Voilà 80 ans, le père Richard Deffrennes vivait sa Pâque, au monastère des annonciades de Thiais, dont il était alors l’aumônier, entouré de beaucoup d’affection et de reconnaissance. Mais… qui était-il ?
Biographie
Philibert Jean-François Deffrennes, en religion frère Richard, est né le 6 avril 1868, dans une modeste famille de Bouvines, près de Lille. Il reçoit de son terroir un solide bon sens, une persévérance patiente, une endurance dans l’adversité. Sa mère est comparable à la femme forte de l’Écriture. Elle oriente son fils vers l’amour de la vérité, et surtout vers la bonté, lui léguant son amour de la Vierge Marie et son émerveillement devant la beauté de la création, lui apprenant à y découvrir, inscrit, le nom de Dieu….
À 13 ans, il entre au petit séminaire de Cambrai puis à 18 ans, au grand séminaire de Solesmes, où il passe un an. Là , l’appel à la vie religieuse se fait entendre. Mais, lié au diocèse de Cambrai, il devient professeur à l’Institut libre du Sacré Cœur d’Estaires, de 1887 à 1890. Devenu entre temps tertiaire franciscain, c’est durant cette époque qu’il fait des démarches auprès des Franciscains en vue de son admission dans l’ordre.
Une fois dégagé de ses obligations envers son diocèse, il entre au noviciat de la Province de France, à Pau, où il reçoit l’habit le 22 septembre 1890. Philibert Jean-François devient alors frère Richard. Le 23 septembre 1891, il prononce ses premiers vœux et fait sa profession solennelle, à Paris, le 29 septembre 1894. Un mois plus tard, le 28 octobre, il est ordonné prêtre à Vanves. Il est alors nommé professeur au collège séraphique (petit séminaire franciscain) de Saint-Brieuc.
En 1902, il a 34 ans. Il devient définiteur c’est-à -dire l’un des conseillers de la province et reçoit également la charge des frères étudiants de Paris. Mais, l’année suivant, en 1903, survient, en France, la seconde vague des expulsions des congrégations religieuses – la première ayant eu lieu dans les dernières années du 19è siècle. On retrouve alors le père Richard au Canada. Il va y demeurer huit ans comme professeur de théologie morale et maître des frères étudiant, à Québec.
En 1911, son séjour canadien prend fin ainsi que son mandat de définiteur.
De 1912 à 1919, en tant que commissaire provincial, il s’occupe des religieux dispersés en France, Belgique, Pays Bas et Angleterre. Il réside alors, comme gardien, c’est à dire supérieur, au couvent de l’Écluse. En 1919, il est custode de la Province de France, c’est à dire, un des frères chargé d’un certain nombre de couvents de la province – celle-ci étant divisée en sous-groupes. Il prend une part active dans la restauration de cette Province. De 1922 à 1923, il est le premier gardien du nouveau couvent de Paris, situé au 25 de la rue Sarrette, dans le 14e arrondissement – le couvent parisien étant restauré en 1865, rue des Fourneaux dans le 15è arrondissement, proche du 14è, d’ailleurs.
De 1923 à 1929, il rempli un second mandant de définiteur, tout en étant Préfet des études. Il enseigne la théologie morale et, pendant quelque temps, la théologie pastorale. Il est aussi l’un des examinateurs des jeunes prêtres franciscains pour la prédication et la confession. En 1926, à la demande du cardinal Dubois, archevêque de Paris, il s’occupe de la rédaction d’un projet de Constitutions pour les oblates régulières de Saint-Benoît. Jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, la charge de Préfet des études, auprès des jeunes frères étudiants, lui vaut de nombreux déplacements en province. Quand éclate le conflit, en 1939, il est nommé aumônier du monastère des annonciades de Thiais. Il meurt quelques années plus tard, le 10 octobre 1943.
Son rôle providentiel auprès de l’Annonciade.
En 1921, le père Richard Deffrennes réside au couvent de Lille. Là , il reçoit la visite d’un prêtre, le père Fournier, aumônier des annonciades de St.-Margaret’s Bay, en Angleterre – (il décédera en 1925). Connaissant bien l’histoire de l’Annonciade et de ses liens avec l’ordre des Frères mineurs, il souhaite voir l’Annonciade retisser ses liens que l’histoire, les guerres, les expulsions ont distendus. Faisant sa retraite spirituelle à Lille, il en profite pour solliciter une entrevue avec le gardien du couvent franciscain. Il est reçu par le père Richard Deffrennes qui entre très vite dans les vues du père Fournier, car lui-même connaît bien l’histoire de l’Annonciade et celle de ses fondateurs, sainte Jeanne de France, et le bienheureux père Gabriel-Maria.
Le père Fournier repart heureux de cette visite. Le 21 avril 1921, dans une lettre, il rend compte de son entrevue au monastère de St.-Margaret’s Bay : « Je trouvai là un homme d’environ 45 ans, très surnaturel et très ouvert à ce qui peut glorifier la très sainte Vierge. Dès que je lui eus exposé le but de ma visite, il me dit ces paroles qui me furent une grande consolation : Mais vous entrez dans mes vues, je pense souvent à ce vieil Ordre de l’Annonciade, je suis absolument à vous, je suis votre homme ! Vous devinez combien je remerciai la très sainte Vierge […] Tout ce qu’il me dit me fit comprendre qu’il avait une vraie intelligence de vos besoins et de l’esprit de votre sainte Règle…. » Un an va passer. Dans les derniers mois de l’année 1922, mère Marie-Emmanuel Agnéray (1880-1957), alors ancelle du couvent de St.-Margaret’s Bay, qui tente un retour en France avec trois de ses sœurs, tombe malade. Elle est hospitalisée à Paris. En cette même année, le père Richard Deffrennes devient, comme il a été dit, le premier gardien du nouveau couvent de Paris.
Le première rencontre entre mère Marie Emmanuel Agniéray et le père Richard, va donc avoir lieu à Paris, à la clinique où elle se trouve en séjour. Cette première entrevue de 1922 est le point de départ d’une profonde et fidèle amitié, voire d’une collaboration, entre Mère Marie-Emmanuel, l’Annonciade, et le père Richard. Il ne va pas ménager sa peine pour faire connaître, ou mieux connaître, l’Annonciade tant au sein de sa famille religieuse qu’au dehors.
Très vite, tout en assurant des charges si importantes au sein de son ordre, il se fait partie prenante de la vie de l’Annonciade. Entre autres, il collabore au travail de révision des Constitutions de l’ordre ; il est aussi l’une des chevilles ouvrières de la nouvelle traduction française de la Règle de l’Annonciade et des Statuts de sainte Jeanne ou Statuta Mariæ. Il redonne à l’ordre de la paix – aujourd’hui Fraternité Annonciade, Chemin de Paix – un nouvel élan par ses prédications, ses sermons dont certains ont été publiés dans le Message Marial de l’Annonciade. Il a également le souci de la vie spirituelle des moniales de Thiais qui conservent dans leurs archives un certain nombre de notes de sermons, de retraites, et surtout son commentaire de la Règle de l’Annonciade. S’il est le « père » du monastère de Thiais, il ne délaisse pas les autres monastères de l’Annonciade, tant en France, qu’en Belgique et en Angleterre. Il contribue aussi à faire mieux connaître le cofondateur de l’ordre, le bienheureux père Gabriel-Maria. À sa mort, les annonciades perdent, comme l’écrit son Provincial, le père Léon-Pascal Leveugle, « un guide, un maître, un père, qu’elles pleurent…. .»
L’homme de Dieu
Plusieurs communautés religieuses ont bénéficié de ses conseils spirituels, de ses enseignements, mais aussi des prêtres, des personnes laïques, en particulier celles du tiers ordre de saint François, de l’ordre de la paix. On ne peut parler de toutes ces communautés, ni de toutes ces personnes avec lesquelles le père Richard a été en contact. Cependant, on ne peut pas ne pas évoquer une communauté, celles des clarisses de Fourmies à qui, d’ailleurs, le monastère des annonciades est lié grâce à une de ses moniales dont la propre sœur est clarisse de ce monastère. Le père Richard s’est beaucoup occupé du couvent de Fourmies. On peut lire dans le récit de la fondation de Thiais, conservé aux archives de ce monastère, qu’Il a prodigué à cette communauté « l’aide de sa longue expérience et de sa direction sûre et clairvoyante. Aux heures difficiles de la fondation, il sera leur guide et leur soutien. Jusqu’à la fin, il restera le père de cette famille si chère à son cœur et dont l’épanouissement lui sera, au soir de sa vie, une douce consolation ». De Paris, de Thiais, il va régulièrement visiter les sœurs, les aidant toujours avec une sollicitude toute paternelle
Concernant les personnes laïques, donnons la parole à l’une d’entre elles, membre de l’ordre de la paix. En quelques mots, elle nous dévoile l’homme de Dieu, qu’a été le père Richard :
« Dès le premier jour, au contact de son intimité, je me suis senti attiré, doucement et puissamment, par les belles et aimables qualités humaines dont la providence avait enrichi sa nature ou récompensé sa vertu. Futon demeuré insensible à la spontanéité cordiale de son premier accueil, on n’aurait pu résister longtemps à l’effusion de cette bonté avenante, de cette bonté « toujours en éveil », ont pu dire ses familiers ; de cette bonté qui s’épanchait en délicatesse généreuse et se manifestait par un dévouement presque excessif (car « il ne savait pas dire non »). […] Il m’avait suffi de quelques entretiens intimes avec le père Richard, sur des problèmes d’ordre général ou sur des question personnelle, pour découvrir en lui, par delà le sourire et l’humour, et l’aménité, les profondeurs ou les élévations d’une vaste et lumineuse intelligence au service d’un zèle illimité pour la gloire du Christ et le salut des âmes. […] C’est dans une conversation souvent enjouée, quelquefois plaisante, jamais abstruse ou tendue que se dévoilaient ces dons remarquables. Évitant d’instinct le ton prêcheur ou doctrinal, le père Richard ne se haussait point au-dessus de la causerie familière. Mais c’est justement cette absence d’apprêts qui donnait le charme et l’efficace à ces propos d’une simplicité limpide, illuminés soudain d’un mot révélateur où l’on pouvait distinguer la connaissance étendue et précise de la science sacrée, de l’histoire religieuse et de l‘infinie complexité des âmes. »
Ses dernières paroles, ses dernières pensées
En octobre 1943, le père Richard sent ses forces diminuer. Cependant, jusqu’au bout, il continue à donner ses enseignements, à recevoir les membres de l’ordre de la paix à qui il donne une dernière conférence le 26 septembre 1943. Une quinzaine de jours plus tard, le 10 octobre, il est très mal. Sentant approcher le moment de la rencontre avec son Seigneur, il demande une grâce : celle de faire reposer son « cœur au pied de la Sainte Vierge » au milieu de ses filles annonciades, « avec la permission du père Provincial.», précise t-t-il. Cette permission étant accordée, les annonciades de Thiais conservent donc toujours cette précieuse relique.
Les derniers instants du père Richard ont été soigneusement notés par les quelques sœurs présentes en ces moments bien émouvants. Ainsi, nous avons la chance d’avoir les dernières paroles, les dernières pensées du père Richard.
Au soir de sa vie, il n’oublie pas les siens, sa famille, son frère qui est au japon. On peut l’entendre articuler ces quelques mots destinés à ses filles de l’Annonciade : « qu’elles soient fidèles, fidèles, fidèles, qu’elles soient humbles, charitables, généreuses… ». Puis, en un geste de bénédiction, il dit distinctement: « Je bénis Fourmies »; nouveau geste: « et Thiais, d’un même cÅ“ur. »
Alors, s’adressant à son confesseur: «…. Je veux mourir comme un vrai fils de saint François, comme un vrai prêtre, comme un véritable enfant de la Sainte Église romaine. » Après avoir reçu la sainte communion, il murmure une dernière prière: « O Jésus, je m’unis à vos anéantissements. Je me livre à votre amour. Conduisez-moi au Père par l’Esprit. Je vous fais le sacrifice de ma vie. Jésus, je vous aime pour toujours. Je suis content. Je vous remercie de vos protections, vous savez en quelles circonstances. Je vous prie pour mes bienfaiteurs, tous « nos » bienfaiteurs. Je vous prie de bénir tous ceux qui ont travaillé à l’œuvre de relèvement de notre chère Province.»
Peu après, arrive le père Provincial qui reste seul à son chevet pendant un moment. Bientôt, l’heure des premières vêpres de la fête de la Maternité de la Vierge Marie sonne. Et c’est pendant cet office de la Vierge que le père Richard entre dans la Joie de son Dieu.
Laissons à son père Provincial la conclusion de cette évocation, trop rapide certes, de sa vie toute donnée au service de ses Frères en Saint-François, au service de l’Église, une vie fondée sur le roc de la foi et de l’intériorité : « Cette vie intérieure, lui-même, la menait de façon exemplaire. Je veux tout ce que Dieu veut : telle est sa dernière parole qu’il me dit avant de mourir. S’il est vrai que les pensées familières de notre vie se présentent naturellement à nos derniers instants ici-bas, nous avons là un des ressorts cachés qui expliquent la conduite de notre regretté père Richard : interroger la volonté divine, ressaisir en toutes ses nuances le plan de Seigneur, le réaliser intégralement coûte que coûte dans une esprit de filial abandon et de plénier dévouement, à la façon de saint François d’Assise. »