Exposé donné le 24 septembre lors de la rencontre de la Fraternité Annonciade Chemin de Paix, à Thiais
Un texte
« La douleur de son prochain lui est comme la sienne propre : en son cÅ“ur, la personne [miséricordieuse] en porte un même ennui. Elle supporte charitablement les défauts de son prochain. Elle s’efforce de les excuser et de les supporter en toutes choses ; elle porte même une partie de leur peine, et tout, si elle le pouvait. Elle est douce tant dans ses paroles que dans ses Å“uvres, avec lesquelles elle console les désolés. Elle est bienveillante envers tous et porte doucement le tort qui lui est fait, ou l’injustice qui lui est faite. Par miséricorde, elle rend le bien pour le mal. Elle a toujours paix et charité. Si elle pense avoir donné quelque occasion d’ennui à  quelqu’un, elle n’a aucun repos, tant qu’elle n’a pas réparé. Elle est généreuse et ne pourrait voir autrui avoir besoin de quelque chose qu’elle a sans le lui donner. Elle se dépouille pour vêtir les pauvres. Si elle ne peut pas le faire en acte, elle le fait spirituellement par la prière. Elle pleure avec ceux qui pleurent, portant dans son cÅ“ur le péril et le dommage des autres, spécialement le dommage spirituel. De tout son pouvoir, par pitié et par compassion, elle donne conseil et réconfort » (Bx P. Gabriel-Maria)Â
Dans ce texte, Gabriel-Maria donne cinq manières de faire preuve de miséricorde : être sensible à la douleur de son prochain, supporter les défauts des autres, être bienveillant, généreux et compatissant.
La miséricorde du côté de Jeanne
Jeanne a été sensible à la douleur de son prochain. Les aides qu’elle a données par Jeanne aux plus démunis sont nombreuses : aides pécuniaires pour aider une veuve à payer les dettes de son mari décédé, pour permettre à des écoliers pauvres d’aller étudier, pour permettre à une jeune fille de se marier. Il y en a eu bien d’autres. Le témoignage de ses filles, des premiers franciscains qui l’ont aidée dans sa fondation en témoignent. Tous disent qu’elle a été « la mère des pauvres et des orphelins ». Son testament en donne la preuve. Les biens qu’elle attribue à diverses personnes laissent à penser que, de son vivant, elle les aidait déjà  : couvents, pauvres, paysans etc. Elle a compati à la souffrance des malades qu’elle soignait elle-même ou faisait soigner par son médecin personnel. Elle a été sensible à la dure incarcération de son mari, Louis d’Orléans, lorsque celui-ci s’est rebellé contre Charles VIII et qu’il a dû subir trois longues années de prison. Ses dernières volontés données au Père Gabriel-Maria laissent présumer qu’à la Cour de France rumeurs et médisances circulaient à son sujet, et au sujet de l’aide qu’elle recevait de Gabriel-Maria. Alors, elle demande à Gabriel-Maria de faire garder à ses filles ce qu’il lui a fait garder à elle-même : excuser toujours ceux de qui on parle mal. Elle a rendu le bien pour le mal en gardant auprès d’elle, une fois duchesse de Berry, des personnes qui ne l’avaient guère soutenue au cours de son douloureux procès en nullité de mariage, en particulier la famille d’Albi qui, au temps du procès, était du côté du Louis XII. Elle a accueilli, à Bourges, des femmes qui, comme elle, n’ont pas été heureuses en mariage, telle Charlotte d’Albret, la femme de César Borgia. Une fois veuve, celle-ci s’est rapprochée de Jeanne qui lui a ouvert sa porte. Afin de rester près de Jeanne, Charlotte s’est alors installée en Berry, au château de la Motte-Feuilly.  Jeanne a été disponible à tous, donnant « conseil et réconfort ». En effet, beaucoup venaient au palais ducal la rencontrer, afin de lui demander conseil. Car, écrit soeur Françoise Guyard, son premier biographe, on savait que « la sagesse était en elle ».
Sa prière se faisait à certaines heures intercession. Elle priait pour les pécheurs, suivant le conseil qu’elle a reçu de la Vierge elle-même : « si tu vois quelques pécheurs, tu diras à Dieu dans ton cœur « il faut sauver ses pauvres gens ». Nous le savons grâce à Gabriel-Maria qui l’a rapporté dans un de ses écrits.
La miséricorde du côté de Gabriel-Maria
De son côté, Gabriel-Maria est un homme de miséricorde. Ses contemporains ont révélé en effet sa grande miséricorde, surtout envers les plus faibles de ses frères. Il prenait dans sa prière les personnes qui le faisaient souffrir. C’est surtout en tant que confesseur et directeur de conscience que sa grande miséricorde est connue. Une des grâces qu’il avait c’était de redonner l’espérance en la miséricorde à ceux qui l’avait perdue. Il conseillait aux confesseurs de son ordre de travailler le plus qu’ils le pouvaient à donner ou redonner à leurs pénitents cette espérance de la miséricorde de Dieu.  À ses frères en religion qui lui disaient combien la justice divine est grande, il répondait : oui, la justice de Dieu est grande mais…. sa miséricorde est cent fois bien plus grande. : « ah, si vous saviez combien la miséricorde de Dieu est grande et abondante… » Le Pape François dirait que « la miséricorde de Dieu est en croissance continuelle » (Homélie du 2 avril 2016). Il prenait sur lui la faute des frères qui avaient manqué à leurs devoirs religieux en s’imposant une pénitence : c’était pour lui une manière bien concrète de donner sa vie pour ses frères.
Gabriel-Maria était bon. On disait de lui qu’il était un « père en miséricorde ». Il réconfortait ceux qui traversaient des épreuves. On souligne sa bienveillance envers tous. Il réconfortait ceux qui étaient troublés en leur cœur, en leur esprit, ceux qui étaient tristes. Il les écoutait paternellement et ils repartaient de chez lui réconfortés, et éclairés. Il réconfortait les uns, pardonnait aux autres, « plus désireux d’être accusé de miséricorde que de rigoureuse justice » dit un frère qui l’a connu.
En résumé
De ces quelques exemples concernant les œuvres de miséricorde de Jeanne et de Gabriel-Maria, il ressort qu’ils ont vécu ce que le Pape François appelle une « miséricorde incarnée » (Pape François).  En Jésus, ils ont vu la Miséricorde du Père ; ils ont été poussés à devenir eux-mêmes des instruments de miséricorde.
Chez eux, la miséricorde a pris le visage de la charité faite de proximité et de délicatesse. Ils n’ont pas tenu cachée la miséricorde de Dieu qui se révélait à eux, ils l’ont manifestée par leur agir. Et cela durant toute leur vie. La miséricorde « ne les a pas laissés tranquilles », si je peux me permettre de reprendre une expression du Pape François (Homélie du 2 avril 2016). L’amour de Dieu, l’amour du Christ les poussait toujours plus en avant, dans le don d’eux-mêmes.
Jeanne et Gabriel-Maria ont compris en profondeur combien est belle pour notre vie cette réalité qu’est la miséricorde de Dieu. À l’école de saint François, ils ont longtemps contemplé les Plaies de Jésus, sa Passion douloureuse et rédemptrice. Ils ont compris que là est la source de toute miséricorde, la source de toute grâce.   Ils se sont laissé envelopper par cette miséricorde qu’ils contemplaient en chaque eucharistie, habitués et familiers qu’ils étaient de ce sacrement. Cette Miséricorde s’est alors communiquée à eux, ils n’ont pas mis « d’obstacles à son action vivifiante » (Pape François, Homélie du 2 avril 2016), mais ils ont suivi les sentiers qu’elle leur indiquait jour après jour.