L’année 2017 est une année importante pour l’Annonciade, celle du 500ème anniversaire de l’approbation de sa Règle de vie. Il a paru donc bon de revisiter à cette occasion l’itinéraire marial de cette Règle, un itinéraire qui décline dix vertus évangéliques de la Vierge Marie. Les quatre premières vont être proposées au cours de cette année : la pureté en janvier, la prudence en avril, l’humilité en juillet et la foi en octobre. Pour parler de ces vertus, les Fondateurs, sainte Jeanne de France et le bienheureux père Gabriel-Maria, utilisent une image musicale. L’un les appelle « le psaltérion à dix cordes, l’autre « la harpe de la vie ». Voilà pourquoi, ces médiations vont donner une large place à la musique. 

 

1. Janvier 2017

« Rien d’ici-bas n’est aussi pur que l’âme de Marie. Un océan de cristal sous le soleil de midi » (frère David, osb)

La Vierge est sans partage, pure, simple. Elle vit sans s’en apercevoir en présence de Dieu. En toute circonstance, elle discerne sa Présence. Elle vit d’une manière exemplaire la béatitude des cœurs purs : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » (Mt 5, 8). Comme Marie, nous pouvons nous aussi « voir Dieu », toucher son action, pressentir sa Présence dans notre vie, au cœur même de notre quotidien. Car Dieu a rejoint la Vierge dans son quotidien, à Nazareth. Et nous aussi nous avons notre Nazareth, ce lieu où Dieu même nous rejoint et nous appelle à donner le meilleur de nous-mêmes.

Le cœur pur de Marie

Il y a des musiques qui portent à l’intériorité ; il y a des musiques qui éveillent en nous le meilleur de nous-mêmes, qui attisent notre soif d’absolu, notre désir du beau. Il y a des musiques qui font penser à Marie. Telle celle d’Arvo Pärt. Sa musique suscite une réelle impression de pureté, d’intensité recueillie. En cela, elle dit quelque chose de l’être de Marie. C’est une musique très épurée. Cette impression est due par le choix qu’il fait d’utiliser dans ses compositions des rythmes simples – jeu d’un instrument entre trois notes principales par exemple – ou bien des notes récurrentes qui donnent à sa musique une impression de stabilité ; ou bien encore, absence ou peu de modulations. Tout cela contribue à créer un climat de contemplation et d’intériorité.
« Je pourrais comparer ma musique, dit-il, à une lumière blanche dans laquelle sont contenues toutes les lumières. Seul un prisme peut dissocier ces couleurs et les rendre visibles : ce prisme pourrait être l’esprit de l’auditeur ». Il dit encore : « j’ai découvert qu’une seule note suffit quand elle est bien jouée ». Marie n’est-elle pas cette « lumière blanche » dans laquelle sont contenues toutes grâces et tous biens ? « Réjouis-Toi pleine de grâce » lui dit l’Ange de l’Annonciation. N’est-Elle pas encore cette « note » unique que l’Esprit Saint fait vibrer incomparablement ? « L’Esprit Saint viendra sur Toi et te prendra sous son Ombre » lui a dit encore l’Ange de l’Annonciation.

Notre meilleur modèle

Regarder Marie, la prier, éveille en nous le désir de la véritable pureté. On sent monter en soi le désir de se tourner vers la lumière, de se tourner vers Dieu qui est la source de tout Bien. La pureté ? Chacun en rêve comme quelque chose d’impossible, comme un idéal inaccessible ! Et pourtant, c’est possible. La vie de Marie nous le dit. Suivre son exemple nous en ouvre l’accès.
Marie n’a pas mis d’obstacle à l’action de Dieu en sa vie, Elle lui a soumis toute son existence. Elle a fait confiance, à l’Annonciation et dans tous les événements qui ont suivi : elle n’en connaissait ni le sens ni la portée, mais elle a consenti, n’ayant rien d’autre à donner « que le trésor de son oui ».
Sa vie nous dit qu’un cœur pur est sans partage, il se donne tout entier, cherchant en tout à plaire à Dieu, s’ajustant à ce qui Lui plaît. Un cœur pur est simple : pas de calcul, pas de mensonge, ni de faux-semblant. Il est sans arrière-pensée.

Surmonter les défis

« Toutes ses inclinations se soumettent au désir des vertus, simplement pour plaire à Dieu. Elle ne consent jamais à prendre plaisir en des choses vaines et transitoires. Elle refuse tout ce qui pourrait empêcher la pureté de son cœur. Elle prend toute sa consolation à faire le bien qu’elle peut pour l’amour de Dieu ; elle conduit toujours les autres à bien faire et à se réjouir du bien que l’on fait… » Telle est la feuille de route que le bienheureux Gabriel-Maria donne à toute personne assoiffée de pureté afin de l’aider à surmonter les défis que cela suppose.
Car si la pureté du cœur est un « oui » à Dieu mais, nous le savons bien, nous avons aussi à dire « non » à tout ce qui fait obstacle en nous à la grâce de Dieu, « non » à ces tendances peccamineuses qui nous habitent. Rude combat, combat contre les séductions de l’égoïsme ou de l’orgueil, contre toute concupiscence et tout ce qui peut ternir ou troubler notre conscience. Mais la conjugaison de notre désir, de nos efforts humbles et persévérants, et de notre disponibilité à l’action de l’Esprit saint aide à résister aux multiples tentations de ce monde.
Pour que notre vie puisse laisser pressentir quelque chose de la Beauté de Dieu, il faut faire comme en musique, « Il faut beaucoup travailler, connaître à fond les règles de l’art qu’on veut cultiver…. Or, pour travailler efficacement, en admettant qu’on possède déjà les principaux éléments de l’harmonie, il est, non seulement utile, mais nécessaire d’étudier les œuvres des hommes de génie, soit en les entendant, soit en les lisant. Il faut, de plus, se rendre compte des procédés qu’ont employés ces hommes pour arriver aux effets qui nous frappent […. ] Quant aux procédés pour trouver soi-même des mélodies ou des combinaisons vraiment belles il n’y en a pas. Ils ne peuvent être enseignés méthodiquement. Mais, par l’étude du Beau, on peut arriver à découvrir en soi-même un feu qu’on ne connaissait pas et qui est l’inspiration »…. », qui est l’Amour du Beau prenant corps dans une création musicale. Car « la flamme créatrice ne trouve son véritable aliment que dans l’amour, et dans le fervent enthousiasme pour la Beauté, la Vérité et le pur Idéal » (Vincent d’Indy).
Ce que dit Vincent d’Indy peut se transposer dans le domaine spirituel. L’attrait d’une vie pure, en effet, l’attrait d’une vie simple et belle, cela demande beaucoup de travail sur soi. Cela demande aussi d’être attentif à ce « feu » intérieur qui brûle en nous depuis notre baptême, d’être attentif aux bonnes inspirations que l’Esprit Saint éveille en nous : la prière, la réception des sacrements, la fréquentation de la Parole de Dieu, de la vie des saints, tout cela peut nous y aider. Et puis, si d’aventure nous prenons la Vierge comme guide et modèle de nos existences, alors sur nos chemins de vie si compliqués, parfois si obstrués et obscurs, brillera une douce et pure lumière. Marie nous fera comprendre que « tout est possible à celui qui croit ».

2. Avril 2017

Si la charité est la mère des vertus, celle qui les anime de l’intérieur, la prudence, quant à elle, les dirige, les oriente vers leur but. Elle dirige notre conscience et toutes nos activités. Elle est prévoyante et réfléchit sur l’avenir. Elle se souvient, et tire les leçons des expériences du passé. Elle est réaliste, concrète, pleine de bon sens et de sagesse. Tout cela, nous le retrouvons chez la Vierge Marie.

Marie prudente

Ainsi, l’attitude de Marie à l’Annonciation : « elle se demandait ce que signifiait la salutation de l’ange Gabriel ». Elle ne se lance pas à la légère, elle prend le temps de la réflexion, elle interroge. Ensuite seulement, elle donne sa réponse, une réponse qui, elle le sait, engage sa vie. Après la naissance de Jésus, lors de la visite des bergers, Marie écoute ce que l’on dit, elle ne dit rien mais elle conserve tous ces événements, toutes les paroles entendues, dans son cœur, et elle les médite longuement. Après la visite des Mages, apprenant qu’Hérode recherche Jésus pour le faire mourir, elle et Joseph s’enfuient en Égypte, pour le protéger. A leur retour d’Égypte, ils ne retournent pas Bethléem, pour éviter d’autres dangers. Voilà encore la prudence de Marie.
Marie nous enseigne le silence et la réflexion qui nous permettent de discerner ce qui est bien et de choisir les justes moyens de l’accomplir. Elle nous enseigne l’importance de prendre du temps pour lire et écouter la Parole de Dieu résonner en nous, pour examiner toute chose et faire un sage discernement, pour considérer dans notre cœur les événements de notre vie, à la Lumière de Dieu.

Prendre les bons moyens

Dans un texte sur la vertu de prudence, le Bx P. Gabriel-Maria donne cinq manières de vivre la vertu de prudence. Il commence par évoquer la Vierge qui, dans toutes les circonstances de sa vie, a fait preuve de prudence et de sagesse. Puis, il décline cinq manières de vivre la prudence : « La première : avoir une foi sincère et une connaissance de tout ce que nous devons croire. La deuxième : réfléchir à ce que l’on va dire, et se demander quels fruits nos paroles peuvent produire afin d’agir avec toute la prudence désirable. La troisième : montrer de la charité pour le prochain et venir à son aide selon que les circonstances l’exigent, car il faut tenir sagement compte de la qualité et des besoins de chacun. La quatrième : n’être troublé par rien de ce qui arrive contre son gré, mais poursuivre simplement son chemin ordinaire. La cinquième : ne pas s’exalter ni se réjouir outre mesure. »
Ainsi, Gabriel-Maria commence par nous demander où nous en sommes avec Dieu, avec les vérités de la foi qui, si nous sommes chrétiens, devraient être notre pain quotidien, devraient faire partie de notre vie de tous les jours, l’animer de l’intérieur, lui donner une âme, une certaine couleur. Car ces vérités de foi peuvent véritablement nourrir l’existence, l’orienter vers le meilleur, nous aider à mener « le bon combat » comme dit saint Paul. Et c’est le second point sur lequel Gabriel-Maria veut que nous nous arrêtions. Il invite à la maîtrise de soi, à la maîtrise de nos paroles surtout, soulignant l’importance de la réflexion personnelle. Il est bon en effet, de s’arrêter, de faire silence, de se placer devant Dieu, et de lui demander, en pauvres que nous sommes, la force de son Esprit saint afin qu’il éclaire nos pensées, dirige nos paroles, soutienne nos actions. Demeurer en silence, devant Dieu, devant le Tabernacle d’une église, devant un crucifix ou une icône, chez soi, cela transforme le cœur. Force transformante d’un silence habité par sa Présence. Ensuite, Gabriel-Maria nous fait réfléchir sur notre vie de charité. Il nous invite à aider notre prochain selon ses besoins propres, de lui venir en aide avec justesse et discernement. Enfin, il évoque les temps de l’épreuve et de la désolation et les temps de consolation que traverse tout un chacun. Au temps de la désolation, quand rien ne va plus, faire preuve de persévérance en poursuivant ce que nous avons commencé, en poursuivant notre « chemin ordinaire », la persévérance aide à rester debout ; au temps de la consolation, quand tout va bien, faire preuve de maîtrise de soi afin de ne pas tomber dans la présomption ou l’exubérance.
Ces conseils tout simples, pleins de bon sens, font partie de ceux capables de nous aider à discerner dans les circonstances de nos vies parfois si bousculées ce qui est le meilleur, ce qui est bien et va les aider à aller de l’avant.

Aspirer au véritable bien

La prudence est bien la clef qui ouvre l’accès au « véritable bien », l’accès vers le véritable accomplissement de notre vie. Car celui qui aspire à un bien véritable, voire au bien véritable qu’est Dieu, s’efforce de mesurer toutes les réalités de son existence à l’aune de ce bien entrevu et désiré. C’est une prudence qui est aussi une sagesse. Il construit sa vie en prenant les moyens capables de le faire avancer vers son idéal. Tel Vincent d’Indy, rénovateur en son temps de la musique française.
C’était un montagnard, un homme de la terre, un homme des sommets. S’il est devenu ce grand compositeur, ce maître incomparable qui a formé des générations de musiciens, c’est qu’il a su prendre les moyens pour arriver à l’inaccessible beauté qu’il désirait tant. C’était un sage. Dans ses mémoires sa fille lève un peu le voile sur les moyens pris par son père pour atteindre son idéal musical :
« Sa vie régulière comme le tic-tac d’une pendule, commençait à six heures du matin, quels que fussent le lieu ou la saison. Aux Faugs, il quittait seul la maison et s’en allait sur quelque sommet voir mourir l’aube et se lever le soleil. Trois heures plus tard, il revenait au milieu de nous et gagnait son cabinet où, pendant toute la matinée, il composait sans relâche. De temps à autre, de notre petite salle d’études, contiguë au bureau paternel, les phrases cent fois répétées d’une symphonie nous parvenaient, imprécises, étouffées… De midi à deux heures, c’était le repos. De deux à quatre, de nouveau la composition, avant le goûter, invariablement composé de pain et de chocolat, puis la promenade dans la montagne, promenade presque toujours solitaire, jusqu’au dîner… La nuit tombée, mon père consacrait encore une heure ou deux à copier de la musique, puis dix heures sonnaient. Alors, invariablement, mon père montait silencieux vers sa chambre, un bougeoir à la main, poursuivant ce rêve qui demeurait inaccessible à son entourage… » – mais qui, le lendemain ou dans quelques semaines, deviendrait certainement un chef d’œuvre.
Et nous ? Savons-nous disposer « notre raison à discerner en toutes circonstances notre véritable bien, et à choisir les justes moyens de l’accomplir » ? (CEC).

3. juillet 2017

La vertu d’humilité est joyeuse et dynamique, elle donne des ailes ! Pourquoi ? Parce qu’elle se fonde sur la vérité de notre condition humaine, et elle s’en réjouit. Nous sommes créés par Dieu, Il nous aime, Il nous donne tout à profusion : la vie, le mouvement et l’être, comme le dit saint Paul. Nous vivons de sa grâce, nous sommes en relation permanente avec Lui. Nous ne pouvons pas ne pas dépendre de lui, c’est un fait. L’humilité consent joyeusement à tout recevoir, comme l’enfant reçoit tout de ses parents. L’humilité proclame bien haut qu’elle n’est pas propriétaire des dons et qualités qu’elle peut avoir : elle accueille, elle remercie, elle s’émerveille. Elle est libre.

L’humilité, la réapprendre

Reconnaissons-le : l’humilité ne nous est pas naturelle ! Car le péché est entré dans le monde avec son cortège de misères : ambitions, rivalités, violences. On veut réussir, être admirés, attirer l’attention. On soigne son personnage, on n’ose pas dévoiler ses faiblesses, ses limites. Mais cela sonne faux, on reste insatisfait. On s’emprisonne en soi-même, alors que la vérité, c’est-à-dire s’accepter tel que l’on est, rend libre.
Dans l’inconscient collectif, être humble signifie souvent se rabaisser, dire que l’on ne sait pas faire grand-chose. Rien ne plus faux ! Le vrai, c’est plutôt porter sur soi un regard de vérité, réaliste, comme la Vierge qui se dit la « servante du Seigneur ». Et si la Vierge nous aidait à réapprendre l’humilité ?

Marie très humble

« La Vierge Marie, très humble, comme un arbre chargé de fruits, fut d’autant plus humble qu’elle eut plus de vertu. À son exemple et à sa ressemblance, que les sœurs se considèrent comme des servantes quelconques et les plus petites de toutes, ne jugeant personne et ne critiquant jamais la conduite d’autrui ; car l’un et l’autre jardin, celui de la bonne religieuse comme celui de la mauvaise, seraient incultes si un bon et fervent Jardinier ne les avait cultivés l’un et l’autre. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu de Dieu et de Notre-Dame ? » (Bx P. Gabriel-Maria).
Ce petit texte nous dit deux choses : accepter d’être ce que l’on est, ni plus ni moins ; ce que l’on a ou ce que l’on, c’est un don venant de Dieu. Il s’appuie sur deux passages de l’Écriture : « Ainsi de vous ; lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10). – « Qui donc en effet te distingue? Qu’as-tu que tu n’aies reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu? » (1 Co 4, 7). « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » Toute la vie de Marie est exprimée en ces quelques mots. Elle est au service du Seigneur, ce qu’Il demande, elle y consent. Elle sait que tout est don : « le puissant fit pour moi des merveilles. »

Chemin d’humilité

Le célèbre violoniste Arthur Grumiaux écrivait en 1953, à propos de la pianiste Clara Haskil : « J’ai eu la plus grande joie de jouer avec cette artiste magnifique, grande musicienne et… d’une modestie que beaucoup feraient bien d’imiter. » Clara Haskil fait-elle partie des humbles ? Difficile à savoir. Mais ce que l’on sait c’est qu’elle a connu dans sa vie des situations propres à lui faire toucher du doigt l’humilité, plus exactement, certaines humiliations lui ont fait vivre, peut-être malgré elle, l’humilité, d’où sa modestie, son effacement. Ainsi, l’humilité, elle l’a vécue en son corps étant handicapée physiquement par une scoliose déformante, elle l’a vécue en son cÅ“ur par l’attitude d’un de ses professeurs de conservatoire qui ne l’appréciait pas, elle l’a vécue aussi par sa grande timidité qui lui a fait manquer des rendez-vous qui auraient pu profiter à sa carrière musicale. Ainsi, à Paris, il lui est arrivé de rencontrer Stravinski, Poulenc, Rubinstein, Horowitz, mais sa timidité l’a empêchée de profiter de ces rencontres. Viendra aussi un trac paralysant qui lui fera refuser des concerts sous prétexte que « ça n’ira pas ». Désillusion. Épreuves de santé. Manque de confiance en elle. Si bien que sa carrière de concertiste a piétiné pendant une trentaine d’années. Ce n’est que passée la cinquantaine qu’elle a commencé à être connue sur la scène internationale ; elle est alors devenue « la grande dame de la musique ». Il ne lui restait qu’une dizaine d’années à vivre.

L’humble abandon ou la liberté d’être soi

Clara Haskil n’a eu qu’un désir dans sa vie, celui de faire son métier et son métier était de servir les compositeurs. Simple servante, « je suis une quelconque servante », dans la conscience du don reçu, « que puis-je avoir que je n’ai reçu ? » Elle connaissait ses limites, ses pauvretés. Elle a vécu de la perfection qu’elle a découverte chez tant de compositeurs, elle leur est devenue pour ainsi dire leur servante par son interprétation.
À la question « qu’entendez-vous par interprétation ? le célèbre chef d’orchestre Georges Prêtre, dans un livre d’entretiens « La symphonie d’une vie » répondait : « La mise en valeur d’une œuvre d’après sa propre compréhension. Avec le seul but : la servir. Ne jamais se servir d’elle pour faire des effets …. Interpréter dans l’humilité et la sincérité » (p. 37, 42). C’est ce qu’a fait Clara Haskil.
Clara avait la maitrise de son art, la connaissance des partitions et des compositeurs qu’elle servait de toute son âme. Elle avait conscience de ses faiblesses. Elle s’est alors confiée à la musique comme on se confie à Dieu, dans un véritable acte d’abandon, de liberté profonde. Quand elle jouait, elle s’abandonnait entre les mains de la musique qu’elle interprétait. Elle s’y reposait. Elle s’oubliait pour servir la musique du compositeur qu’elle interprétait, donnant le meilleur d’elle-même, se donnant elle-même tout entière et sans retour. Dans ses fragilités, une force émanait. Contraste étonnant entre son apparence fragile, voûtée par sa scoliose, et son jeu inégalé. Humblement, elle a eu confiance en son art, comme on a confiance en Dieu.
L’humble, dans la conscience de ses limites et de ses faiblesses, s’ouvre en effet à la confiance, au véritable abandon de soi entre les Mains de Dieu, entre les Mains de sa miséricorde. C’est un réel chemin de liberté intérieure. Car l’humilité libère des passions qui emprisonnent Dans un acte d’abandon, l’humble se repose en Dieu. Il sait que Dieu ne condamne pas, qu’il met en œuvre sa grâce et sa puissance pour tout sauver en nous. L’humble s’accepte tel qu’il est. Il devient libre, libre d’être ce qu’il est, d’être simplement soi-même, devant Dieu et devant les autres.

4. octobre 2017

Qu’est-ce que la foi ? Le Catéchisme de l’Église Catholique répond que c’est d’abord une vertu donnée par Dieu. Mais c’est également notre adhésion personnelle à la vérité qu’il nous révèle, une adhésion de notre raison mais aussi de notre vie, de notre existence. On parle de l’obéissance de la foi, car la foi s’exprime à travers les actes que nous posons. Avant d’être un acte de la raison, la foi est une vie.

Marie, ferme dans la foi

On peut dire que la Vierge Marie a vécu dans l’obéissance de la foi. Dans la foi, elle a accueilli l’annonce et la promesse apportées par l’Ange Gabriel, croyant que « rien n’est impossible à Dieu ». Dans la foi, elle est partie chez sa cousine Élisabeth qui a conçu elle aussi un fils dans sa vieillesse. Elle salue sa cousine qui s’écrie aussitôt : « Bienheureuse toi qui as cru en ce qui t’a été dit de la part du Seigneur !». Prenons le chemin de foi de la Vierge Marie ; en y mettant nos pas, elle nous entraînera dans son pèlerinage de foi, dans une fidélité de tous les jours.
L’Évangile de l’Annonciation se termine par ces mots : « Et l’Ange la quitta » : la lumière s’éteint. Désormais, Marie poursuit son chemin dans la nuit… La Vierge a duré dans la foi. Sa foi n’a pas été celle d’un jour, mais celle de ses jours heureux ou bouleversés.

Une fidélité au jour le jour

Dans une de ses homélies le pape François parle de Dieu comme un Dieu qui « nous surprend avec son amour ». Cet amour de Dieu qui nous surprend demande une réponse, celle de la fidélité. « Nous pouvons, dit le pape, devenir « non-fidèles », mais lui ne le peut pas, étant « le fidèle » et « il nous demande la même fidélité. » Parfois, on s’enthousiasme pour quelque chose, pour un projet, pour un engagement mais quand survient un problème ou une difficulté, on ne persévère pas. Et le Pape François de constater : « Il est souvent facile de dire « oui », mais ensuite, on n’arrive pas à répéter ce « oui » chaque jour. On ne réussit pas à être fidèles. » Alors, il propose la Vierge comme exemple de fidélité. « Marie a dit son « oui » à Dieu, un « oui » qui a bouleversé son humble existence de Nazareth, mais ce « oui » n’a pas été l’unique, au contraire il a été seulement le premier de beaucoup de « oui » prononcés dans son cÅ“ur dans ses moments joyeux, comme aussi dans les moments de douleur, beaucoup de « oui » qui atteignent leur sommet dans celui dit au pied de la Croix. […] Pensez jusqu’où est arrivée la fidélité de Marie à Dieu : voir son Fils unique sur la Croix. La femme fidèle, debout, détruite à l’intérieur, mais fidèle et forte. »

Qu’est-ce que la foi ?

C’est un état – une habitude – répandu surnaturellement en nous ou qui nous a été donné par Dieu, par lequel l’esprit de l’homme est captivé, c’est à dire qu’il est d’accord, sans raison apparente, avec ce qui est contenu dans la Bible et ce qui a été défini par l’Église catholique [….] La foi est donc un don de Dieu par lequel vous croyez en Notre Seigneur Jésus-Christ qui est Dieu et homme, notre Créateur en tant que Dieu et notre Rédempteur et Sauveur en tant qu’homme. Pour vivre la foi parfaite, il vous suffit en tout de demeurer dans la foi et d’en vivre simplement. En cette foi, nul ne se perdra. Et pour bien la garder, vous devez bien avoir en mémoire deux choses. L’une : « La foi sans les Å“uvres est morte. » La seconde : « Qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas apte au Royaume de Dieu.» (Bx Père Gabriel-Maria).
Pour Gabriel-Maria la foi est donc un état, elle fait corps à l’existence. Si la foi fait appel à la raison, s’il y a une part raisonnable dans la foi, la foi est aussi intuitive ; elle sait que ce qui est dit de Dieu est vrai sans raisonnement préalable, la raison est comme « captivée ». On peut en faire l’expérience dans un temps de prière, de méditation. Sans que nous y soyons pour quelque chose, nous comprenons quelque chose du mystère de Dieu …
La foi est aussi un don et en ce don il faut se reposer, s’appuyer. On est en sûreté car « en cette foi, nul ne se perdra. Saint François d’Assise en chantant les louanges de Dieu chantait que Dieu est repos, sécurité, paix etc. On peut dire que la foi en Dieu est aussi sécurité, repos. Elle a du sens, elle donne sens à toute existence. Mais la foi, comme la petite flamme d’une lampe à huile ou comme un feu de bois, elle doit être entretenue, ravivée, nourrie. On le fait par les actes, par les œuvres bonnes. La foi appelle la fidélité, la durée. Elle est le contraire du provisoire. La foi dit « oui » jour après jour. La foi est persévérante. Elle ne regarde pas « en arrière », elle avance toujours, elle va de l’avant.

La foi ou le contraire du provisoire

Pour devenir le grand musicien qu’il fut, Maurice Ravel a cru en son art, en sa musique, il y a demeuré, il en a vécu. Concourant quatre fois pour l’obtention du Grand Prix de Rome, évincé quatre fois, il aurait pu se décourager. Au contraire, il a persévéré, allant jusqu’au bout de ses intuitions musicales. Il s’est voué pour ainsi dire à sa musique qui a été la réalité première de toutes ses journées. Ainsi, la profonde beauté de son œuvre musicale est due certes à son inspiration et à son génie, mais surtout à son acharnement au travail, étant tout entier à sa tâche de compositeur. Sa foi ? C’est d’avoir, en musique, discerné une direction qui l’a « captivé », d’avoir pris les moyens justes pour la poursuivre et arriver à la beauté qu’il désirait de tout son être, et d’y avoir été fidèle.
Rien de provisoire dans la vie de Ravel mais un chemin poursuivi fidèlement. Alors, peut-être en terminant est-il bon de se laisser interroger par cette question du Pape François : « suis-je un chrétien par à-coups, ou suis-je un chrétien toujours ? » Après avoir posé cette question, le Pape François poursuit en dénonçant un aspect de la culture actuelle, celui du provisoire, et ce provisoire peut atteindre notre foi : « La culture du provisoire, du relatif pénètre aussi dans la vie de la foi. Dieu nous demande de lui être fidèles, chaque jour, dans les actions quotidiennes et Il ajoute que, même si parfois nous ne lui sommes pas fidèles, Lui est toujours fidèle et avec sa miséricorde il ne se lasse pas de nous tendre la main pour nous relever, de nous encourager à reprendre la marche, pour revenir à Lui et lui dire notre faiblesse pour qu’il nous donne sa force. Et cela c’est le chemin définitif : toujours avec le Seigneur, même dans nos faiblesses, même dans nos péchés. Ne jamais aller sur la route du provisoire. Cela nous tue. La foi est fidélité définitive, comme celle de Marie » (Homélie du 13 octobre 2013).

**************

Shares
Share This