Une présence de sainte Jeanne à Paris

Nombreuses sont les églises de France possédant vitrail, statue ou autre objet d’art représentant sainte Jeanne de France (1464-1505). Fêtée le 4 février, ce mois lui est tout consacré. En ce mois allons à la rencontre de cette sainte en empruntant le chemin des œuvres d’art qui lui ont été dédiées. Les découvrir toutes, serait trop long dans le cadre de cet article. Alors, comment choisir ? Après réflexion, le choix s’est arrêté sur Paris.

Plusieurs églises de la capitale cachent en effet un souvenir de sainte Jeanne. « Cacher » est bien le terme adéquat. Car pour le découvrir au cœur de l’édifice, il faut chercher ! Mais avant de faire le tour des églises de la capitale qui en conservent, arrêtons-nous au Musée du Louvre, dans le premier arrondissement.

Le Louvre

Le Catalogue Exhibition of Flemish and Belgian Art, Royal Academy of Arts (1927)  nous apprend que le Musée possèderait un tableau d’une sainte Jeanne de France, en religieuse annonciade, couronnée, la Règle de l’Ordre religieux qu’elle a fondé en 1502 en main. Elle est au centre du tableau, placée entre un donateur et une donatrice. La peinture fait partie de l’École flamande. Est-il exposé ou non ? Après recherche, on n’a pu le savoir.

Le musée conserve également une autre peinture qui est une esquisse du tableau que l’on peut toujours voir dans  l’église Saint-Louis des Français, à Rome. Elle est l’œuvre d’Étienne Parrocel (1696-1775). C’est une Huile sur toile de  63,5 x 36 cm. Le peintre représente Jeanne en gloire au ciel entouré d’anges. Au premier plan, sont représentées des annonciades.

Jeanne meurt le 4 février 1505. Une effigie de la future sainte est réalisée alors. Le Louvre possède une copie de ce masque mortuaire de Jeanne, copie en plâtre et éditée à plusieurs exemplaires de  l’original, conservé actuellement au monastère annonciade de Saint-Doulchard.  Cette copie est une demande faite au Louvre par le peintre et lithographe François-Alexandre Hazé (1803-1864), conservateur des monuments historiques du Cher et ami de Pierquin de Gembloux (1798-1863), auteur d’une vie de sainte Jeanne parue à Bourges en 1840 – Hazé ayant illustré l’ouvrage. A cette époque Pierquin de Gembloux travaille au Rectorat d’académie de Bourges (1838-1849). Leur route se sont donc croisées en Berry.

Deux coffrets du 15è siècle ayant appartenu à sainte Jeanne –  un grand et un petit – sont conservés également au Louvre.

Le grand est un coffret à reliques. Ont y voit des colonnettes dans les angles. Le décor sur les différentes faces du coffret est peint. Ainsi, sur les faces latérales, il y a les armes de France dans un écu losangé, surmontées d’une couronne de duchesse. Sur la face antérieure, le monogramme du Christ est placé dans une couronne d’épines supportée par deux anges ; sur les faces opposées le nom de Marie. Ces décorations lèvent le voile sur la spiritualité franciscaine et mariale de Jeanne. En effet, le monogramme du Christ « IHS » – Jésus Sauveur des Hommes, qui est le Nom de Jésus – est une dévotion propagée par un frère mineur du 15è siècle, saint Bernardin de Sienne (1380-1444).  La couronne d’épines rappelle la Passion du Christ qu’un saint François d’Assise à tellement méditée qu’il en a reçu en son corps les stigmates. Au temps de Jeanne, François est bien la figure emblématique capable de susciter chez les fidèles chrétiens ferveur et dévotion. Quant au Nom de Marie, il rappelle la profonde vie mariale de Jeanne.

S’agit-il du coffret de bois de cyprès sur le couvercle duquel il y a un saint François gravé dans le bois, apporté quelques années après la mort de Jeanne par son confesseur, le frère mineur Gabriel Maria (1460-1532) à la sœur Françoise de Mouhet, ancelle des Annonciades de Bourges ? Car le couvercle du coffret conservé au Louvre est moderne. Il n’est pas d’époque. Ce coffret a été en effet restauré en certaines de ses parties – couvercle et colonnettes. Par contre, les panneaux latéraux sont anciens. Le couvercle d’époque comportait-il l’effigie de saint François d’Assise ? On peut se poser la question vu les décorations des panneaux. Quoi qu’il en soit, par son style et les éléments peints, le coffret date de la fin du XVè  siècle. De nos jours, il renferme la copie du testament de Jeanne de France écrit de la main du père Gabriel Maria – l’original se trouvant aux archives du Cher –  ainsi que des dessins de la main de sainte Jeanne et un moulage en plâtre du masque mortuaire.

Le petit coffret en bois naturel, sculpté, de teinte claire, avec un système de couvercle à glissière, le dessus présentant un décor repercé, est peut-être identifiable avec le coffret de cyprès mentionné dans l’inventaire des reliques de 1648, que donne le Summarium  – document romain publié en 1742 contenant le résultat des enquêtes faites au monastère des annonciades de Bourges dans le cadre du procès de béatification de Jeanne. C’est une hypothèse.

Sont également conservés au musée, un fragment d’étoffe ayant appartenu à Jeanne – un beau damas dans lequel figurent des couronnes ducales – et une aquarelle peinte par sainte Jeanne. Cette aquarelle représente une croix, ainsi que le monogramme du Christ entouré d’une couronne d’épines.

Avant de quitter le Louvre, jetons un regard sur une dernière œuvre, qui est un tableau peint par Corot (1796-1875). Ce n’est pas une sainte Jeanne mais une annonciade, une fille spirituelle de Jeanne donc. Nous pouvons donc le considérer comme faisant partie des œuvres consacrées à cette sainte. Elle s’appelle mère des Dix Vertus (1805-1883), moniale du monastère des annonciades de Boulogne-sur-Mer. Ce monastère, spolié à la révolution, est restauré en 1818, mais les sœurs ne récupèrent qu’une partie des bâtiments. Devenue Ancelle du monastère, la mère des Dix Vertus n’a de cesse de tenter de récupérer l’ensemble des bâtiments. Par un jeu de circonstances, en l’année 1852, elle obtient un rendez-vous à Paris auprès des autorités de l’État afin de plaider sa cause. Des amis du monastère boulonnais, habitant la capitale l’héberge chez eux. Or, ces amis sont eux-mêmes amis du peintre Corot. Ce dernier, reçu chez eux pendant le séjour de la mère Des Dix vertus est subjugué par cette moniale. Il obtient l’accord de la sœur de la peindre à condition que soit caché son visage. Corot consent. Voilà pourquoi, toute la lumière du tableau se concentre sur le scapulaire de la moniale et sur ses mains.

Eglise Saint-Germain l’Auxerrois

Sortons maintenant du Louvre et allons vers l’église Saint-Germain l’Auxerrois, située pas très loin. Admirons le porche d’entrée et ses statues. L’une d’elles représente sainte Jeanne : elle tient en main une église, signe de son rôle de fondatrice. Elle est couronnée, signe de ses origines royales. Les statues du porche d’entrée sont l’œuvre du sculpteur Louis Desprez (1799-1870). Les statues datent des années 1841. Si nous entrons dans l’église, alors, dirigeons-nous vers les vitraux du pourtour du chœur. Là, une sainte Jeanne nous attend, représentée dans un des vitraux. Repérer le vitrail de la tribune de la reine. Une Annonciation. Dans les deux panneaux des côtés sont représentées les quatre reines de France canonisées : sainte Clotilde (493-545),  sainte Radegonde (520-587), sainte Bathilde (vers 630-680) et sainte Jeanne de France (1464-1505). Le panneau ovale, au-dessus, représente la Vierge conversant avec le Christ. Le vitrail est signé Etienne Thevenot (1797-1862). Il date de 1845.

Cathédrale Notre-Dame

Sortant de Saint-Germain l’Auxerrois, gagnons le quatrième arrondissement, vers Notre-Dame. Arrêtons-nous un instant sur le parvis et, faute de pouvoir entrer à cause des travaux de restauration, essayons d’imaginer l’une des peintures murales de la cathédrale qui représente  les reines de France devenues saintes. Là encore, on peut voir une sainte Jeanne de France. Les peintures murales des chapelles de Notre-Dame de Paris sont l’œuvre d’une collaboration, celle d’Eugène Viollet-Le-Duc (1814-1879) et de Maurice Ouradou (1822-1884), dessinateur du modèle.

Eglise Saint-Médard

Quittons Notre-Dame pour l’église Saint-Médard, dans le cinquième arrondissement. Entrons et dirigeons-nous vers la chapelle Saint-Louis où nous pouvons admirer un vitrail représentant trois saintes : sainte Clothilde (493-545), sainte Isabelle de France (1225-1270) et sainte Jeanne (1464-1505), en annonciade, un ciboire dans une main, un pain dans l’autre. Ce vitrail est sorti des ateliers Charles Champigneulle (1853-1905), dans le courant du 19è siècle. L’auteur a mis l’accent sur une des dévotions de Jeanne : l’eucharistie. Le pain peut signifier la « Bonne duchesse » de Bourges venant en aide aux pauvres.

Eglise Saint-Etienne du Mont

Prenons maintenant la direction de l’église Saint-Etienne du Mont, située également dans le cinquième arrondissement. Entrons et allons vers la chapelle Sainte-Geneviève. Des statues ornent l’autel, dont une sainte Jeanne de Valois. Elle est en reine, couronnées, portant en main  le livre de la Règle de l’Ordre qu’elle a fondé. Cette chapelle a été réalisée en 1853. Elle est un bel exemple de style néo-gothique.

Eglise de La Madeleine

En sortant de Saint-Étienne du Mont, allons vers l’église de La Madeleine, dans le huitième arrondissement. Faisons le tour de l’église et arrêtons-nous devant le portail latéral gauche. On peut y voir une statue de sainte Jeanne parmi les statues du péristyle de l’église, représentée en fondatrice, avec couronnes et entourée d’autres saints, tel saint Grégoire de Valois. La statue date de 1840 et serait de François-Gaspard-Aimé Lanno (1800-1871). Toutefois, d’après le catalogue de CHAIX, Inventaire général des œuvres d’art appartenant à la ville de Paris (1881), le sculpteur de cette statue serait Anatole Guillot (1865-1911).

Eglise Saint-Vincent de Paul

Du huitième arrondissement au dixième arrondissement, une bonne marche en perspective mais cela vaut la peine. Dirigeons-nous vers l’église Saint-Vincent de Paul. Elle renferme un tableau représentant plusieurs saintes femmes. Parmi elles, sainte Jeanne de Valois, représentée en annonciade, bien reconnaissable avec son scapulaire rouge. Jean-Hippolyte Flandrin (1809-1864) en est le peintre.

Eglise Saint-Ambroise

Après l’église Saint-Vincent de Paul, voici l’église Saint-Ambroise dans le 11è arrondissement. Cette église conserve une belle statue de sainte Jeanne. Le sculpteur est Louis Noël (1839-1925). Son œuvre date de 1920. Il la représente en reine, sceptre dans une main, signe de sa condition royale, et dans l’autre, une église en signe de son rôle de fondatrice d’ordre. Cette statue est un ex voto. L’église et le quartier ont été épargnés par les bombardements de la guerre 1914-1918. Les habitants attribuèrent cela à l’intercession de sainte Jeanne. Pourquoi ? Parce que l’église Saint-Ambroise est construite sur l’emplacement d’un ancien monastère d’annonciades, le monastère de Popincourt. En effet, nous sommes bien ici dans le quartier de Popincourt. Au 17è siècle, il y avait une chapelle pour le couvent des Annonciades, dédiée à Notre-Dame de Protection. Après le départ des annonciades en 1783, elle est rattachée en 1788 à la paroisse Sainte-Marguerite. Elle devient une paroisse à part entière en 1791, mise sous le vocable de saint Ambroise. Décrété bien national par l’État révolutionnaire, elle est vendue en 1797 puis rachetée par la Ville de Paris en 1811. Sous Napoléon III, Paris se transforme. On perce les grands boulevards. Le quartier de Popincourt se transforme et la population s’étend. Un lieu de culte plus grand devient nécessaire. Une grande église est donc construite tout à côté de la chapelle qui reste en fonction durant les travaux, avant d’être détruite. Sur son emplacement, se trouve actuellement un square. La nouvelle église garde le vocable de Saint-Ambroise.

Eglise Notre-Dame de Bercy

Dans cette église, une Annonciation du peintre Daniel Hallé (1614-1675), rappelle la présence des filles de sainte Jeanne à Paris, sous l’ancien régime : en effet, cette annonciation figurait sur le retable du monastère de Popincourt.

Cimetière du Père Lachaise

Enfin terminons notre promenade au cimetière du Père Lachaise, dans le vingtième arrondissement. Allons nous recueillir sur la tombe de Jeanne Collet. Nous y verrons une sainte Jeanne datant de 1891. Son visage entouré de l’auréole des saints doit être celui de la défunte. Elle porte dans une main une cruche et dans l’autre un panier de pain. Cela rappelle  un tant soit peu la sainte Jeanne de l’église Saint-Médard qui, elle, porte un ciboire et un pain.  Ces deux attributs, bien que rares dans l’iconographie joannienne, montrent bien qu’il s’agit d’une Jeanne de France ou de Valois, et non d’une Jeanne d’Arc! C’est la Bonne duchesse du Berry distribuant des vivres aux pauvres.

Au terme de notre promenade, un constat s’impose: la plupart des œuvres recensées – à part celles du Louvre – datent du 19è siècle. Y-a-t-il une raison à cela?

A la fin du 19è siècle et dans la première partie du 20è siècle, Jeanne semblerait évoquer l’identité de la France. Tout comme Jeanne d’Arc d’ailleurs à la même époque. Certes, cet aspect de la sainte était déjà présent sous l’ancien régime. Les premières biographies mettaient en effet en lumière ses origines royales. Jeanne rappellerait ainsi la grandeur de la France à cette France de la fin du 19è siècle et du début du 20è siècle, humiliée par la défaite de 1870 – guerre qui eut pour conséquence la chute du Second Empire français et de l’empereur Napoléon III, une France donc troublée politiquement. Or, cet aspect, un peu réducteur, il faut bien le dire, a bien évolué depuis. On retrouve actuellement le contexte culturel et religieux de la sainte qui est un contexte marqué par la figure emblématique de saint François d’Assise, à n’en pas douter. A partir des années 1950 cet aspect émerge vraiment et, depuis, les études qui se font ne manquent pas de l’approfondir, ce qui redonne à Jeanne son vrai visage de sainteté.

Article proposé pour compléter cette rencontre avec sainte Jeanne : c’est ici

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