L’été est marqué par la lumineuse fête de L’Assomption, c’est la fête de l’espérance chrétienne ; elle dévoile notre véritable destin. Cette Fête nous centre sur cet article du Credo : « nous croyons à la résurrection de la chair, à la vie éternelle, au monde à venir. » L’Assomption de la Vierge célèbre la grandeur de l’être humain et fait apparaître l’action secrète de l’Esprit Saint dans l’âme de toute personne humaine. Ce qui se passe en Marie, se passera aussi en chacun de nous, au terme de notre histoire personnelle d’ici bas. Car Marie est la « première en chemin », selon les paroles d’un chant liturgique bien connu. Elle nous montre notre devenir personnel qui sera un jour transfiguré dans la Lumière du Christ. Tout notre vécu, avec ses heurs et malheurs, sera éternisé dans le Christ.
L’Assomption de la Vierge en la totalité de sa personne met aussi en lumière la beauté du corps humain car, comme le dit saint Paul, il est le temple de l’Esprit Saint : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?” (1 Co 3, 16). Notre personne, corps, âme et esprit, est donc comme un reflet de la beauté de Dieu, et cela, grâce au travail de la grâce de Dieu en elle. Ainsi, même meurtrie dans son corps, la personne a droit à toute dignité, à tout respect car en elle peut-être s’opère de longs mûrissement, de lentes transfigurations, sous l’écorce d’un corps abîmé… Comme le dit toujours saint Paul en parlant de nos faiblesses et pauvretés physiques et corporelles : “ C’est pourquoi nous ne faiblissons pas. Au contraire, même si notre homme extérieur s’en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour “(2 Co 4, 16).
Toute la création est prise dans ce mouvement d’Assomption. En effet, toujours selon saint Paul : “la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité, – non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise, – c’est avec l’espérance d’être, elle aussi, libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement. (Rm 8, 19-22). En elle aussi, s’opère un lent travail de transfiguration.
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Tout ce qui vient d’être dit veut souligner l’éminente dignité de la personne humaine. Emmanuel Mounier (1905-1950), philosophe français, va nous aider à poursuivre la réflexion. En effet, son ouvrage sur le personnalisme – ouvrage qui met en lumière la valeur spécifique, absolue et transcendante de la personne humaine – paru un an avant sa mort, en 1949, peut aujourd’hui encore nourrir notre pensée sur un sujet qui nous concerne tous.
Ainsi, pour Emmanuel Mounier, contrairement aux autres créatures créées par Dieu – Créateur de toutes choses – la personne, elle aussi, à l’image de son Créateur, crée ; elle fait et en faisant, en créant, elle se fait. On peut certes se poser la question : ce « faire » a t-il un sens ? Ce que la personne crée a-t-il un sens ? Les ouvrages et les travaux des hommes ont-ils un sens ? Oui et le premier sens que nous pouvons y voir c’est que tout travail humain ouvre la personne sur autrui, sur les autres. C’est un dépassement de soi. Ce dépassement de soi n’est pas la fébrilité des passions, mais l’accomplissement de soi. Par exemple, quand un père ou une mère de famille accepte renoncement et privation pour leurs enfants, quand un médecin part servir la vie dans les pays en guerre, servir la vie sur les lieux des catastrophes naturelles, quand un religieux ou une religieuse prend parti pour les plus faibles au prix de sa vie, tous servent la condition humaine. Et ce service est « l’acte suprême de la personne » (Emmanuel Mounier). La personne est plus qu’elle-même, plus que sa vie. Paradoxe : la personne ne se trouve sur le plan personnel, qu’en se perdant, par exemple en acceptant de mourir pour que d’autres vivent. Paradoxe tout évangélique. Ainsi, dit jésus : « Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera” (Lc 9, 24). Plus le don de soi est grand plus la personne est vivante !
La dignité de la personne est donc de se quitter elle-même, de sortir de son monde clos, de son « moi » clos, bien souvent suffisant et égoïste, pour aller vers l’autre, vers les autres. La personne est mouvement vers autrui. Elle n’est « consistante qu’en l’être qu’elle vise » (Emmanuel Mounier), c’est à dire, qu’en la personne qu’elle regarde, qu’elle sert, qu’elle rencontre etc. La personne ne peut être inventoriée, cataloguée. Chaque personne est unique. Sa richesse intérieure lui donne non pas une répétition mais une continuité, une permanence dans l’être, une plénitude, une surabondance. La personne est mouvement et ce mouvement la mène toujours plus loin, en avant d’elle-même. Ainsi, par exemple, la vie de foi, qui est une richesse intérieure, peut bousculer toutes prévisions trop humaines ; l’action bouscule toute volonté propre, la charité et le vrai amour bousculent tout désir égoïste. Ainsi, on peut dire que ce qui fait la dignité d’une personne, c’est sa capacité de se dépenser, de risquer « sans regarder le prix » (Emmanuel Mounier).
Mais, autre question : cet élan de vie a-t-il une orientation ? Car la disposition intérieure de la volonté humaine à aller de l’avant, à se dépasser dans un univers qui n’aurait aucune signification serait vain et absurde. Il y faut du sens. Le dépassement de soi n’est pas seulement dans le fait d’avoir des projets. Le dépassement de soi est tout intérieur à l’être, il est élévation de l’âme, il est assomption de l’esprit, élargissement du cœur. La personne est faite pour la surabondance, le don de soi. La personne ne tient debout dans la vie que par « un minimum de force ascensionnelle » écrit encore Emmanuel Mounier. Mais, ce mouvement « d’ascension », comment peut-on le nommer ? On parle de « valeurs ». Cet élan vers le haut, vers les valeurs les plus nobles, les plus dignes n’est-il pas le signe que, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, la personne est faite pour Dieu, pour vivre de sa Vie et que c’est là la véritable orientation de tous ses désirs, de tous ses dépassements ?
Comme l’écrit toujours Emmanuel Mounier, « toutes les valeurs se groupent […] sous l’appel singulier d’une Personne suprême ? », c’est-à-dire, sous l’appel de Dieu même. Cet appel de Dieu, au début du Livre de la Genèse, lancé à l’homme « Adam où es-tu ? » (Gn 3, 9) retentit toujours au fond de la conscience humaine. La seule réponse à cet appel divin, qui ouvre sur la vie, ne peut-être que celle-ci : « Me voici ! » Le « oui » à Dieu de toute personne exauce donc le désir de son Créateur qui est de lui donner part à sa Vie. « Comme le dit saint Irénée, la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu. » Tel est son destin de lumière.
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