Si le rayonnement spirituel de sainte Jeanne de France éclaire l’aube du 16e siècle, l’action de son confesseur, le franciscain Gabriel-Maria, n’y est pas pour rien. En effet, Jeanne meurt très vite, après avoir fondé son ordre. Elle s’éteint en effet au soir du 4 février 1505, confiant au franciscain l’avenir de sa famille religieuse. Avec une grande fidélité, celui-ci va alors recueillir l’héritage spirituel de la fondatrice et le faire fructifier. Qui est Gabriel-Maria ?
Les premières années
Gabriel-Maria, de son vrai nom Gilbert Nicolas, est né aux environs de Riom, en Auvergne sans doute entre 1460 et 1461. Il appartient à une famille de notables ruraux. Gilbert est le cadet de trois enfants. Il a un frère, Jean, et une sœur, Isabelle, ainsi que deux neveux qui suivront son exemple et entreront comme lui dans l’ordre de Saint-François, peu après les années 1500.
De sa jeunesse, presque rien n’est dit. Ainsi, on arrive rapidement à l’événement majeur qui va éveiller sa vocation religieuse. Un certain 8 décembre, Gilbert entend le sermon qu’un fervent franciscain prononce sur le thème de la pureté de la Vierge Marie. Ce sermon le bouleverse. Il décide alors de renoncer au mariage car Gilbert, en effet, a un projet de vie, ayant fait la connaissance d’une jeune fille avec laquelle il désire fonder une famille. Ce sermon vient donc renverser ses plans. Il ne résiste pas et décide de se vouer totalement au Christ et à la Vierge Marie dans la vie religieuse, et plus précisément, dans la vie franciscaine. Après avoir sollicité son admission auprès de plusieurs couvents de frères mineurs, il fait son noviciat au couvent de Notre-Dame de Lafond, près de La Rochelle, aux alentours de 1475-1477, puis arrive dans la région d’Amboise. Son activité dans l’ordre franciscain s’insère au sein de l’observance franciscaine, c’est-à -dire, au sein de ce mouvement spirituel dont font partie les frères désireux de vivre plus étroitement la Règle de saint François. Cette idée de réforme, en ce temps-là , n’est pas le propre des fils de saint François ; elle traverse tous les ordres religieux, voire la société même. Le pouvoir royal de l’époque, comme le pouvoir ecclésiastique, la soutiennent.
Le frère mineur
On ne peut détailler les nombreuses charges dont Gabriel-Maria a reçues, au sein de son ordre. Comme on vient de le dire, l’ordre de Saint-François doit faire face aux questions, souvent brûlantes et conflictuelles, que pose toute idée de réforme. Gabriel-Maria y a été confronté. Il a su y faire face avec courage, avec surtout un esprit de paix et de concorde. En ces temps de réformes des ordres religieux, où la lettre a pu prendre le pas sur l’esprit, il a toujours travaillé, selon son pouvoir, à faire que cette réforme ne soit pas celle, comme il dit, « des vêtements, de la coupe des cheveux et des chaussures, mais que ce soit celle des âmes, des œuvres et des mœurs. »
Vaste est la science théologique de Gabriel-Maria. En vingt ans de professorat, il a acquis une grande maitrise en cette matière. Pour preuve, son traité de théologie morale qui est parvenu jusqu’à nous. Dès les premières pages, on est saisi par la richesse et l’ampleur de ses connaissances.
Les responsabilités dont il est chargé lui font parcourir les pays de l’Europe, principalement la France, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas espagnols (Belgique actuelle), l’Espagne, l’Angleterre, l’Irlande et l’Écosse. Malgré ses nombreux déplacements, il trouve le temps d’écrire. L’ordre des Saint François lui doit entre autres, outre le traité pour les confesseurs, un commentaire de la Règle. Quant aux annonciades, elles lui doivent principalement leur Règle de vie, des sermons sur les vertus de la Vierge, et de petits traités de doctrine mariale destinés aux personnes laïques.
Acteur de la première expansion de l’Annonciade.    Â
Les lourdes responsabilités n’empêchent pas Gabriel-Maria de se consacrer aux moniales de l’Annonciade. En 1508, il est à Albi, à l’occasion de la première fondation d’un monastère d’annonciades par le couvent de Bourges. Le 1er février 1518, on le retrouve à Bruges. En effet, le cofondateur de l’Annonciade a reçu une offre de fondation à Bruges de Marguerite d’Autriche, tante de l’archiduc et ancienne gouvernante des Pays-Bas. Elle se souvient de Jeanne de France qu’elle a connue jadis à Amboise quand elle était promise en mariage à son frère Charles viii. Le 24 novembre 1516-1517, un groupe de sœurs part ainsi de Bourges pour se rendre à Bruges. Celles-ci s’installent provisoirement dans le couvent Sainte-élisabeth, occupé par des tertiaires régulières de Saint-François. Ces religieuses, attirées par la vie spirituelle des Annonciades, finissent par demander leur entrée dans l’ordre. C’est donc une communauté d’une trentaine de religieuses qui s’installe officiellement dans le couvent construit par les soins de Marguerite d’Autriche. Dès 1517, plusieurs sœurs de Bruges partent fonder un nouveau monastère de l’Annonciade, à Béthune.
Aux alentours des années 1519-1521, deux projets de fondation auxquels Gabriel-Maria a donné son accord, voient le jour : les annonciades en effet s’établissent à Rodez, en 1519, auprès de monseigneur François d’Estaing, un ami de Gabriel-Maria, et à Bordeaux, en 1521. Au cours de l’année 1530, le franciscain bénit une nouvelle fondation, celle du monastère des annonciades de Louvain.
Peu avant, en 1529, ses fonctions l’ont conduit dans la région parisienne, à Chanteloup-les-Arpajon. Là , Gabriel-Maria va être amené à réformer un groupe de sœurs hospitalières, appelées sœurs grises, faisant partie de la famille franciscaine. Pour ce faire, il leur donne la Règle des annonciades. Cette réforme n’est pas étonnante à l’époque. En effet, la mise en clôture de religieuses non cloîtrées, ici des sœurs grises, est à replacer dans le contexte plus large de réforme qui, en cette fin du XVe siècle, est véritablement le maître-mot. Ce mouvement de mise en clôture aura d’ailleurs son apogée dans la première moitié du XVIIe siècle, au moment de la contre-réforme catholique, et de l’application des directives du concile de Trente pour la vie religieuse féminine. Ainsi, par la fondation de ce dernier couvent d’annonciades, apparaît un autre aspect du père Gabriel-Maria, celui de réformateur. C’est à ce titre que, peu de temps avant, il avait reçu du roi François Ier la mission de visiter et de réformer les clarisses urbanistes de France, c’est-à -dire les clarisses vivant sous la règle du pape Urbain IV.
Les dernières années
Quelque temps après la fondation de Chanteloup, le père Gabriel-Maria tombe gravement malade au couvent des annonciades de Bordeaux. Là , il rédige son testament spirituel à l’intention de ses filles de l’Annonciade. Cependant, il se remet et repart visiter les maisons de l’ordre.
À cette époque, Gabriel-Maria, âgé de près de soixante-dix ans, voit sa santé se fragiliser. Mais grâce à sa grande énergie il poursuit néanmoins ses activités. Malade une fois de plus à Bourges, à la veille de Noël 1531, il confesse encore ses filles et célèbre les trois grand-messes de la Nativité. L’année suivante, il prêche une dernière fois le carême à Bourges, puis se met en route pour assister au chapitre général des Frères mineurs observants, prévu à Toulouse, à la Pentecôte 1532. Le 29 mai, il arrive bien malade à l’Annonciade de Rodez. Renonçant alors à poursuivre son voyage, il a encore la force de faire profiter la jeune communauté de ses conseils spirituels, entendant les sœurs en confession, prêchant, célébrant la messe et recevant plusieurs novices à la profession. Le 26 juillet, il célèbre sa dernière messe puis doit s’aliter. Il meurt le 27 août 1532, dans l’après-midi. Son culte se répand et des miracles ont lieu près de sa tombe.
À sa mort, Gabriel-Maria laisse l’Annonciade en plein essor. En trente ans, il a présidé à la fondation d’au moins huit monastères de moniales, et même plus si l’on compte les couvents de tertiaires franciscaines qui lui doivent aussi beaucoup, principalement, ceux fondés par la bienheureuse Marguerite de Lorraine.
Un homme marial. Un homme de paix.
L’activité pastorale de Gabriel-Maria s’inscrit donc dans tout ce contexte de réforme si caractéristique de cette fin du XVe siècle. Cette réforme n’allait pas de soi, suscitant souvent des conflits entre les partis. L’ordre de Saint-François, comme il a été dit, n’échappe pas à ce courant. L’action de Gabriel-Maria s’en fait l’écho grâce à un thème qui revient souvent sur ses lèvres : la paix. Les nombreuses charges qu’il a eues au sein de l’observance le mettant au cœur des problèmes, on comprend que ce thème de la paix puisse lui tenir à cœur.
Il annonçait la paix, la recommandait partout où il allait, dans tous les lieux où il entrait. Ce souci de la paix s’enracine dans son attachement à son père saint François. Celui-ci, en effet, demande à ses fils spirituels d’être porteurs de la paix évangélique : « En quelques maisons qu’ils entrent, qu’ils disent d’abord : Paix à cette maison… », leur recommande-t-il dans sa Règle. De son côté, lorsque Gabriel-Maria arrive dans un couvent il fait œuvre de paix « priant les frères ou les sœurs d’un cœur paternel de s’entraîner les uns les autres sur ce chemin de paix. S’il trouvait quelques conflits, il se mettait en peine de remettre tout en paix et union.
Son activité s’inscrit également dans une période de recherche doctrinale et théologique, en particulier en matière de mariologie, en ces années où l’on débat autour de l’Immaculée Conception.   Pour lui, Marie est « sa Dame et Reine très excellente », sa « mère très douce, son amie sur toutes créatures ». Son premier biographe rapporte qu’en ses prédications, où il se trouvait, il parlait le plus souvent des mérites, dignités et vertus de la Vierge Marie. Sa parole est le reflet audible, si l’on peut s’exprimer ainsi, de la disposition profonde de son être spirituel : plaire à Marie. Avant de poser un acte, dire une parole, il réfléchit si cela est conforme à Marie. Marie est pour lui un modèle qu’il veut suivre, l’exemplaire qu’il veut reproduire et auquel il veut ressembler. Cet amour de la Vierge Marie lui est reconnu par l’Église officielle en la personne du Pape Léon X qui lui donnera comme nom « Gabriel-Maria », à cause de sa grande dévotion mariale.
Ces deux thèmes – Marie et la Paix – lui sont communs avec l’observance franciscaine en général, avec saint Bernardin de Sienne en particulier. Un sermon sur la Nativité de la Vierge Marie inaugure la carrière de ce prédicateur populaire. Par sa parole, il tentera aussi de ramener la paix au sein de sa ville de Sienne. Car pour Bernardin, le Christ doit faire la paix, Lui qui a dit « Je vous donne ma Paix ». Ainsi, vivre l’Évangile au milieu des gens et par son comportement, être témoin de la paix : tel est le souci de Gabriel-Maria.
Un homme d’espérance
Son espérance prend racine dans la compréhension du mystère de la croix du Christ et de l’eucharistie qu’il ne dissocie pas de la Passion. Pour lui, ces deux mystères de la foi de l’Église sont indissociables. Ainsi, il avait l’habitude de dire : « Qui connaîtrait bien la messe, connaîtrait bien la passion. Et qui connaîtrait bien la passion, connaîtrait bien la messe ». Près de la croix, il puise la force, c’est-à -dire, toute vertu ; il y puise aussi toute science et toute sagesse, à l’exemple de son père saint François dont les marques de la Passion du Christ s’étaient imprimées en son corps et qui par-dessus tout vénérait le sacrement de l’eucharistie.
Son espérance se nourrit donc de ces mystères car, il le sait, en eux se trouvent la délivrance de tout mal moral, en eux se trouvent tous biens spirituels. Cette espérance, Gabriel-Maria veut aussi la communiquer à d’autres. C’est pourquoi, il est aussi un fervent prédicateur. « Il eut fait tous les jours des prédications », nous dit son biographe. C’est aussi un ardent confesseur. Ses pénitents aiment recourir à lui, chacun désirant mettre leur conscience entre ses mains pour être en sûreté et repos d’esprit et avoir, en tous doutes et scrupules, son bon conseil. Il redonnait force et courage. Ceux qui pouvaient venir à lui pour se confesser s’estimaient être en grande espérance en la miséricorde de Dieu, car l’une des grandes grâces qu’il avait, c’était de ramener et d’affermir un pauvre pécheur dans l’espérance. Espérance et miséricorde vont de pair pour Gabriel-Maria. à ses frères en religion qui lui disaient que « justice divine était bien grande, il répondait : La justice divine est merveilleuse, mais…. la miséricorde de Dieu est cent fois plus grande ! Il parlait d’expérience – expérience du pasteur qui connaît l’œuvre de la grâce dans les cÅ“urs. Ainsi, aux confesseurs ou directeurs de conscience de son ordre, il donnait ce conseil : si l’on a « la charge d’entendre en confession de pauvres pécheurs ignorants ou autres en ennui et perturbation d’esprit, n’ayant espérance d’avoir pardon, il faut travailler le plus que l’on pourra à les ramener à l’espérance de la miséricorde de Dieu. »
Un homme d’espérance dont le travail est la louange. En effet, Gabriel-Maria est aussi un homme de louange. Il désire même en faire « son métier continuel » car, à ses yeux, c’est le moyen de progresser sur le chemin des vertus. Mais qui dit métier, dit effort, apprentissage, durée. Car elle n’est pas forcément naturelle, elle n’est pas forcément sentie et goûtée. L’œuvre de la louange en soi échappe à notre emprise ; il y a tout un travail secret qui s’opère. Petit à petit, la louange décentre de soi et ouvre le cœur. Si Gabriel-Maria a ainsi décidé en lui-même de toujours louer et magnifier Dieu, c’est qu’il savait qu’elle pouvait être un remède au retour sur soi, à l’amertume et au ressentiment. Toutes les œuvres que ces diverses charges lui demandaient d’accomplir, il les faisait toutes « pour la plus grande gloire et honneur de Dieu », nous dit encore son premier biographe. Son « métier » de louange transparaissait de sa personne, surtout lorsqu’il disait sa messe si bien que ceux et celles qui y assistaient étaient portés à dévotion et à louer Dieu.
Actuellement, son procès de béatification ou de reconnaissance de culte se poursuit. L’étape diocésaine est désormais terminée ;  l’étape romaine est en cours. Un pas vient d’être franchi : la rédaction de la Positio.
Deux mots pour dire Gabriel-Maria
Don de soi : un mot qui, pour Jeanne de France, traduit  bien ce qu’a été Gabriel-Maria : « Mon père, je vous connais bien : vous vous donnez entièrement là où vous vous donnez. »
Miséricorde : un mot dont Gabriel-Maria a fait l’expérience : « Mes frères, si bous saviez comme la miséricorde de Dieu est grande…. »
Deux prières pour demander des grâces
Fidèle Serviteur de Marie, obtenez-moi ces grâces si fortes et puissantes qui gagnent le cœur si doucement mais si efficacement ! Rendez-moi toujours présente les vertus de la Sainte Vierge et ses divines dispositions, fortifiez le désir, encore faible, que j’ai de l’imiter et de lui plaire et, par ce moyen, plaire à Dieu. Bienheureux père Gabriel-Maria, priez pour nous.
Seigneur notre Dieu, Toi qui as inspiré au père Gabriel-Maria d’être, à une époque de troubles et de conflits, un inlassable artisan de paix ; Toi qui lui as donné de se mettre à l’école de Marie et d’être avec sainte Jeanne de France cofondateur de l’Ordre de l’Annonciade, voué au Plaisir de Dieu par l’imitation des vertus de la Vierge : fais qu’à leur tour, les hommes et les femmes de notre temps s’emploient sans cesse à garder la paix évangélique en eux-mêmes, et à la susciter autour d’eaux. En imitant ce Serviteur de Dieu, accorde-nous la grâce que nous implorons. Amen.