de Dieu lui donne une confiance inébranlable en ce Père qui prend soin de ses enfants. Son désir le plus essentiel est de faire la volonté du Père, de lui plaire en tout. Il encourage ses frères à la confiance. Aux premiers frères de son Ordre, soucieux d’aller porter l’évangile au monde malgré leur ignorance, il leur rappelle les paroles de Jésus à ses disciples : « ce n’est pas vous qui parlerez mais l’esprit de votre Père parlera en vous » (Mt 10, 20), alors, que craindre ? Il leur demande aussi d’avoir du respect et de l’estime pour tous, car tous, leur dit-il ont le même Créateur et Père, il leur demande également que leur comportement, leur manière d’être et de vivre, puisse inciter tous ceux qui les voient ou qui les entendent à louer Dieu, notre Père à tous.
Par sa découverte de Dieu comme Père, François nous dit aujourd’hui :
- Mettez votre confiance en la Bonté de Dieu, votre Père, Lui qui nourrit les oiseaux du ciel et habille les lis des champs, Il prend soin de vous
- Écoutez Dieu et cherchez-le de tout votre cœur.
- Suivez les traces du Christ, l’Enfant bien aimé du Père
- Croyez que l’Esprit de votre Père demeure en vous
- Devenez fraternels puisque vous avez tous un même Père aimant et bienveillant
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Servir pour saint François
Désirer être le plus grand, le plus intelligent, le plus performant dans son métier, ce n’est pas forcément mauvais mais le danger vient de l’orientation que l’on donne à ce désir : est-ce pour dominer les autres, leur faire sentir une supériorité, ou bien pour les servir, leur donner le meilleur de soi, les conduire à donner le meilleur d’eux-mêmes ? Ce désir habitait déjà le cÅ“ur des premiers apôtres de Jésus : « Une question vint à l’esprit des disciples, lequel d’entre eux pouvait bien être le plus grand » (Lc 9,46). On connaît la réponse de Jésus : « celui qui est le plus petit parmi vous tous, c’est celui-là qui est grand » (Lc 9, 48).
Servir, cela demande une conversion, celle de convertir notre instinct de domination en volonté de service. C’est ce que demande François à ses frères quand il leur dit : « Sur aucun homme, mais surtout sur aucun autre frère nul frère ne se prévaudra jamais d’aucun pouvoir de domination. » Et de citer l’Évangile : « les princes des nations leur commandent et les grands des peuples exercent le pouvoir » ; mais il n’en sera pas de même parmi les frères : qui voudra être le plus grand parmi eux sera leur serviteur et le plus grand parmi eux se fera comme le plus petit » (Règle ofm 5).
Pour François, le service mutuel est donc un des fondements de son Ordre. Mais quelles couleurs donne-t-il au service ? On peut servir de diverses manières, avec empressement, avec humilité, ou bien avec un sentiment de supériorité, avec autorité etc. Les couleurs que donne François au service sont : égalité, simplicité, humilité. Il sait bien que tout groupe humain a besoin de responsables mais leur autorité n’est pas une autorité dominante, mais un service, celui de l’unité et de la croissance humaine et spirituelle des personnes : « les responsables recevront les frères avec amour et bonté ; ils leur témoigneront tant de cordiale affection qu’ils les laisseront parler et agir comme des maîtres avec leurs serviteurs ; car il doit en être ainsi : les responsables sont les serviteurs de tous les frères » (Règle ofm 10,5-6).
Pour François toujours, servir suppose que l’on connaisse les besoins de ceux que l’on sert. Pour les connaître, il est donc nécessaire qu’il y ait relation entre les personnes, entre celles qui servent et celles qui sont servies, entre celles qui donnent et celles qui reçoivent, relation faite de confiance réciproque, de dépendance interpersonnelle : « En toute confiance, qu’ils se fassent connaître l’un à l’autre leurs besoins ; car, si une mère nourrit et chérit son fils selon la chair, avec combien plus d’affection chacun ne doit-il pas aimer et nourrir son frère selon l’Esprit !»(Règle ofm 6,7-9).
Servir demande une grande pauvreté de cœur, pauvreté de soi afin de ne pas rester rivés à ses égoïsmes mais de s’ouvrir au contraire aux autres et à leurs besoins, de se soucier d’eux. Servir est en fin de compte une chance, celle du dépassement de soi. Le service possède une réelle dimension pascale : passage de la mort de son ego à la vie-ensemble et fraternelle. Le service nous fait devenir petit à petit frère, soeur en nous dépouillant du vieil homme recroquevillé sur lui-même à l’homme nouveau ouvert au souffle de l’Esprit saint.
Le service, ce sont des actes concrets, témoins d’un amour mutuel et vrai. « N’aimons point de parole et de bouche, mais véritablement et par des actes » (Règle ofm 4,6) nous dit encore François, et des actes désintéressés. Car François a un sens aigu du geste désintéressé. « Heureux celui qui aimerait autant un frère malade et incapable de lui rendre service qu’un frère bien portant qui peut lui être utile » (Admonition 25). Dans le service, François est aussi délicat. Thomas de Celano, un des premiers Frères Mineurs écrit que François « témoignait aux malades une tendre compassion et s’occupait d’eux avec grand soin… Aux jours de jeûne, pour que les malades n’aient point honte, il mangeait lui aussi et ne rougissait pas d’aller en ville sur les marchés quêter de la viande pour eux. Apprenant un jour qu’un malade avait envie de raisins, il le conduisit dans une vigne, s’installa sous une treille et se mit à grappiller le premier pour encourager son compagnon à en faire autant.»
Servir, c’est se faire le prochain de l’autre le plus faible. Ainsi, François se fait proche des frères fragiles dans leur psychologie. « II témoignait une tendresse, une patience personnelles à cette catégorie de malades fragiles comme des petites enfants : ceux qui étaient troublés par des tentations et découragés » (Thomas de Celano).
Servir, c’est aussi se faire confiance. Un jour frère Léon demande à François comment plaire à Dieu. Et François connaissant frère Léon, le laisse à son propre jugement car il sait que frère Léon ne fera pas n’importe quoi. Il lui fait confiance : « Mon fils, je te parle comme une mère à son enfant. Voici comment je résume en une phrase et en un seul conseil tout ce que nous avons dit en route ; et ce n’est plus la peine ensuite de venir me demander conseil car voici le conseil que je te donne : quelle que soit la manière qui te semblera la meilleure de plaire au Seigneur Dieu et de suivre ses traces et sa pauvreté, adopte-la avec la bénédiction du Seigneur Dieu et ma permission. Mais si cela était nécessaire pour la paix ou la consolation de ton cÅ“ur, et si tu désirais simplement, Léon, venir me voir, viens ! » François croit en frère Léon, il croit en ses progrès spirituels, il sait qu’il est capable du meilleur. Ainsi, en lui faisant confiance, il permet à frère Léon de grandir dans sa vocation franciscaine.
La confiance est donc la force secrète de l’amour fraternel. La confiance refuse de réduire un frère, une soeur, à ses petits côtés, à son défaut dominant, à ses limites psychologiques ou autres. Ce regard n’est pas celui de la naïveté ou de l’aveuglement. La confiance reste lucide, comme le Christ qui démasque le péché mais ne condamne pas la personne ; il la remet debout.
Le service fraternel est missionnaire, évangélisateur. Voilà pourquoi, saint François donne à la vie fraternelle, au service des frères, une telle importance ; il en fait le premier apostolat de son Ordre, avec l’annonce de la paix. « Allez mes frères, parcourez deux à deux les diverses contrées du monde… annoncez la paix aux hommes. Offrez-la au nom du Christ vivant comme un don de Dieu. Cette paix que votre bouche proclame, il faut d’abord et bien davantage l’avoir en vos cÅ“urs. Votre simplicité, votre bienveillance, votre douceur doivent proclamer la paix. C’est là votre vocation. Évitez les disputes, ne jugez pas les autres. Soyez aimables, apaisants, humbles, déférents et courtois envers tous dans vos conversations » (Thomas de Celano).
Le service est la vraie grandeur
Servir demande une conversion, celle de notre instinct de domination en volonté de venir en aide au prochain d’une manière humble et désintéressée
La confiance est la force secrète du service et de l’amour fraternel
Servir et évangéliser vont ensemble
La fraternité conduit à la louange
Par nature François est porté à la fraternité. Saint Bonaventure, dans sa Legenda Major écrit à ce sujet : « Les sentiments tout naturels de son cÅ“ur, suffisaient déjà à le rendre fraternel pour toute créature ; il ne faut pas s’étonner que, dans l’amour du Christ, il soit devenu davantage encore le frère des hommes, que le Créateur a faits à son image. »(LM 9,4). Avec la grâce de Dieu, cette inclination de lui-même est donc devenue plus intense et plus forte, si bien qu’elle l’a ouvert à l’universel. Car pour François la fraternité est universelle.
Dans la tradition chrétienne, celui qui partage la même foi et qui en vit, celui qui a reçu le même baptême, celui qui est devenu un membre du Christ, est frère. Les fidèles baptisés sont tous des frères et des sœurs. Fraternité non pas naturelle, mais spirituelle. François va plus loin, il dépasse cela et considère comme frères et sœurs toutes les créatures créées par Dieu, toute les personnes quelle que soit leur origine, leur religion, leur état de vie, bien plus, tous les éléments du cosmos sont, pour François, des frères et des sœurs, tels le soleil, les astres, l’eau et l’air etc. sont ses frères et ses sœurs. La terre est à la fois sa soeur et sa mère car la vie éclot de ses profondeurs, elle porte aussi en elle toute vie. C’est son côté maternel. Son côté fraternel réside dans le fait qu’elle aussi est une créature créée, comme toute autre créature, comme lui François. Donc, son sentiment de fraternité qui l’anime ne vient pas seulement de son tempérament, mais de sa foi en Dieu, de son attachement à Dieu, Père de tous et Père de Jésus Christ.
À son époque, l’Église et la société connaissent de fortes tensions. La fraternité est loin d’être évidente. De plus, le mot de « chrétien » était bien équivoque, voire ambigu. C’était l’époque des croisades : on allait en Terre Sainte pour combattre ceux qui avaient mis la main sur les Lieux Saints. François se démarque. Il va vers eux, il va vers le Sultan, ce prince mahométan non pour combattre mais pour annoncer la paix du Christ. Et il sera respecté. François ne considère personne comme son ennemi, ni rien ni personne.
François est une personne libre. C’est une grâce de Dieu. Ce n’est pas le fait de ses mérites personnels. Le regard que François porte sur la fraternité est théologal ; c’st le regard du mystique et non de l’humanitaire, du sociologue etc. François a une conscience aigue que toute personne, tout ce qui existe, a Dieu pour Créateur et Père. Dans cette perspective, un lien de fraternité relie toute chose, les êtres et les choses d’où, chez François, un sentiment d’harmonie et d’unité. Tout vient de Dieu et tout retourne à Dieu. Cela émerveille François. Ce sentiment de fraternité universelle le conduit à la louange. Et il invite chacun à la louange.
À ses frères : « Craignez et honorez, louez et bénissez, remerciez et adorez le Seigneur Dieu tout puissant, dans sa Trinité et dans son Unité, Père, Fils et Saint-Esprit, Créateur de toutes choses. »
Et encore : « Louez le Seigneur, car il est bon. Toutes les créatures, bénissez le Seigneur. Tous les oiseaux du ciel, louez le Seigneur. Tous les enfants, louez le Seigneur. Jeunes gens et jeunes filles, louez le Seigneur. Etc. »
La louange de François transcende le temps et l’espace. Elle est pour aujourd’hui, comme elle l’était pour hier et comme elle le sera pour demain. Car l’esprit de François est universel, tout rempli qu’il est de l’esprit même du Christ. Et l’esprit du Christ embrasse toute l’histoire, tous les temps. Le Christ est Alpha et Omega.  François nous invite à devenir des êtres de louange. Il nous entraîne dans ce mouvement ; il nous lance un appel à la louange. Nous sommes tous destinés à rendre gloire à Dieu. C’est notre destin d’enfants de Dieu : voir Dieu, le contempler et chanter ses merveilles. Cela, saint Irénée l’avait déjà bien comprit lorsqu’il écrivait : « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant et la vie de l’homme c’est de contempler Dieu » (Contre les Hérésies, livre 4, 20 :7).
François considère la création et tout ce qui existe non comme un objet qui serait à son service, soumis à sa volonté dont il pourrait se servir comme il le voudrait, mais comme une compagne de route car, elle aussi, est destinée à la gloire de Dieu, à rendre gloire à Dieu. Et déjà , elle le fait. Le psalmiste  ne chante-t-il pas : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’Å“uvre de ses mains, le firmament l’annonce ; le jour au jour en publie le récit et la nuit à la nuit en conne connaissance » (Ps 18). Mais la création ne peut proclamer la gloire de Dieu car elle n’a pas de conscience. Aussi, la création a besoin de l’homme pour accomplir ce pour quoi elle a été créée car, encore une fois, elle aussi est destinée à la gloire de Dieu. Mais par elle-même, elle ne peut pas devenir une louange à la gloire de Dieu ; c’est l’homme qui peut le faire puisqu’elle lui a été confiée par le Créateur. Ce qui suppose de la part de l’homme le respect de la création, qu’il sache user des choses avec justesse. Malheureusement, le péché de l’homme a atteint la création, ce qui fait dire à saint Paul : « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité, – non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise, – c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 19-22). Le péché a tout éloigné de Dieu, a tout entraîné dans un mouvement d’éloignement de Dieu. Il faut donc faire le mouvement inverse, s’entraîner et entraîner avec nous par le fait même la création dans un mouvement de retour à Dieu. Les hommes de bonne volonté, les hommes de bien, les sages, les saints, tel saint François, essaient par leur vie de transformer toute réalité en louange, en fraternité. Ils redonnent à toute réalité son véritable sens. Tout redevient ordonné au dessein de Dieu, Créateur et Père. Il en résulte une grande paix.
En résumé :
- Dieu est Père et Créateur de tout ce qui existe
- Tout ce qui existe est donc relié par un lien de fraternité, en raison de cette origine commune
- Prendre conscience de ce lien fraternel qui unit toute réalité et s’en réjouir
- La création et l’homme sont deux partenaires tendus vers un même but : le Cœur de Dieu
« Suivre les traces de ton Fils Seigneur Jésus Christ et par ta seule grâce parvenir jusqu’à Toi… »
François présente l’Évangile comme un chemin à suivre, une invitation à marcher derrière Jésus. Il se représente l’œuvre de Dieu à notre égard par le symbole de la route et du pèlerinage. Il sait que la Parole du Christ nous situe sur une route. Cette route, c’est le Christ qui a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). François aime regarder sa propre vie comme un itinéraire que le Christ lui a fixé : « Mes frères, le Seigneur m’a invité à choisir la voie de la simplicité et de l’humilité, il m’a montré cette voie comme étant la mienne ».
Être chrétien pour François, est donc moins un attachement à des vérités théoriques qu’une vie. C’est vivre et agir, non pas comme un moraliste pourrait le faire, mais en suivant Quelqu’un, le Christ, en mettant nos pas dans les siens. C’est entrer dans la familiarité du Christ, répondre à son appel.
La vie chrétienne est donc une suite du Christ. Pour François choisir la route du Christ, telle est la vraie sagesse. Cela suppose un regard attentif et prolongé sur la personne même de Jésus. Pour François suivre « les traces » du Christ, en toute notre existence, c’est de regarder le Christ et d’être avec Lui sur la route de notre vie. La vie chrétienne est un compagnonnage avec le Christ. C’est être disciple. Être disciple, c’est d’ailleurs la vocation du Christ lui-même qui a suivi la Volonté du Père, qui en a fait sa Nourriture.
Être disciple, c’est suivre le maître auquel on s’attache comme les disciples des rabbins marchant sur la route derrière le maître qui les enseigne, comme ceux des philosophes grecs, tels les péripatéticiens – Aristote donnait ses leçons en se promenant dans le Lycée. C’est là une image qui permet d’exprimer ce que le Christ attend de ses disciples et que lui-même a vécu en suivant la Volonté du Père. . L’idée d’une vie chrétienne qui est « une suite du Christ » va donc conduire François à comprendre le chrétien comme un pèlerin de passage en ce monde, allant à la rencontre de Dieu.
Jésus n’est pas de ce monde : cela a frappé François. Il y est venu, dans sa miséricorde, pour nous ouvrir un chemin, nous guider, nous entraîner à sa suite vers le Père. Dans sa condition humaine, le Christ a voulu rester pauvre, simplement de passage, voulant ainsi nous apprendre à nous détacher du mal et du péché pour entrer dans celui du Bien véritable. François n’a pas une vue statique de la vie chrétienne. Encore une fois, la foi ne se réduit pas pour lui à un ensemble de vérités doctrinales, elle est une action, un itinéraire, une histoire. Certes, il adhère pleinement aux vérités de la foi. On connaît son attachement à l’Église et à ses enseignements. Mais à l’école de François, la vie de foi est avant tout une marche à la suite du Christ.
Toute marche se déploie entre un point de départ et un point d’arrivée ; le Christ nous en a donné l’exemple. Sa route comme la nôtre vont se conjuguer, mais elles ne le feront qu’au moment de la rencontre avec le Christ, à l’arrivée, car nous n’avons pas le même point de départ. Nous avons, comme François, à nous arracher au péché, à cesser d’être fermés sur nous-mêmes, c’est notre condition humaine. Le Christ, lui, vient du Père. Si le point de départ est différent, celui de l’arrivée sera le même : nous serons ressuscités en Christ.
Le chrétien qui a compris avec François tout cela, sait qu’être disciple, c’est marcher derrière le Christ, suivre « ses traces ». Car ce sont des traces. Nous suivons le Christ mais nous ne voyons pas le Christ. Nous n’avons que les traces, l’écho de son Évangile, la présence de l’Église, l’exemple des saints. C’est l’idée centrale de François. La vie des frères est la suivante dira François : « Suivre les traces de Notre Seigneur ». Expression forte, car elle suppose toute l’obscurité de la foi. Cela demande de notre part d’entendre l’appel et d’y répondre, de mettre nos pas dans ces « traces » qui nous mèneront toujours plus loin sur le chemin de l’Évangile.
Et c’est parce qu’on va le suivre, que tout naturellement, voire douloureusement peut-être, on va accepter de se conformer à Lui. Si on ne suit pas le Christ, mais que l’on essaie seulement de se conformer à Lui en observant ses commandements, on risque de n’avoir qu’une morale. L’imitation du Christ ne sera possible que si d’abord on se met à suivre ses traces, à recevoir sa Parole, à laisser les sentiments du Christ nous toucher. Dans la mesure où ces sentiments nous touchent nous serons portés à mettre nos pas dans ses traces. Suivre les traces du Christ, c’est entrer dans ses sentiments et désirer les faire nôtres, c’est percevoir quels étaient les mouvements de son cœur.
En résumé
La vie chrétienne est un itinéraire, un pèlerinage
La feuille de route de ce pèlerinage est l’évangile
Cette route est jalonnée de traces que l’on découvre dans la Parole de Dieu
Ces traces conduisent à l’union avec Celui qu’elles signifient
François ou la prière faite homme
Si l’on en croit le premier biographe de saint François, le frère Thomas de Celano qui l’a connu, François était « la prière faite homme ». De leur côté, les « Trois Compagnons », qui ont laissé à la postérité leur témoignage à ce sujet rapportent ces mots de François : « Frères, je le sais, Dieu nous a choisis pour aller quelquefois prêcher la voie du salut et donner aux gens des conseils salutaires, mais il nous a choisis surtout pour nous livrer à la prière et à l’action de grâce ».
Ses contemporains ont remarqué combien la prière était continuelle chez lui. Cette prière continue s’intensifiait quand fréquemment, il se retirait dans la solitude afin de pouvoir s’occuper uniquement de Dieu. « Il revenait à la prière comme dans un port bien abrité… Prière prolongée, tout intérieure et d’une sereine humilité. S’il commençait le soir, il en avait jusqu’au lendemain, assis ou en mouvement, entrain de manger ou de boire, il continuait d’être tout entier à sa prière ».
Dans la première Règle aux frères qu’il a écrite, il leur signifie que la prière est leur premier devoir, si bien que toutes choses doivent lui être subordonnées. « Les frères auxquels le Seigneur a fait la grâce de travailler, travailleront avec fidélité et dévotion, de telle sorte que une fois écartée l’oisiveté, ennemie de l’âme, ils n’éteignent jamais en eux l’esprit de prière. »
Il est important et intéressant de dire que la prière de François était souvent une prière douloureuse, traversée de doutes, de tentations. Car – et on ne le dit peut-être pas assez – François était un homme angoissé, inquiet devant la fondation d’un Ordre religieux qui a
eu rapidement un grand essor ; cela le dépassait. C’est dans la prière qu’avec la « grâce de Dieu il réussit à surmonter souvent les angoisses qui assaillaient son âme ».
François n’a pas toujours eu une prière facile ; sa vie ne fut pas toujours un cantique joyeux. Elle fut souvent un chemin de croix ; il participait en tout son être à la Passion de Jésus. L’impression des stigmates de la Passion du Christ sur son corps en est bien la preuve. Mais, cela est vrai également, à côté de cette prière douloureuse, il a connu aussi une prière jubilante, d’action de grâce, de joie. Témoins : ces belles prières qu’il a composées, telles les louanges à frère Léon, son fameux cantique des créatures, la Salutation à la Vierges, aux vertus etc. Ce sont des prières de reconnaissance pour les bienfaits de Dieu. Sa prière se faisait aussi demande. Il demandait à Dieu, à Jésus, la force, la lumière comme dans la prière devant le crucifix de saint Damien.
Saint François n’a pas inventé des méthodes pour prier. Son amour de Dieu, de Jésus, de la Vierge et des saints l’entraînait tout simplement dans un cœur à cœur solitaire.  Il aimait redire avec ses propres mots telle ou telle prière de l’église comme le « Notre Père » qu’il a paraphrasé.
En laissant tout simplement parler son cœur avec le seul souci de s’abandonner totalement à l’action de Dieu, François s’est élevé jusqu’à une très haute union à Dieu. Au moment de l’impression des Stigmates de la Passion du Christ en son corps, son dialogue secret avec le Crucifié devait être d’une insondable intimité. Il priait le Christ ; il priait aussi le Père, il priait l’Esprit Saint. Sa prière est trinitaire. Son intense vie de prière, sa fréquentation des Écritures, sa volonté de vivre conforme à Jésus-Christ ont conduit François à une profonde intelligence de la totalité du mystère chrétien.
François se laissait conduire par l’Esprit Saint. Bonaventure l’a dit avec force : « C’était un homme dont toute la vie intérieure n’était qu’une hospitalité plénière à l’égard de l’esprit Saint ». C’est l’Esprit Saint qui fit entrer François le plus profondément dans ce mystère de la personne du Christ et dans l’amour et l’adoration du Père. Dès le début de sa conversion, il a fait l’apprentissage de la vie de prière « sous la mouvance d’un esprit nouveau qui lui était encore inconnu » et « dans cette recherche, il recevait la visite et les instructions de l’Esprit Saint, dont la douceur suprême qui l’envahit dès le début de sa conversion, fit son bonheur jusqu’à la fin de sa vie », écrit encore saint Bonaventure. « La puissance incendiaire de l’Esprit Saint, nous dit encore Bonaventure, l’a embrasé tout entier, faisant de lui le fidèle serviteur du Christ, le Hérault de l’Évangile ».
Comment conclure : cette prière révèle bien le mystère qui est au cœur de l’enseignement de François, mais surtout au cœur de sa vie. Il a été le véritable amant et imitateur du Christ. Son âme avait soif du Christ, il lui vouait tout son cœur et son corps. En s’unissant au Christ il se tournait vers le Père et accueillait l’Esprit Saint. Tout son univers spirituel repose sur une expérience personnelle vitale, la rencontre avec Jésus Christ en personne. Sa vie n’a fait que broder sur un thème unique : le Christ, révélation de l’amour du Père, dans le don de l’Esprit. Il a reproduit cette vie du Christ avec un cœur débordant d’amour, avec une force, une exigence incroyable. Il le fit avec naturel, simplicité, car il était humble. C’est là qu’il trouvait toute sa sagesse, libre de tout calcul humain, il vivait, aimait, priait sans arrière pensée. La vie de François a fait rayonner les exigences de l’évangile, pas seulement celles d’un texte, mais d’une personne, le Christ.
En résumé
- La personne de François est prière
- La mission première que François donne à ses frères, c’est de prier
- La prière conduit François à une intelligence des mystères chrétiens
- Par sa vie de prière, François se laisse conduire par l’Esprit Saint
François et la liberté
Dans les quelques écrits que saint François a laissés, on ne rencontre guère ou pas du tout les mots de « libre », de « liberté ». Par contre des mots comme « plaire », « avoir du plaisir à faire quelque chose » sont utilisés par François au moins 19 fois. Ces termes veulent dire la satisfaction, le bonheur que l’on éprouve à exercer librement notre volonté. Pour François, exercer sa volonté rend libre et heureux. Par exemple, saint François dira à un frère qu’il lui « plaît » qu’il enseigne la théologie aux frères. François ne donne pas à ce frère l’ordre de faire de la théologie, mais il lui fait comprendre que lui, François, il est heureux qu’il en fasse, que cela lui est agréable. Pour François, ce plaisir d’agir librement plonge ses racines en Dieu même, en Dieu Trinité. Ainsi, en parlant de l’eucharistie, il écrit : « le Père, son Fils et l’Esprit agissent dans le sacrement du corps et du sang comme il leur plaît et nous aussi avons toujours à vouloir ce qui plaît à Dieu. » Ainsi, l’emploi fréquent du verbe « plaire » montre l’idée qu’il se faisait de la liberté : le bonheur, le plaisir d’exercer notre liberté, en vue du bien, du meilleur.
Un désir habite François et ce désir il souhaite le voir en chaque personne : « Ne désirons rien d’autre, ne veuillons rien d’autre, que rien ne nous plaise et ne nous délecte que notre Créateur et Rédempteur, et Sauveur, que rien ne nous arrête, rien ne nous sépare, rien ne s’interpose. » Pour François, tout acte libre s’origine sur ce grand principe : l’amour de Dieu. Si cet amour nous habite, alors, nous sommes libres d’agir comme il nous plaît et comme il plaît à Dieu.
La liberté ? Comment la définir ? Est libre celui qui juge, décide et agis non pas d’une manière déterminée ou poussé par quelqu’un ou quelque chose d’extérieur qui l’y oblige et l’y contraint, mais lorsque sa décision et l’action, qui suit sa décision, vient du profond de lui-même – véritable expression de ce qu’il est, de ce qu’il veut. Il le fait de son plein gré ; cela lui est agréable de le faire, lui fait plaisir, même si ce qu’il décide de faire n’est pas agréable à la nature ! L’exercice de la liberté est donc aussi celui du bonheur, du bonheur d’être soi. Cela est la grandeur de toute personne humaine.
Quand on est chrétien, quand on est croyant, la liberté se présente également ainsi mais avec un plus. Car être croyant suppose une ouverture à l’offre que Dieu fait à chacun : devenir son partenaire, entrer en relation avec Lui, entretenir avec Lui un dialogue, une vie, lui dire « oui ». Cette proposition s’impose à la conscience du croyant non pas comme un ordre mais comme une certitude amoureuse, comme un appel à aimer. Quand le croyant s’y livre, alors son existence trouve toute sa consistance, son unité. Dieu l’instruit dans le secret de son cœur en toute liberté et lui, se laissant instruire, y trouve sa propre liberté, celle des enfants de Dieu.
Une expression chez François indique ce qu’il y a en jeu dans l’exercice de la liberté, ce qui se joue dans un acte de liberté, c’est l’expression bonne volonté. Ainsi, à propos des candidats à la vie franciscaine qui, avant d’entrer dans l’Ordre, doivent distribuer leurs biens aux pauvres, François précise : « S’ils ne peuvent le faire, la bonne volonté leur suffit ». Si le candidat ne peut réaliser à la lettre ce qui lui est demandé, pour telle ou telle raison, il suffit, pour François, qu’il connaisse cette condition d’entrée et qu’il la prenne au sérieux, c’est-à -dire, qu’il l’ait comprise spirituellement, qu’il ait compris ses enjeux spirituels. François a donc ici une vision équilibrée de l’exigence évangélique Elle n’est pas une loi rigide et inexorable mais elle est un chemin, laissant place à la liberté, faisant confiance au futur candidat qu’il sait animé par un appel, celui de l’esprit saint.
Autre expression significative chez François : « avec la bénédiction de Dieu ». Elle désigne un comportement agréable à Dieu, un comportement qui plaît à Dieu que l’on doit discerner quand on prend la décision d’agir. Ainsi, à un de ses frères, François laisse la liberté de faire ce qui lui semble le meilleur à condition que cela se fasse « avec la bénédiction de Dieu », c’est-à -dire, à condition que ce frère sente en lui-même que ce qu’il choisit de faire coïncide avec ce qui peut être agréable à Dieu.
Dans un passage de sa Règle, François résume en quelques mots simples la liberté laissée aux frères : « Voici le genre d’exhortation et de louange que tous mes frères, quand il leur plaira, peuvent prononcer devant n’importe quel auditoire, avec la bénédiction de Dieu : Craignez et honorez, louez et bénissez, remerciez et adorez le Seigneur Dieu tout puissant etc. » Les frères sont libres. L’expression « quand il leur plaira » le montre bien. Ce n’est pas un choix arbitraire de leur part, mais leur décision va avec ce qui plaît à Dieu que l’expression « avec la bénédiction de Dieu » laisse entendre. Notre liberté n’est parfaite que lorsqu’elle coïncide avec le plaisir de Dieu, avec ce qui Lui plaît, avec sa volonté aimante. Ce qui Lui plaît ne s’impose pas à notre liberté d’une manière contraignante, cela ne fait pas pression sur notre libre arbitre mais notre désir de lui plaire et son désir de nous voir Lui plaire se rencontrent. Convergence de deux désirs, rencontre amoureuse de deux volontés. Nous faisons alors ce que désire Dieu et Dieu y trouve sa joie.
En résumé :
L’exercice de la liberté est un bonheur, celui de se construire, de devenir ce que Dieu désire que nous devenions.
Dire « oui » à Dieu donne à l’existence toute sa consistance.
Laisser librement l’Esprit saint faire son œuvre en nous nous fait goûter la liberté des enfants de Dieu.
Les exigences évangéliques ne sont pas des lois rigides mais un chemin qui laisse place à la liberté de celui qui l’emprunte.
Notre liberté n’est parfaite que lorsqu’elle coïncide avec ce qui plaît à Dieu.
Ce qui plaît à Dieu ne s’impose pas à notre liberté d’une manière contraignante : c’est le point de rencontre de deux désirs, le point de convergence de deux volontés.
 FIN
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