Tu écouteras, tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité, dans un pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a dit le Seigneur, le Dieu de tes pères. Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cÅ“ur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cÅ“ur. Tu les rediras à tes fils, tu les répéteras sans cesse, à la maison ou en voyage, que tu sois couché ou que tu sois levé ;  tu les attacheras à ton poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur ton front, tu les inscriras à l’entrée de ta maison et aux portes de ta ville. (Dt 6, 3-9)

Écouter la Parole, puis mettre en pratique ce que l’on a compris de cette Parole. Car cette Parole dévoile ce qui peut rendre heureux, ce qui peut donner à l’existence sa fécondité. Elle se résume en un seul verbe : aimer. Aimer avec toute sa personne, tout soi-même, avec toutes ses facultés : avec son cœur, sa pensée et sa mémoire, avec son âme, son esprit, sa raison et son intelligence, avec sa force et sa volonté. Ce verbe aimer, le dire non seulement avec ses propres mots « tu les rediras à tes fils », mais aussi le dire avec sa vie, en ses actes quotidiens, « à la maison ou en voyage », en tout temps, « couché ou levé », en toutes circonstances. Parole à attacher « à son poignet », à mettre comme « un bandeau sur son front », à inscrire à « l’entrée de sa maison et aux portes de sa ville», en un mot, aimer avec ce que je suis, et là où je vis, diffuser cet amour autour de soi car cette Parole fait sortir de soi, nous pousse en avant de nous-mêmes, vers les autres.

Si on entre dans cette dynamique, alors, l’existence devient féconde, elle plait à Dieu. Cela rend heureux. Mais, ce n’est pas forcément naturel. Une conversion est nécessaire. Car aimer vraiment, selon la Parole, fait marcher bien souvent à contre courant du monde et de son esprit. Parfois peut-être, pour faire le point, il est bon de s’arrêter et de se demander : est-ce que je pense et fait comme tout le monde, ou non ? Mes pensées sont-telles de Dieu ou seulement des hommes ? Ma vie se sclérose-t-elle dans mes opinions, mes manières d’agir ? Ou bien, comme le psalmiste le chante dans un psaume, je marche suivant la loi du Seigneur, heureux de garder et de faire ce qu’il me dit ? Mes jours lui sont-ils agréables ? Comment faire pour découvrir ce qui est bon réellement, ce qui est vivifiant, en un mot ce qui est d’évangile en ma vie et ce qui ne l’est pas?

Ces questions, saint Grégoire de Nysse (v. 335 – 395) les résumaient en une seule : « Que doit faire celui qui a obtenu de porter le nom magnifique du Christ? » Et il y répondait : « Rien d’autre que d’examiner en détail ses pensées, ses paroles et ses actions : est-ce que chacune d’elles tend vers le Christ, ou bien s’éloigne de lui? » Si on tend à cela, alors, petit à petit « les actes, les pensées ou les paroles qui entraînent une passion quelconque », qui « n’est aucunement en accord avec le Christ », regardera « vers le chef de la paix spirituelle, qui est le Christ. » En effet, « c’est en lui, comme à une source pure et incorruptible, que l’on puise les connaissances qui conduiront à ressembler au modèle primordial; ressemblance pareille à celle qui existe entre l’eau et l’eau, entre l’eau qui jaillit de la source et celle qui de là est venue dans l’amphore. En effet, c’est par nature la même pureté que l’on voit dans le Christ, et chez celui qui participe au Christ. Mais chez le Christ elle jaillit de la source, et celui qui participe du Christ puise à cette source et fait passer dans la vie la beauté de telles connaissances. C’est ainsi que l’on voit l’homme caché concorder avec l’homme apparent, et qu’un bel équilibre de vie s’établit chez ceux que dirigent les pensées qui poussent à ressembler au Christ » (Saint Grégoire de Nysse, extrait « De la perfection chrétienne »).

Ô Marie, Vierge et Mère de Jésus, 

donnez-moi de penser, de dire et de faire 

ce qui plaît le plus à Dieu et à vous-même.

Ce que dit saint Grégoire de Nysse fait penser à ce que dit en quelques mots sainte Jeanne dans sa célèbre prière à la Vierge : elle demande que toute sa personne, que toutes les puissances de son être profond soient orientées vers le Plaisir de Dieu, lui soient agréables, à savoir, sa mémoire, son intelligence, sa volonté en lesquelles les pensées, la parole et les actes ont leur source : Ô Marie, Vierge et Mère de Jésus, donnez-moi de penser, de dire et de faire ce qui pmait me plus à Doeu et à vous-même.

Dans cette prière Jeanne, en demandant à la Vierge que ses pensées, ses paroles et ses actions soient agréables à Dieu montre par là que Dieu lui-même est l’objet de ses désirs, celui qui habite sa mémoire, son intelligence et sa volonté, celui qui a pris possession donc de toutes les puissances de son âme, de son cÅ“ur, de son être profond, si bien que ses pensées, ses paroles et ses actions sont toutes ordonnées à cet objet comblant qu’est Dieu Trinité, sont toutes orientées vers ce qui peut Lui plaire. Son désir est d’aimer de tout son cÅ“ur, de toute son âme et de toute sa force, pour reprendre les paroles du deutéronome. Certes, l’image divine est imprimée en toute personne puisque toute personne est créée à l’image de Dieu, mais elle devient ressemblance toujours plus pure dans  la mesure où la personne vit sous l’influence de la grâce divine qui est la grâce de son baptême, sous l’influence de l’Esprit saint.

 

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ;
mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui,
nous nous ferons une demeure… » (Jn 14, 23)

Garder la Parole en soi-même. Devenir son lieu, sa demeure. Accueillir sa paix. Dieu s’est comme incorporé en nous au jour de notre baptême, nous sommes devenus son lieu pour ainsi dire. C’est à la porte de ce lieu-là que Dieu ne cesse de frapper.

« Ouvre ta porte à celui qui vient, ouvre ton âme, élargis l’accueil de ton esprit afin qu’il découvre les richesses de la simplicité, les trésors de la paix, la douceur de la grâce » (St Ambroise, Homélie sur le psaume 118). Une idée ici semble bien pertinente : « élargis l’accueil de ton esprit », en d’autres termes, « tenir notre intelligence libre » (Bx P. Gabriel-Maria). Ne pas l’encombrer. Rude combat quand tant et tant d’informations la captivent, quand tant d’idées circulent. Dans ce brouhaha, comment reconnaitre le souffle ténu de l’Esprit saint ? D’où, nécessité de la prise de recul pour rester ouvert à Celui qui ne cesse de venir.

En conséquence, « dilate ton cÅ“ur, viens vers le soleil de la lumière éternelle qui éclaire tout homme. Sans doute, la vraie lumière brille pour tous; mais celui qui ferme ses fenêtres se privera de l’éternelle lumière. Donc, le Christ lui-même est laissé dehors, si tu fermes la porte de ton esprit » (St Ambroise), si tant d’idées et informations en ferment l’entrée. Désirer sa venue en nous-mêmes. Prendre conscience que Dieu est au plus intime de nous et aller à tout, faire tout, avec Lui ; alors on ne sera jamais banal, même en faisant les actions les plus ordinaires. Vie personnelle avec Lui.

« Issu de la Vierge, il est sorti de son sein en rayonnant sur tout l’univers, afin de briller pour tous. Ils le reçoivent, ceux qui désirent la clarté d’une lumière perpétuelle que la nuit ne vient jamais interrom-pre. Car le soleil que nous voyons de nos yeux est supplanté par l’obscurité de la nuit; mais le soleil de justice ne se couche jamais parce que le mal ne supplante jamais la sagesse » (St Ambroise). Accueillir sa Lumière qui est Vérité et que sa Parole me dévoile. Sa Parole est Lumière sur ma vie, sur celle de mes frères et de mes sÅ“urs en humanité. Elle est vraie, véritable, c’est pourquoi elle est vie. Donc, Elle ne passe pas. Car la vie ne passe pas sinon ce n’est plus la vie. Il y faut la foi. Foi en cette Parole, en cette Lumière. « Heureux donc celui à la porte duquel frappe le Christ. Notre porte, c’est la foi, qui, si elle est solide, défend toute la maison. C’est par cette porte que le Christ fait son entrée » (St Ambroise). En cette Parole, la vraie sagesse. Croire. Par cette porte, le Christ entre en nous-mêmes, en notre existence personnelle. Cette porte est ouverte quand on est en état d’écoute, disponible, percevant le murmure de sa Parole qui atteint notre vie profonde.
Cela ne se fait pas tout seul. Travail sur soi. « Quelqu’un trouve-t-il son bonheur à servir Jésus et accomplir sa volonté, lui aussi, se plaira à le servir et à exaucer ses vÅ“ux » (Bx P. Gabriel-Maria). Cela semble couler de source. Mais… cela demande de faire, de poser des actes, et de se laisser faire ; faire, c’est à dire veiller sur soi-même, « devenir maître de son intérieur », c’est-à-dire de ces passions qui écartèlent et dispersent. Mais ce travail sur soi « prépare et purifie la maison de notre âme » (Bx P. Gabriel-Maria). Car « le Dieu Verbe frappe à [notre] porte….. Il daigne visiter ceux qui sont exposés à l’épreuve et aux tentations, pour qu’ils ne risquent pas d’être vaincus et de succomber à leurs difficultés » (St Ambroise). Cela suppose la veille. « C’est alors qu’il faut veiller, de peur que l’Époux, quand il viendra, ne se retire parce que la maison lui sera fermée. Si tu dors, et si ton cÅ“ur ne veille pas, il se retire avant d’avoir frappé. Si ton cÅ“ur veille, il frappe et il demande qu’on lui ouvre la porte » (St Ambroise). Écouter, Lui ouvrir sa vie, quand rien ne va plus. Écouter cette Parole qui est Quelqu’un qui me veut du Bien. Car Cette Parole vivante est de notre côté ! L’écouter quand rien ne va plus afin de rester debout quand souffle un vent d’épreuve ou de tentation. Cette écoute est comme une veille dans la nuit, une clarté au creux du sombre.

Ces quelques mots de saint Jean sont donc une invitation à l’intériorité, à retrouver le chemin du cœur, là où Dieu nous parle, là où habite l’esprit saint qui est paix, charité etc., que l’on soit dans la consolation ou non. Invitation à « vivre au-dedans de soi-même c’est-à-dire « en aimant Jésus de tout notre cœur et de tout notre pouvoir » (Bx P. Gabriel-Maria), de tout notre possible, de toutes nos facultés – facultés intellectuelles, sensitives, affectives. Et pour cela, un moyen tout simple est à notre portée : s’entretenir « familièrement avec Jésus et lui poser des questions », en d’autres termes, « parler cœur à cœur avec Dieu », tantôt en Le « suppliant comme un père, tantôt en lui parlant familièrement comme à un ami, tantôt en se consolant auprès de lui comme auprès d’un époux » car le Christ « prend plaisir à converser familièrement » avec le priant, « son entretien étant avec les enfants des hommes » (Bx P. Gabriel-Maria), trouvant ses « délices parmi les enfants des hommes » (Pr 8, 31). Et parmi les enfants des hommes, se trouve la Vierge en qui Dieu a trouvé ses délices.

Car si quelqu’un en ce monde est devenu une demeure parfaite et exemplaire du Fils du Très-Haut, c’est bien Elle, la Vierge ; si quelqu’un en ce monde a donné à voir Celui qui l’habitait, c’est bien aussi la Vierge. Ineffable mystère qui émerveillait un saint François d’Assise : « Salut, Dame, reine sainte, sainte Mère de Dieu, Marie qui es Vierge faite Église…, toi en qui furent et sont toute plénitude de grâce et tout Bien. » Ainsi, pour François, Dieu a choisi la Vierge Marie comme sa demeure, son « église » ; le Verbe fait chair est venu demeurer en Elle, prenant définitivement possession de sa maison qu’est Marie.

Le cœur à cœur que nous entretenons dans la prière avec Celui qui demeure en nous et en qui nous demeurons travaille notre propre existence, la construit, la transforme invisiblement. Sa Présence nous devient familière. Et cette secrète familiarité nous évangélise au-dedans, nous ouvre à une nouvelle manière de voir la vie et de la vivre, nous ouvre à ce qui est vrai, aux véritables valeurs de l’existence. Petit à petit, on devient des familiers de l’Esprit saint, des amis de Dieu.

 

Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » (Mt 11, 28-30)

Dans un de ses écrits, Gabriel-Maria nous brosse en quelques mots cet idéal de paix intérieure que chacun désire, cherche à atteindre à travers les aléas de sa propre vie. A ses yeux, une personne paisible, sereine, tranquille en elle-même, « loue Dieu de tout son cœur dans les épreuves comme dans les consolations. » Il rejoint en quelque sorte saint Paul dans sa lettre aux Philippiens lorsque ce dernier invite à nous réjouir « sans cesse dans le Seigneur », à n’entretenir « aucun souci » (Ph 4 5-7). Pour Gabriel-Maria une personne paisible prendra « tout ce qui lui arrive avec égalité […], ne cherchant qu’à plaire à Dieu. » Alors, poursuit-il, cette personne sera « comme une tour forte et bien fondée que nul vent de prospérité ni d’adversité ne peut atteindre ni troubler. » Elle prendra « tout avec égalité » car « ses affections se reposent en Dieu », en un mot, elle goûte la paix du cœur, elle a trouvé « le repos pour son âme ».

Impossible à atteindre, me direz-vous ! Et c’est vrai. Mais ce qu’écrit Gabriel-Maria n’est pas ce que nous devons être, d’une manière stable, mais ce que nous devons désirer, à travers les aléas de la vie, ce que nous devons chercher, là où nous en sommes.

Le Christ n’a dit qu’une seule parole et « cette unique Parole du Christ est celle de la Paix, parce que le Christ est l’auteur de la Paix, c’est lui qui l’a donnée et qui l’a enseignée » nous dit encore Gabriel-Maria. Donc, cette paix est possible puisqu’elle nous est promise, mieux encore, donnée. Cette paix, qui est celle du cœur, chacun y aspire, surtout lorsque les soucis l’envahissent. Souvent, « dans la paix du cœur se dissipent les inquiétudes sur soi-même », dit frère Roger de Taizé dans un de ses écrits. Le « fardeau » de la vie devient plus léger. On en a fait peut-être l’expérience ? Mais où est la source d’une telle paix ? « Elle est dans la mystérieuse présence d’un amour. Le plus important, écrit frère Roger, est de découvrir que Dieu [nous] aime. Là est la source. » Cette découverte est souvent le résultat d’une longue quête, d’un long travail sur soi, sur son imagination, ses sentiments et impressions, et le fait d’une prière persévérante à l’Esprit Saint. Car « par son Esprit Saint, le Ressuscité traverse, pour le transfigurer, même le plus déconcertant » de nos existences. Les pessimismes que [nous portons sur nous-mêmes] se dissolvent. [Faisons] la chasse aux impressions sombres que peut secréter l’imagination. Et s’éclaire la paix du cœur. » Petit à petit, un travail se fait au-dedans de nous-mêmes, souvent à notre insu : « imperceptible changement au-dedans, la transfiguration de l’être se poursuit au long de l’existence. Elle donne de vivre dans le moment présent, elle fait de chaque jour un aujourd’hui de Dieu… » (Frère Roger de Taizé)

La paix du cœur permet de voir clair. Car la paix intérieure va avec discernement. En effet, quand il y a en nous agitation, trouble, on devient vite le jouet de nos émotions ; nous n’avons plus une juste représentation du réel. Dans ce cas, l’urgence est de retrouver cette paix perdue en priant, en recourant à la Parole de Dieu, en posant des actes de foi, de confiance en Dieu, en se faisant aider.
La paix intérieure va aussi avec réconciliation avec soi-même. Le mot de « paix » dans la tradition biblique, désigne certes ce qui s’oppose à la guerre, mais il a aussi le sens de plénitude, d’abondance. Est en paix celui qui peut dire, comme le psalmiste : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien » (Ps 22). Le contraire de la paix devient alors le manque, l’insatisfaction. N’est-ce pas la plupart du temps nos manques, nos insatisfactions qui nourrissent nos conflits ?

Alors, la paix intérieure, une urgence spirituelle ? Peut-être bien en ces temps troublés et déstabilisants pour beaucoup, en ce temps à l’avenir incertain. Se pacifier et ce sera lumière pour les autres. C’est ce qu’écrivait Etty Hillesum, en 1942, en plein cœur de la seconde guerre mondiale, dans son journal : « Notre unique obligation morale, c’est de défricher en nous-mêmes de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche, jusqu’à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y a de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition. »
Dans le trouble, on devient vulnérable à toute force qui divise, à toute peur et violence. D’où l’urgence de la paix. Mais vivre de cette paix intérieure, cela demande du temps, un long travail de la foi en la promesse du Christ : « Je vous laisse ma paix, c’est ma paix que je vous donne, je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s’effraie » (Jn 14, 27).

Car la paix promise par Jésus n’est pas celle du monde – la tranquillité de celui pour qui tout va bien, dont les problèmes sont résolus et les désirs satisfaits, ce qui est d’ailleurs assez rare. La paix dont parle le Christ, on peut en faire l’expérience dans les situations dramatiques car elle ne vient pas des circonstances extérieures. Elle est un fruit de la prière, prière persévérante. La prière peut être, et elle l’est, un véritable lieu de pacification.

La quête de la paix intérieure n’est pas la recherche de la sérénité psychologique qui n’est pas à mépriser, certes. Mais la paix intérieure, c’est autre chose : c’est s’ouvrir à l’action de Dieu, à la grâce de son esprit saint. Mais pour garder ce cap, pour laisser l’esprit saint agir en nous, y faire son travail de paix et de louange, le courage de lutter contre l’inquiétude par une prière sans cesse remise sur le métier est indispensable. Tendre vers cette paix pour permettre à la grâce de Dieu de faire son travail en nous. Et ce travail est toujours un travail pour une plus grande charité.

La paix intérieure suppose un long travail sur soi en vue d’entrer en consonance avec Dieu, avec soi-même et les autres, avec la vie. Cela demande du temps. Le grand travail de chacun, pour aller toujours plus loin sur ce chemin de la véritable paix intérieure, est d’accepter tout simplement le réel de sa vie, et de se tenir aussi près de Celui qui a dit : « je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29).

 

« Comme Jésus parlait encore aux foules, voici que sa mère et ses frères se tenaient au-dehors, cherchant à lui parler. Quelqu’un lui dit : « Ta mère et tes frères sont là, dehors, qui cherchent à te parler. » Jésus lui répondit : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » Puis, étendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Mt 12, 46-50)

Au centre de ce passage, une main étendue. Cela fait penser à une épiclèse. Jésus semble invoquer l’esprit saint sur chacun de ceux qui le suivent, leur donner son propre esprit de fils afin qu’ils deviennent ses frères. Les voila pris, comme Marie sa mère, à l’ombre de l’esprit saint, prêts à embrasser la volonté bienveillante de Dieu car cette volonté ne peut être que bienveillante, ne peut être que bonne puisque venant de l’Amour même.
Le cercle de sa famille s’élargit. Car en montrant de la main ses disciples Jésus semble aussi indiquer que sa famille est immense, qu’elle peut s’agrandir de jour en jour dans la mesure où on lui donne sa foi. Lui donner sa foi c’est donc faire partir de sa famille dont les membres sont unis par ce lien de perfection dont parle saint Paul : « par-dessus tout cela ayez l’amour qui est le lien le plus parfait. (Col 3, 14). En évoquant ce que font les disciples – la volonté de son Père – Jésus en quelque sorte fait le portrait spirituel de sa Mère Marie qui, toujours, a fait ce que Dieu lui a dit de faire, entrant toujours dans les vues de Dieu.

En vivant selon l’évangile, on peut faire l’expérience que Jésus peut me devenir un frère, un ami, un compagnon de route. Un lien de fraternité se noue. Mais devenir sa mère ? Saint François d’Assise s’est posé la question et y a répondu dans une Lettre qu’il a adressée à tous les fidèles chrétiens de son époque. En effet, dans sa Lettre aux fidèles, il explique ce que suppose cette maternité spirituelle : porter en nous Jésus d’une certaine manière et enfanter Jésus d’une certaine manière. Voilà ce qu’il écrit:

«Nous sommes les mères de Jésus lorsque nous le portons dans notre cœur et notre corps par l’amour, par la loyauté et la pureté de notre conscience, et que nous l’enfantons par nos bonnes actions qui doivent être pour autrui une lumière et un exemple.» Dans ce petit texte, deux orientations de fond:

Tout d’abord, porter le Christ en soi d’une certaine manière, pour François suppose une conscience loyale et pure, une conscience droite. Cela suppose de faire des choix, d’être cohérent dans ses comportements. Car la loyauté renvoie à un comportement d’ensemble. On dira de quelqu’un qu’il est loyal ou qu’il ne l’est pas. C’est d’une certaine manière affaire de cohérence. Il s’agit bien, avec la grâce de Dieu, d’apprendre à devenir conséquents en notre désir de fidélité.

Porter Jésus « dans notre cœur et notre corps par l’amour » c’est d’aimer le Seigneur, « de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, de tout notre pouvoir et courage, de toute notre intelligence, de toutes nos forces, de tout notre effort, de toute notre affection, de toutes nos entrailles, de tous nos désirs, de toutes nos volontés « (St François d’Assise). En un mot, de tout nous-même. Avec ce que nous sommes. Porter Jésus « dans notre cœur et notre corps ». Ici est sous-entendue l’image de la maturation, du mûrissement: «C’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure» (Jn 15, 16). Et cette image de maturation suppose la durée, le temps, elle suppose aussi la marche, le chemin. C’est donc un devenir, un chemin, une route.

Puis, en nous conviant à mener à bien de bonnes actions, de faire le bien, saint François en appelle à notre capacité à faire de nos existences une incessante maternité spirituelle. Comme Marie qui a porté et enfanté le Christ, qui l’a donné au monde, notre vocation est de porter et d’enfanter Jésus par les œuvres bonnes, ces œuvres qui donnent le goût du Christ, qui donnent aux autres le meilleur de nous-mêmes et qui éveillent aussi en eux le meilleur d’eux-mêmes. Cette vocation est la vocation de tout baptisé. C’est déjà ce qu’Origène écrivait au IIIe siècle: « Ce n’est pas seulement en Marie, c’est en toi également que, doit naître le Verbe de Dieu». Et il ajoute «À quoi me sert il de dire que Jésus est venu seulement dans la chair qu’il a reçue de Marie, si je ne montre pas qu’il est venu aussi dans ma chair ?»
Nous sommes donc appelés à manifester l’Amour de Dieu à travers des actes concrets que François appelle avec bonheur de bonnes actions, des gestes bons, vrais et beaux.

Tout cela est une question de foi. En effet, «le Christ est formé par la foi chez le croyant, chez l’homme intérieur, appelé à la liberté de la grâce, doux et humble de cÅ“ur, et qui ne se vante pas des mérites de ses actions ( … ) ; le Christ est formé en celui qui prend la forme du Christ, or, on prend la forme du Christ lorsqu’on s’unit au Christ par l’amour spirituel (St Augustin). On le met au monde en faisant ce qu’il nous dit. Comme l’écrit le Bx P. Gabriel-Maria : « sans obéissance, on ne peut concevoir Dieu ni produire de bons fruits. »

À nous de redécouvrir ce que cela implique. Former, orienter vers le meilleur nos désirs, les centrer sur le bien, sur le don de soi, surmonter tentations et désirs superficiels, alors notre existence pourra donner à voir un reflet du Beau.

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